Selon Jérôme Leborgne, directeur général de Fret SNCF, le plan de performance de l’entreprise est en marche : Fret SNCF continue à baisser ses coûts et à améliorer sa compétitivité. L’activité économique reprend et une nouvelle appétence pour le ferroviaire anime les clients. Interview.
Ville, Rail & Transports : Comment va Fret SNCF ?
Jérôme Leborgne : Mieux que l’année dernière ! Nous étions en situation difficile comme tout le monde, même si nous avons continué à transporter des marchandises utiles aux Français.
La relance est venue avec le soutien de l’Etat. Aujourd’hui, nous observons un nouvel appétit pour le ferroviaire de la part des chargeurs car il fait partie des solutions écologiques : il consomme 6 fois moins d’énergie que la route, et émet 9 fois moins de CO2.
L’année dernière, les volumes transportés étaient inférieurs de 20 % par rapport à 2019. Cette année, il devraient être de 10 % inférieurs. Nous enregistrons 3 à 4 % de volumes en plus que ce que nous imaginions. Nous pensons retrouver le volume d’avant-crise l’année prochaine. Nous sommes donc à mi-chemin.
L’activité est notamment tirée par le transport combiné, ou encore la sidérurgie. Elle est calquée sur la reprise de l’activité économique qui est réelle.
VRT : Quels sont les résultats de Fret SNCF ?
J. L. : L’an dernier, les pertes de Fret SNCF étaient de 105 millions d’euros. Nous ne connaissons pas encore le résultat de cette année. Il y aura encore des pertes mais beaucoup moins importantes. L’activité économique reprend, et parallèlement, nous suivons notre plan de performance et nous bénéficions du soutien pérenne de l’Etat pendant 4 ans via des aides aux péages et des aides aux wagons isolés.
Nous suivons notre trajectoire qui est d’être équilibré en marge et en cash flow en 2023. Nous confirmons cet objectif.
VRT : Où en est ce plan de performance ?
J. L. : Ce plan de marche est réalisé conformément aux objectifs. Il vise la baisse des coûts généraux et une meilleure compétitivité. Il doit aussi nous permettre d’avoir plus de groupes de wagons dans notre système.
VRT : Y aura-t-il encore une diminution des effectifs ?
J. L. : Il faut continuer à baisser les effectifs de structure : les effectifs diminueront encore cette année de 250 personnes, dont les deux tiers dans des postes dans les structures. La baisse des effectifs n’est pas une fin en soi : tant que le trafic baissait, nous ajustions les effectifs. Là, le trafic repart à la hausse, il y a moins besoin d’ajustements. A la fin de l’année, Fret SNCF comptera près de 4900 personnes.
VRT : Atteindrez-vous le niveau de coûts de production de vos concurrents ?
J. L. : Nous n’atteindrons jamais le niveau de coûts de nos concurrents car nous sommes différents : Fret SNCF est un transporteur multiformats, avec un système capacitaire. Notre activité est plus compliquée. Nous visons une amélioration sensible d’ici à 2023 pour être économiquement viable. Nous devrons baisser nos coûts de l’ordre d’une vingtaine de pourcents.
VRT : Voyez-vous venir de nouveaux clients ?
J. L. : Nous travaillons avec les opérateurs de transport combiné qui ont plus de caisses, ce qui nécessite plus de trains. Nous acheminons aussi en direct de nouveaux volumes, comme par exemple ceux des Moulins de Kleinbettingen au Luxembourg, un nouveau client. On peut citer aussi Arcelor, un de nos clients historiques, qui nous confie de nouveaux volumes en Allemagne. Le report modal est une réalité.
Depuis la crise, nous ressentons des évolutions dans les échanges avec nos clients : leurs clients leur réclament plus de ferroviaire pour réduire leur empreinte carbone. 90 millions de nos tonnes-km sont réalisés en motorisation électrique, ce qui permet à nos trains d’émettre 14 fois moins de CO2 que la route.
VRT : Comment se situe Fret SNCF par rapport à d’autres filiales comme Captrain France par exemple ?
J. L. : Nous sommes complémentaires car Captrain fait du point à point, alors que nous sommes un opérateur multiformats, présent partout en France. Fret SNCF peut transporter tous types de marchandises, faire tous formats de trains. Notre système de gestion capacitaire nous permet d’absorber les saisonnalités, les variabilités. C’est intéressant pour les clients car cela donne beaucoup de souplesse.
Avec le soutien de l’Etat sur le wagon isolé, nous investissons sur le transit time des wagons. Au service annuel de 2022, nous visons une hausse d’accélération de traitement des wagons isolés de 30 %. Puis une accélération du même ordre un an plus tard. Il y aura donc une meilleure rotation des wagons qui arriveront plus vite. C’est essentiel pour les chargeurs qui attendent leurs marchandises.
Aujourd’hui, les wagons mettent 5 jours, on va passer à 4 jours, puis à 3 jours… On vise la route + 24 h. Quand on arrive à 3 jours, on est compétitif par rapport à la route.
VRT : Quel est le montant de l’investissement ?
J. L. : L’ingénierie du système de production a un petit coût. Ce système nécessite une trentaine d’agents en plus dans les triages. Et un petit investissement en sillons.
VRT : Que va vous apporter la nouvelle stratégie nationale pour le fret ?
J. L. : Nous sommes satisfaits de ce plan. Les aides prévues sont pérennisées jusqu’en 2024. Et il est prévu un milliard sur le réseau utile au fret ferroviaire. On va ainsi par exemple rénover les triages. Le programme sur le triage de Miramas est bouclé. Les autres restent à faire : l’Etat paie la moitié et les collectivités sont appelées à participer .
Il restera une bonne dizaine de milliards à investir si on veut vraiment doubler la part du ferroviaire en 2030. Il y a encore du travail à faire. Nous attendons en 2022 les conclusions du Conseil d’orientation des infrastructures. Un travail de priorisation doit être édicté pour que SNCF Réseau puisse planifier les opérations. Il faut notamment réaliser les contournements des grandes villes (Paris, Lyon, Lille…), investir dans les plateformes de transport combiné ainsi que dans les grands ports. Ces investissements dépassent la capacité de ce qu’on peut faire avec un milliard d’euros. S’ajoutent 210 millions d’euros fléchés pour que Réseau puisse préserver les bons sillons pour le fret malgré les travaux de nuit pour laisser passer les trains de fret long parcours. Il faut passer un cap car les investissements ne sont pas immédiats. 50 trains longs parcours ont été identifiés sur lesquels on va concentrer l’attention. Il y a une vraie volonté de SNCF Réseau d’accompagner le fret. C’est très positif.
VRT : Qu’attendez-vous au niveau européen ?
J. L. : A l’échelle européenne, il y a une grande convergence sur la question du fret ferroviaire. Pousser certaines innovations seront utiles pour développer le fret ferroviaire européen, comme le couplage automatique des wagons même si c’est à long terme, ou le DCM (digital capacity management qui donne la capacité de réserver des sillons). Il faut savoir que la moitié des marchandises acheminée par Fret SNCF est l’international. L’Europe est notre horizon.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt
Retrouvez notre dossier complet sur le fret ferroviaire publié dans le numéro de novembre de Ville, Rail & Transports.