Marc Delayer préside le GIE Objectif Transport Public qui organise les Rencontres nationales du transport public (RNTP) du 17 au 19 octobre, à Clermont-Ferrand.
Ville, Rail & Transports : Dans tous les salons professionnels consacrés aux transports collectifs, les bus électriques sont portés au pinacle. Et si le tout électrique n’était pas la seule solution pour décarboner le transport ? Aux prochaines RNTP, vous allez poser la question. Réponse ?
Marc Delayer : Avant toute chose, remettons les chiffres en perspective : seulement 2,7% des 30% de émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des transports routiers sont le fait des bus et des cars. Et globalement, moins de 1% de GES en France sont émis par le transport collectif de voyageurs. Les opérateurs et les collectivités locales ont plutôt une approche de mix-énergétique, avec différentes filières qui ont chacune des avantages et des inconvénients. Certes, l’électrique est la réponse la plus naturelle, c’est la solution la plus poussée en Europe avec la filière hydrogène, même si elle n’est pas encore mature et pose encore la question de sa production. Il y a aussi le biogaz avec des formes de méthanisation qui commencent à être plus vertueuses. Pour autant, nous sommes isolés en Europe sur la filière biogaz, et quand la Commission européenne souhaite qu’à partir de 2030, on ne produise plus de véhicules thermiques, ça interroge… Le biogaz doit être intégré d’une façon ou d’une autre dans la transition énergétique, il doit trouver sa place pour, au minimum, pouvoir répondre aux besoins des collectivités qui ont investi dans la filière pour leurs flottes d’autobus. Elle ne doit pas être complètement condamnée à court terme. Quant aux biocarburants, les carburants de synthèse issus d’autres sources que les énergies fossiles, ce sont des évolutions à interroger dans le cadre d’un mix énergétique.
En France on a condamné rapidement les dernières motorisations diesel et pourtant on aurait sans doute plus vite vu baisser les émissions si on avait laissé les bus avec une motorisation Euro 6 renouveler tranquillement les anciennes générations de bus. Car aujourd’hui, compte tenu du mur d’investissement que représentent les motorisations électriques, pour un bus électrique acheté, on laisse deux ou trois vieilles générations de bus sur le carreau. On aurait été plus vite si on avait accompagné la sortie du diesel plus doucement.
VRT : L’association des paralysés de France pointe les difficultés de déplacement pour les personnes handicapées qui viendraient suivre les épreuves des JO en 2024. D’autres associations militant pour les droits des malvoyants réclament des annonces vocales pour annoncer les arrêts, notamment à Paris. Où en est-on ?
Marc Delayer : Le sujet est vaste et large, il concerne l’accès dans les véhicules et l’accès aux points d’arrêt. L’information voyageurs aussi. De larges progrès ont été réalisés, notamment en province. Aujourd’hui les parcs de bus et de tramways sont tous accessibles. Ce qui pose problème, ce sont les métros historiques, ceux de Paris et Marseille notamment. Il reste des lignes non accessibles et sans perspective de le devenir, car c’est techniquement très difficile.
Pour les JO de Paris, il est clair que cela posera un problème. En dehors des lignes de tram, de RER et de bus, ll y aura des navettes dédiées aux personnes en situation de handicap pour compléter la desserte. Quant aux annonces sonores, elles ne seront pas en place pour les JO, mais en 2036. Les lois de 2005 puis de 2015 sur le handicap n’ont pas encore permis de combler les trous dans la raquette. En milieu rural, c’est l’accès aux arrêts par la voirie qui pose encore problème. Parfois, les services de transport de substitution peuvent être une réponse pragmatique même si, en première intention, ce n’est l’objectif recherché. A Cholet, nous avons récemment recruté un conducteur sourd, une fois que les médecins de préfecture l’ont laissé passer le permis de construire. Il a ensuite fallu adapter tous nos équipements intérieurs à un fonctionnement spécifique, tout en restant dans le fonctionnement collectif. On peut le faire, ça montre bien qu’il y a des perspectives mais cela prend du temps et arrive progressivement.
VRT : Le boom des modes actifs (vélos, trottinettes, marche) aiguise les problèmes de cohabitation sur la voirie, et surtout sur les trottoirs : 60 millions de piétons sonne l’alerte. Quelles sont les pistes pour apaiser les différentes mobilités ?
Marc Delayer : La mobilité est une forme de schizophrénie. On peut être est tour à tour piéton, automobiliste, cycliste ou usager des transports collectifs, et à chaque fois, on change de comportement en fonction du mode de transport. Au-delà des déplacements, c’est le respect de l’autre qui est en question, il va bien falloir faire de la pédagogie, mettre en place des actions – le code de la rue en est une – auprès de tous les publics, pour parler des règles de cohabitation. Cela passe aussi par l’aménagement de l’espace public pour laisser de la place à chacun. Et on ne pourra pas se passer de la coercition. Car c’est juste scandaleux de voir des vélos et trottinettes débouler sur les trottoirs ou de ne pas s’arrêter aux feux rouges.
VRT : De l’Ile-de-France à la province, le modèle économique des transports publics se cherche toujours. Allez-vous de nouveau interpeller le gouvernement sur ce sujet aux RNTP ? Sous quelle forme ?
Marc Delayer : L’UTP comme le Gart ont récemment mis en avant un certain nombre de pistes de financement, le rapport sénatorial sur le sujet, publié aujourd’hui, en apportera peut-être d’autres. Au débat organisé par le Gart le 28 juin, le sénateur Hervé Maurey (co-rapporteur avec Stéphane Sautarel, ndlr) n’a voulu lâcher aucune information. Louis Nègre a annoncé sa volonté de tenter de réunir toutes les associations d’élus impliqués dans la gestion urbaine, autour de dix solutions de financement pérennes pour le transport public. Les RNTP seront le moment d’affirmer cette position commune. On est face à un mur et face à un paradoxe : d’un côté, il faut un choc d’offre de transport car c’est la seule voie pour inciter au report modal et décarboner les déplacements du quotidien. Et pour cela, il faut de l’argent. Or, les collectivités, malgré ce qu’en dit le gouvernement, n’ont pas les moyens de décarboner leur flotte et de la renouveler rapidement. Il va bien falloir prendre conscience qu’il est nécessaire de protéger le modèle économique du transport collectif urbain et de mettre en avant toutes les solutions financières pour accompagner l’intelligence et l’agilité locale. Clément Beaune est invité aux RNTP, mais d’ici à octobre, sera-t-il encore ministre des Transports ? Quoi qu’il en soit, les Rencontres de Clermont-Ferrand seront le moment pour porter tous ensemble ce discours, être entendus, et peut être écoutés.
Propos recueillis par Nathalie Arensonas