Alors que la part du fret ferroviaire est de 18 % en moyenne en Europe, la Commission européenne fixe l’objectif d’un taux de 30 % en 2030. Peter Reinshagen, directeur général d’Ermewa, explique à VRT les conditions qu’il faut réunir si le secteur veut y parvenir.
Ville, Rail & Transports. Le fret ferroviaire cherche toujours ses marques face à la route. Quel rôle peut jouer un loueur de wagons comme Ermewa ?
Peter Reinshagen. Le ferroviaire est à un moment charnière de son histoire et le wagon a un rôle à jouer dans les changements à venir. Un loueur de wagons comme Ermewa doit profondément réfléchir à son avenir. En effet, sans progression de la performance ferroviaire, le report modal ne se fera pas et les objectifs climatiques ne seront pas atteints.
Actuellement, le fret ferroviaire ne fonctionne pas efficacement alors qu’il représente un mode propre. La part modale du fret en Europe est de 18 %. Mais cette moyenne recouvre des réalités différentes d’un pays à l’autre. Elle atteint 17 ou 18 % en Allemagne, un peu moins de 12 % en France, mais 30 % en Suisse ou en Autriche. L’objectif fixé par l’Union européenne est d’atteindre un taux de 30 % en 2030. Pour y arriver, il faut plus que doubler les quantités transportées par le fer. Comment ? Ce qui est sûr, c’est que ce mode ne réussira pas s’il continue à fonctionner avec les méthodes du passé. Il faut un changement radical.
VRT. Que faut-il faire selon vous ?
P. R. Les évolutions techniques comme le couplage automatique des wagons et le digital peuvent y aider. Pour moi, c’est le cœur du changement. Aujourd’hui en Europe, le couplage des wagons se fait manuellement, alors qu’ailleurs, il est automatique.
L’association allemande TIS (qui réunit des entreprises comme VTG, BASF ou DB…) a publié un livre blanc sur l’innovation lors du dernier salon de Munich. Elle estime que le couplage automatique digital permettra de lancer le train intelligent. L’objectif est de connecter les données et d’apporter l’électricité sur le wagon. De cette façon, nous pourrons automatiser les opérations ferroviaires et doter le matériel de freins électropneumatiques. En nous dirigeant dans cette voie, nous sommes persuadés que nous pourrons changer d’ère.
VRT. Quels sont les avantages attendus ?
P. R. Aujourd’hui, quand vous envoyez des marchandises par train, vous ne savez pas quand elles vont arriver. Les informations fournies par les entreprises ferroviaires ne sont pas fiables, en particulier quand un train traverse une frontière. Un chargeur doit prévoir des marges de sécurité pour ne pas être gêné par l’arrivée tardive d’un train.
En connectant les données des trains, le temps d’arrivée estimé ne sera plus calculé sur la base d’un plan de transport mais sur la base de l’historique de l’opération. Sur cette base, nous pourrons optimiser la taille des flottes, et les chargeurs pourront réduire leurs stocks de sécurité, planifier leurs besoins et réaliser ainsi des économies très importantes.
Enfin, toutes ces avancées technologiques (digitalisation, suivi individualisé des wagons, monitoring du wagon, du freinage, des bogies, des essieux…) et toutes ces informations reçues vont permettre de faire progresser la sécurité ferroviaire. Et d’optimiser la maintenance des wagons : actuellement un wagon qui entre en atelier tous les deux ans peut rester immobiliser 35 jours, le temps de l’amener, de le réviser et de le faire repartir. C’est beaucoup trop long. Nous pourrons diviser ce temps par 2 ou 3.
VRT. Quels sont les investissements à réaliser pour le couplage automatique digital ?
P. R. Aujourd’hui, ces équipements coûtent cher car le volume de production est très faible. Il faut démontrer au secteur industriel que nous allons pouvoir réduire drastiquement les coûts en équipant massivement la flotte avec des produits standardisés. Il faudrait aboutir à un coût de 10 000 euros l’équipement par wagon. Ce n’est pas encore le cas. Mais compte tenu de l’étendue de la flotte européenne (quelque 500 000 wagons), on peut y arriver, d’autant que plusieurs entreprises dont trois grandes (Faiveley-Wabtec, CAF et Voith) sont capables de produire ces équipements.
VRT. Qui doit supporter les coûts ?
P. R. Il faudra répondre à deux questions : la première porte sur la migration du matériel ancien. Une étude est en cours, commandée par le ministère allemand des Transports. Pour l’heure, le sujet est porté par l’Allemagne et la Suisse. Il faut que la réflexion s’européanise.
Autre sujet qu’il faudra résoudre : si ce sont les propriétaires des wagons qui investissent, comment faire revenir le bénéfice de l’opération à celui qui a investi ?
En automatisant les opérations ferroviaires, les opérateurs vont en effet gagner temps et argent. S’ils passent par des opérations manuelles, un train peut rester immobiliser jusqu’à 4 heures avant de partir en raison des nombreux tests à réaliser. L’automatisation va permettre d’accélérer les rotations du matériel roulant, en gagnant 2 heures dans la préparation d’un train, ce qui est phénoménal.
L’automatisation est aussi intéressante pour les wagons isolés qui sont très difficiles à gérer et nécessitent la réalisation de plusieurs couplages manuels. Souvent dans des conditions éprouvantes, la nuit, le froid…
Si on arrive à automatiser le couplage et à digitaliser le suivi, les wagons isolés deviendront un mode de transport intéressant pour les chargeurs car beaucoup moins chers à produire.
S’ils sont dotés de freins électropneumatiques, cela permettra aussi d’améliorer la sécurité car le train ralentira beaucoup plus vite : la durée et la distance de freinage peuvent être réduites de 30 % et l’impact est moins important pour les infrastructures.
Il faut se dépêcher d’agir. Il y a un vrai intérêt économique mais nous avons besoin du soutien des pouvoirs publics. On estime que l’aide publique pourrait atteindre 3 milliards d’euros, ce qui représenterait 50 % de l’investissement total nécessaire à l’équipement des 500 000 wagons en Europe.
L’écologie justifie cette participation publique : le transport de marchandises représente une énorme part des émissions de CO2.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt
Pour en savoir plus : retrouvez l’article dans son intégralité dans le numéro de décembre de VRT