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Ewa

Méga-fusion dans le fret ferroviaire nord-américain

C’est la première grande fusion dans le fret ferroviaire nord-américain depuis plus de deux décennies. Après un feuilleton qui a vu s’opposer, il y a deux ans, les deux grands acteurs du fret ferroviaire canadien, le Canadien Pacifique (CP) et le Canadien National (CN), pour l’acquisition du Kansas City Southern Railway (KCS), dont le réseau s’étend du centre des États-Unis au centre du Mexique, l’offre à 31 milliards de dollars américains (28 milliards d’euros) du premier avait finalement été retenue en septembre 2021. Restait à obtenir un avis favorable du Surface Transportation Board (STB) des États-Unis, délivré au bout d’un an et demi, le 15 mars dernier.

La compagnie issue du regroupement des deux acteurs majeurs du fret nord-américain (le CP était déjà présent au sud de la frontière avec les États-Unis, sur son propre réseau ou par des droits de passage) a officiellement débuté son activité le 14 avril, sous l’appellation de chemin de fer Canadien Pacifique Kansas City en français, ou Canadian Pacific Kansas City Railway (CPKC) en anglais. L’événement a donné lieu à une cérémonie à Kansas City (Missouri), au cœur des États-Unis, où se situe le point de contact entre les deux réseaux. Désormais, le CPKC relie le Canada au Mexique, du Pacifique à l’Atlantique en passant par le golfe du Mexique. Long de quelque 30 000 km, il est même le seul des six grands réseaux nord-américains à desservir à la fois le Canada, les États-Unis et le Mexique. Le siège du CPKC est situé au Canada, à Calgary (Alberta), avec à sa tête Keith Creel, auparavant président et chef de la direction du CP.

Selon ce dernier, « nos chemins de fer ainsi réunis formeront un réseau (…) qui accroîtra instantanément la concurrence dans le secteur ferroviaire nord-américain à une époque où les chaînes d’approvisionnement en ont un besoin criant ». « Le Surface Transportation Board des États-Unis a nettement reconnu les avantages de cette union historique pour le grand public, l’environnement, la concurrence et la sécurité. Elle offrira aussi des occasions extraordinaires à nos employés, aux collectivités, aux clients du transport ferroviaire et à l’économie nord-américaine », a ajouté Keith Creel, qui estime que les les retombées de cette fusion se traduiront par « la création d’emplois et la croissance de l’économie nord-américaine ».

Si ce rapprochement devrait rapidement se traduire par une hausse du trafic fret ferroviaire le long d’un axe nord-sud au milieu des États-Unis, cette nouvelle n’est pas forcément vue d’un bon œil par les riverains des passages à niveau ou par les agences responsables des trains de voyageurs, particulièrement en ce qui concerne les trains de banlieue Metra de Chicago. Des investissements seront certainement nécessaires sur le nouveau réseau CPKC… alors que les entreprises ferroviaires concurrentes CN, Union Pacific (UP, États-Unis) et Ferromex (premier réseau du Mexique, dont l’UP est actionnaire à 26 %) se sont rapprochées pour monter ensemble une offre de transport intermodal entre Canada, Etats-Unis et Mexique.

P. L.

Ewa

Alstom-Bombardier. Un mariage très différent du projet de fusion avec Siemens

Depuis la naissance en 2015 de CRRC, né de la fusion de deux constructeurs chinois, CNR et CSR, on n’a cessé de voir les Siemens, Bombardier et autres Alstom discuter les uns avec les autres. « Rester seuls n’était pas tenable, surtout pour Alstom et Bombardier. Il était évident qu’il y aurait des mariages européens», souligne un fin connaisseur du ferroviaire.

Selon lui, les conditions de mariage entre Alstom et Bombardier sont très différentes de la fusion envisagée il y a un an entre Alstom et Siemens qui aurait abouti à l’absorption pure et simple du groupe français. Ce qui avait suscité de forts remous dans les milieux politiques français. Aujourd’hui, c’est Alstom qui doit absorber Bombardier. Beaucoup plus acceptable politiquement en France. Passage en revue des autres différences et des forces et faiblesses de cette union.

L’association Alstom-Bombardier ne représente pas la même force de frappe financière qu’aurait donné une fusion Alstom-Siemens beaucoup plus puissante de ce point de vue.

Dans le domaine du numérique (et tout ce qui touche aux équipements de signalisation et aux systèmes de contrôle-commande, voire à la conduite autonome), l’électronicien Siemens a une belle longueur d’avance, que l’union Alstom-Bombardier ne compensera pas.

– Bombardier a parfois remporté des marchés dans des conditions compliquées, connaissant des revers techniques, a rappelé Henri Poupart-Lafarge, le PDG d’Alstom en présentant son projet d’acquisition. Fin janvier par exemple, selon le journal allemand Süddeutsche Zeitung, la Deutsche Bahn avait refusé d’acheter 25 trains Intercités à Bombardier en raison de défauts techniques. Reste que ce type de situation est connu par tous les constructeurs en raison de la sophistication de plus en plus poussée des matériels. « Nous pourrons apporter notre aide sur les quelques sujets techniques où Bombardier a connu des difficultés », a affirmé le patron d’Alstom. « Mais cela ne pourra commencer que l’année prochaine, quand la fusion sera effective », a-t-il ajouté. Alstom prévoit en effet la réalisation de l’opération au cours du premier semestre 2021, une fois que la Commission européenne aura rendu son verdict.

-Toutefois, au chapitre de l’innovation, les futurs mariés vont pouvoir couvrir tout le spectre des trains décarbonés. Bombardier a en effet mis le paquet sur les trains à batteries, tandis qu’Alstom investissait sur les trains à hydrogène. Des choix intéressants alors que les préoccupations environnementales prennent de plus en plus d’ampleur.

Culturellement, le mariage avec Bombardier devrait mieux se passer que s’il avait été consommé avec Siemens. «Lorsque Patrick Kron était le PDG d’Alstom, Siemens était considéré comme le plus grand ennemi stratégique du groupe français. Bombardier de son côté est considéré comme un « partenaire concurrent ». Les équipes des deux groupes sont plus habituées à travailler ensemble et à se parler. Elles se comprennent mieux », estime notre expert ferroviaire. « Les équipes ont notamment beaucoup coopéré sur du matériel de mass transit et à chaque fois avec beaucoup de réussite », ajoute-t-il.

– Au niveau géographique, les deux groupes sont très présents en France et en Belgique, mais aussi en Allemagne, avec de nombreux sites de production. Dans notre pays, ils disposent d’un quasi-monopole sur le matériel roulant et ils collaborent régulièrement, comme sur le métro et le RER de Paris. D’où l’inquiétude des syndicats qui craignent des doublons et de ce fait des restructurations. « Il n’y a pas du tout l’idée de restructurations ou de menaces sur l’emploi dans cette acquisition, bien au contraire », affirme Henri Poupart-Lafarge. Selon lui, l’usine de Crespin de Bombardier a un plan de charge bien fourni pour plusieurs années, comme c’est le cas pour l’usine de Petite-Forêt d’Alstom.

-Toutefois, il y a une réelle complémentarité à l’échelle internationale. « Cette acquisition renforcera notre présence à l’internationale ainsi que notre capacité à répondre à la demande toujours plus importante de solutions de mobilité durable », a commenté Henri Poupart-Lafarge, évoquant «une très belle opération ». A eux deux, les deux groupes cumulent un chiffre d’affaires d’une quinzaine de milliards d’euros et un carnet de commandes dépassant les 75 milliards d’euros. Bombardier est très présent en Amérique du Nord, même s’il s’est fait tailler quelques croupières par les Chinois et même par Alstom. En Allemagne et plus globalement en Europe du Nord, le Canadien détient des positions très fortes (Alstom est davantage présent en Europe du Sud). Il a aussi fait le choix de s’implanter en Chine.

A eux deux, Alstom et Bombardier vont représenter un poids lourd à l’international, bien supérieur à CRRC. En effet, le Canadien ne réalise qu’une petite partie de son activité dans son pays d’origine, mais l’essentiel en Europe et en Amérique du Nord, alors que CRRC est avant tout présent en Chine, n’affichant que 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires hors des frontières chinoises… Mais tout semble indiquer que cette position pourrait évoluer très vite à l’avenir.

Marie-Hélène Poingt

Ewa

Pour Bruxelles, attaquer le droit de la concurrence c’est se tirer une balle dans le pied

La décision de la Commission européenne d’interdire la fusion Alstom-Siemens s’est attiré une levée de boucliers. On a accusé Bruxelles d’avoir une vue court-termiste et une compréhension étroite de la concurrence. Les critiques sont quasi unanimes en Allemagne, largement majoritaires en France. Dans les autres pays de l’Union européenne (UE), on comprend beaucoup mieux la décision de Margrethe Vestager, la commissaire à la Concurrence.

La Commission ne manque d’ailleurs pas d’arguments. Le plus fort ? Elle applique le droit. Elle a pour mission de s’assurer qu’une entité ne peut acquérir de position dominante sur le marché intérieur par une acquisition. On peut devenir dominant par ses propres mérites. Mais, si on le devient par acquisition ou fusion, il faut concéder des contreparties.

À l’issue de son enquête, la Commission a estimé qu’environ 80 % de l’activité cumulée d’Alstom et Siemens ne posait aucun problème. Comme on le sait, c’est dans deux domaines que le bât blessait : les trains à très grande vitesse (au-delà de 300 km/h) et la signalisation. Seuls Siemens et Alstom vendent des trains à très grande vitesse dans l’UE. Il en va de même en dehors de l’Union, du moins sur les marchés accessibles. Exception faite donc des réseaux chinois, japonais et coréens, qui ne le sont pas. La position dominante du nouvel ensemble était encore plus flagrante dans la signalisation.

Dans ces deux domaines les candidats à la fusion étaient donc conduits à vendre des parties significatives de leur activité, pour laisser place à des concurrents.

Or, rappelle-t-on à la Commission, les sacrifices dans les projets de fusion se montent en moyenne entre 10 et 20 % du chiffre d’affaires. Ce n’est pas une règle, mais on s’est étonné qu’Alstom et Siemens n’aient proposé que 4 %. La nature des cessions proposées a aussi posé problème. Pour la très grande vitesse, la cession envisagée (accorder des licences) n’était pas suffisante. Alstom-Siemens aurait continué à maîtriser l’essentiel. C’est du moins ce qu’a jugé Bruxelles, même si, d’après le Financial Times, l’espagnol CAF, intéressé, était prêt à payer 900 millions d’euros pour cette partie cédée de la très grande vitesse.

Ça ne peut pas marcher

Sur la signalisation, les solutions des deux partenaires étaient aux yeux de Bruxelles beaucoup trop compliquées, faites de cessions de petits bouts un peu partout qui ne pouvaient que très difficilement constituer un véritable concurrent.

Les remèdes proposés le 12 décembre 2018 par les deux partenaires aux griefs de la Commission ont été testés auprès des concurrents, des clients, des autorités régulatrices. Dans des délais serrés, ils ont conclu : ça ne peut pas marcher. Et ce n’est pas la deuxième mouture de remèdes qui pouvait satisfaire. Présentée hors délais, moins d’un mois avant la date limite de décision, un peu différente mais de même ordre de grandeur, elle a été plutôt reçue comme un moyen de faire pression in extremis.

La Commission estime donc avoir appliqué le droit existant de la concurrence, qui fonctionne et auquel elle s’est tenue. Il ne l’a conduite que très rarement à une telle décision : au cours des 10 dernières années, elle a seulement interdit neuf projets de fusion et en a accepté 2 991. On veut y voir la preuve que le droit de la concurrence empêche les monopoles mais ne s’oppose pas à la création de champions.

Et puis, si les Européens se réjouissent que Margrethe Vestager applique ce droit aux Gafa, on ne peut lui demander de ne pas l’appliquer aux entreprises européennes. La base juridique qui conduit à refuser la fusion Siemens-Alstom est celle qui a permis d’infliger une amende record de 4,3 milliards à Google. En attaquant cette base, on se tirerait une balle dans le pied. Ou en l’appliquant mal. En dehors de l’Union, des grands groupes ou de grands États n’attendent qu’une chose : qu’une telle faute soit commise par Bruxelles.

Si on ne peut pas demander à la Commission de ne pas appliquer le droit, on peut changer les règles. Certains thèmes apparus dans le débat y invitent… sans toujours convaincre la Commission.

Is big beautiful  ?

Premier thème, créer un très grand groupe apparaît une évidence. Mais il n’a pas été démontré que l’entité nouvelle serait un meilleur concurrent face aux Chinois que les deux actuelles. Ni en ce qui concerne les prix plus bas, ni en ce qui concerne l’innovation. Big is beautiful ? Peut-être, mais peut-être pas.

Deuxième thème. Il faut prendre en compte le marché mondial et particulièrement la concurrence chinoise. Mais c’est une dimension que la Commission estime n’avoir pas ignorée. Or, s’agissant de la très grande vitesse, les Chinois n’ont pas vendu un seul train en dehors de leurs frontières (malgré un projet en Indonésie). En Europe, lorsqu’ils ont voulu se présenter pour le projet britannique HS2, ils n’ont pas été pré-qualifiés. On estime qu’il n’y a aucun danger d’ici cinq ans, vraisemblablement pas avant 10 ans. Pour la signalisation, la Chine est jugée encore moins avancée. La barrière à l’entrée est encore plus grande et l’Europe a trois géants mondiaux : Siemens, Alstom et Thales.

Autre reproche, Bruxelles limiterait son horizon au droit de la concurrence. Elle défend le consommateur plutôt que le producteur. Mais on estime à Bruxelles que c’est plutôt une bonne chose. Car protéger le producteur cela peut vite revenir à protéger des bases d’emploi dans certains pays membres au détriment des autres. En revanche, protéger le consommateur, c’est protéger tous les citoyens de l’Union. En limitant le nombre de candidats potentiels aux appels d’offres, il y aurait baisse de la concurrence et une moindre incitation à l’innovation… Avec le risque, au bout du compte, d’être plus mauvais face aux Chinois. Credo de Bruxelles : grâce à la concurrence, on exporte de la compétitivité. Taper sur le droit de la concurrence, c’est taper à côté de la plaque. Et oublier qu’on dispose d’autres outils.

Car le véritable outil contre la pénétration du marché européen, c’est la réciprocité dans l’ouverture des marchés publics, politique qui a deux volets.

Dans le cadre de la réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour lutter contre les entreprises d’État et les subventions, et mieux maîtriser les marchés publics, Bruxelles met au point l’International Procurement Initiative (IPI). Présenté en 2013 par la Commission, le texte est, cela dit, toujours en discussion…

L’autre volet, ce sont les accords bilatéraux. L’accord Jefta entre l’UE et le Japon, entré en vigueur le 1er février, a notamment permis d’ouvrir les marchés publics. Dans le ferroviaire, la clause dite de « sûreté opérationnelle », qui bloquait les concurrents étrangers, a été éliminée. Non sans de sévères discussions.

Avec le Canada, l’accord Ceta, en application provisoire depuis le 21 septembre 2017, a lui aussi permis d’ouvrir ce marché, aux niveaux fédéral comme subfédéral.

Ce ne sont pas les seuls outils. Pour juger les appels d’offres des marchés publics dans l’UE, on peut s’appuyer sur d’autres critères que le prix : par exemple les critères sociaux et environnementaux qui ne sont pas assez utilisés. Dommage : ils favorisent de fait les Européens.

Autre arme, le contrôle des investissements étrangers. Sur les 28 États membres, 12 ont un tel dispositif, dont la France (décret de 2005, renforcé par le décret Montebourg, et maintenant par loi Pacte). Mais certains pays de l’Union sont très peu regardants. La Grèce a vendu au Chinois Cosco le port du Pirée. On avait des trous dans la raquette, reconnaît-on. Or, la Commission a proposé en septembre 2013 un cadre qui a très vite fait l’objet d’un accord entre la Commission, le Conseil, et le Parlement, permettant le filtrage des investissements directs étrangers. Le texte devait être discuté en plénière au Parlement le 11 février.

De plus, il n’a pas échappé à la Commission qu’environ 50 000 entreprises chinoises sont des entreprises d’État qui bénéficient de subventions déloyales. L’Europe n’est pas tout à fait démunie. 143 mesures antidumping ont été prises par la Commission dont une centaine concernaient des entreprises chinoises. On les juge efficaces, puisque les importations concernées par ces mesures ont baissé de 70 %. Premiers visés, les produits sidérurgiques, dont le volume importé a baissé de 97 %.

Le plaidoyer de la Commission résistera-t-il à la campagne électorale, en pleine période de replis nationalistes ou de désaveu de l’Europe ? Pas sûr. Il vaut tout de même la peine d’être entendu.

F. D

Ewa

« Airbus du rail » : la zone d’ombre politique d’une bonne nouvelle, selon Gilles Savary

Ville, Rail & Transports a demandé à Gilles Savary de réagir après l’annonce de la fusion entre Siemens et Alstom. Voici ce que nous a répondu l’ancien député socialiste de la Gironde, rapporteur de la loi
de réforme ferroviaire et de celle sur la sécurité et la fraude dans les transports :

 

« Lancée par une tribune publique de quatre parlementaires français reprise par Alain Juppé, l’idée de création d’un Airbus du rail se profile au moment où l’on ne l’attendait pas.

Comme souvent en matière européenne, à l’instar du traité constitutionnel européen en 2005, cette idée française fait l’objet de vives oppositions et controverses françaises.

En cédant de fait ses « parts optionnelles » dans Alstom Transport à Siemens, l’Etat français est accusé de privilégier une aventure étrangère aux dépens d’un champion français.

S’il est une chose qui n’est pas contestée, c’est la nécessité, et même l’urgence, d’une consolidation d’Alstom Transport face aux géants asiatiques qui pointent leur nez sur le marché européen. Le japonais Hitachi a déjà mis un pied en Europe en absorbant l’essentiel des activités ferroviaires de l’italien Ansaldo et en vendant des trains à grande vitesse à la Grande-Bretagne. Il contrôle désormais l’entreprise de signalisation italienne Ansaldo STS, leader du fameux système de signalisation ferroviaire ERTMS. C’est une entreprise de Hongkong, MTR Corporation, qui a délogé le français Veolia du métro de Stockholm. La fusion des deux opérateurs chinois CSR et CNR, le 30 décembre 2014, en un géant mondial redoutable, déjà très impliqué dans la création d’une prometteuse « Route de la soie ferroviaire » entre la Chine et Hambourg, et qui a mis la main sur les activités ferroviaires du tchèque Skoda, ne pouvait laisser les Européens indifférents. Une fusion entre Siemens et Alstom est infiniment préférable au «  picorage » asiatique d’une industrie européenne en ordre dispersée, et à l’éventualité d’un rapprochement opportuniste entre Siemens et les Chinois. Et s’il faut envisager ultérieurement de prendre pied en Asie, le nouveau groupe européen disposera des moyens d’une telle ambition, qui n’est pas aujourd’hui à la portée de nos « champions nationaux » européens.

Berceau du chemin de fer, l’Europe ne comptait pas moins d’une quinzaine de producteurs de matériels roulants ferroviaires, pour la plupart autocentrés sur leurs étroits marchés domestiques, avant que les industriels asiatiques ne s’y intéressent pour en faire leurs têtes de pont européennes.

Alstom Transport est dans une position intermédiaire un peu paradoxale. Particulièrement dynamique et offensive sur les marchés extérieurs avec un carnet de commandes de l’ordre de 24 milliards d’euros, ses usines françaises quasi exclusivement dédiées au marché intérieur avec une gamme limitée à deux trains, le Régiolis pour les TER et le TGV pour les grandes lignes, sont confrontées à l’épuisement du modèle économique du TGV, et par conséquent de son « droit de tirage » politique sur une SNCF surendettée par l’investissement en LGV, qui a dû de surcroît déprécier plus de 12 milliards d’actifs en 2016 du fait d’un « suréquipement » en TGV.

On ne peut s’empêcher de penser que la fusion Alstom-Siemens procède d’une convergence d’intérêts entre, d’une part, le gouvernement français en recherche de cash dans le cadre de son programme de redressement budgétaire, Alstom dont les pressions sur la commande publique nationale atteignent des limites mises en lumière par l’épisode du « chantage » à la fermeture du site de Belfort, et d’autre part la nécessité de créer un géant européen dimensionné pour affronter la concurrence asiatique qui se profile.

Pour autant, cette opération n’est pas de même nature que la création d’Airbus. D’abord, parce qu’il s’agit d’une opération gigogne d’échange – acquisition d’actions, somme toute classique, et non pas d’un programme intergouvernemental volontariste, sous contrôle stratégique initial des gouvernements. Ensuite parce que de nombreux autres opérateurs européens, et non des moindres comme le français Thales en matière de signalisation, ne sont pas de la partie ! Sans compter les industriels suisses, britanniques, espagnols, roumains, polonais et tchèques qui ne sont pas quantités négligeables. Enfin parce qu’elle intervient dans un secteur industriel à maturité qui ne présente ni les mêmes caractéristiques pionnières, ni les mêmes perspectives de marché que l’aéronautique civile à l’aube d’Airbus.

S’il n’est pas interdit d’espérer que le rapprochement Alstom-Siemens en agglomère d’autres, il est fatal que cette consolidation prometteuse entraîne ultérieurement des restructurations, qui, pour l’instant, demeurent l’angle mort du dossier.

Il n’est donc pas étonnant que cette annonce – qui revient à sortir Alstom de son illusoire cocon colbertiste et à préparer l’industrie ferroviaire européenne à l’agressivité de concurrents asiatiques désormais à demeure sur le marché européen, et à niveau pour lui tailler des croupières sur le marché mondial – fasse l’objet d’interrogations voire de craintes.

Il est en effet très difficile aujourd’hui d’imaginer comment vont se répartir à terme les sites de production, les charges et les emplois du futur groupe, à la différence du « modèle » Airbus qui a constamment veillé à distribuer les plans de charges industriels de façon équitable entre les usines des différents pays du consortium.

Certes l’alternative d’une nationalisation d’Alstom, qui reviendrait à la maintenir à une taille sous-dimensionnée par rapport aux conditions actuelles de la concurrence mondiale, et à enfermer un peu plus ses usines françaises dans un marché domestique saturé (sans compter les clauses de protection contre les entreprises publiques sur les marchés concurrentiels étrangers) procède de la plus pure illusion protectionniste en économie fermée.

Les Anglais comme les Italiens nous ont démontré depuis longtemps que ce n’est pas tant la nature de la propriété qui garantit le mieux le maintien d’entreprises et d’emplois industriels dans nos vieux pays européens, que la capacité des Etats à y créer un climat et un environnement public propices à leur adaptation aux défis de la mondialisation des marchés.

La fusion des activités transports des deux champions européens du ferroviaire est incontestablement une chance pour l’Europe de continuer à figurer au premier plan du vaste marché ferroviaire mondial. Pour être utile à la France, elle devra rompre avec le confinement national, devenu trop étroit, dans lequel Alstom a maintenu ses usines françaises et leurs emplois, et leur faire profiter enfin de ses remarquables performances à l’étranger.

Mais, avouons-le, pour établir un parallèle crédible avec Airbus, il manque cruellement la dimension politique d’un accord industriel européen à ce dossier. »

Gilles SAVARY

Ewa

Chine : CNR et CSR vont fusionner

Selon l’agence Xinhua, les 2 grands constructeurs chinois de trains, China CNR Corp. Limited et CSR Corp.Limited ont confirmé leur fusion pour…  style= »margin-top: 15px; margin-bottom: 15px; padding: 0px; font-family: arial; font-size: 15px; line-height: 20px; background-color: rgb(255, 255, 255); »>
faire face à la concurrence mondiale. Ils mettront fin ainsi à une compétition effrénée et assureront la promotion de la technologie chinoise à l'étranger.

Les détails de la fusion seront connus en fin de semaine.