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Ewa

La France promet 20 000 tonnes de rails à l’Ukraine

Concluant une visite de plusieurs jours en Ukraine, le 23 avril, le ministre des Transports Clément Beaune a réuni les dirigeants des principales entreprises françaises du secteur « pour accélérer leur mobilisation » et aider à la reconstruction du pays en guerre avec la Russie. Les dernières évaluations estiment les besoins à 383 milliards, dont 83 milliards rien que pour les infrastructures de transports.

Outre le « don de bateaux pilotes » et la mobilisation de l’expertise technique d’Haropa Ports, gestionnaire des ports de la Seine, pour accroître les exportations de céréales, la France enverra des bus supplémentaires à l’Ukraine pour le transport scolaire. Et Paris s’est engagé à fournir 20 000 tonnes de rails pour « reconstruire plusieurs centaines de kilomètres de chemins de fer » endommagés par les combats et les bombardements, et « une dizaine de groupes électrogènes d’1,5 tonne, en plus de la vingtaine livrée dans les prochaines semaines aux chemins de fer ukrainiens« .

Lire aussi l’interview d’leksandr Pertsovskyi, patron des chemins de fer ukrainiens : ici

Ewa

Au moins 52 morts dans l’attaque russe de la gare de Kramatorsk

Plus d’une cinquantaine de personnes ont été tuées et une centaine blessées lors d’une attaque des Russes le 8 avril sur la gare de Kramatorsk dans l’Est de l’Ukraine, par où passent depuis plusieurs jours des milliers de personnes pour être évacuées vers des zones moins menacées. Deux roquettes sont tombées sur la gare selon la compagnie ferroviaire ukrainienne.

Selon un journaliste de l’AFP sur place un peu plus tôt, des centaines de personnes espéraient encore pouvoir trouver un train pour quitter la ville sous la menace d’une offensive russe majeure.

Ewa

En gare de Przemyśl, la solidarité européenne passe par les rails

Réfugiés ukrainiens mars 2022

La compagnie de transport tchèque RegioJet organise un pont ferroviaire entre Prague et Przemyśl. La gare de cette petite ville polonaise proche de la frontière avec l’Ukraine est devenue une étape clé pour les réfugiés fuyant la guerre. Reportage. 

Mercredi 9 mars, 20 h 27 exactement. Le train humanitaire n° 90051 de la compagnie RegioJet quitte le quai n°4 de la gare centrale de Prague. A son bord, encore peu de passagers. Quelques volontaires et quelques Ukrainiens expatriés qui ont décidé de rejoindre l’Ukraine pour participer à l’effort de guerre. Le terminus de ce train est Przemyśl, au sud-est de la Pologne à moins de 30 km du poste frontière de Medyka. De nombreux réfugiés passent par là, fuyant l’agression de l’armée russe, tentant de trouver comment poursuivre leur route.

Certains embarqueront dans ce même train. Lancé le 1er mars dernier, une semaine seulement après le début de l’offensive russe, ce pont ferroviaire entre la frontière ukraino-polonaise et Prague a déjà permis à des milliers d’Ukrainiens de fuir la guerre. Tous les jours, deux rames sont affrétées avec une capacité allant jusqu’à 600 réfugiés par train.

Cette mobilisation a un coût : 16 000 euros par jour. Et, pour l’instant, le programme, mené à bien par RegioJet, un opérateur privé tchèque, filiale de Student Agency, et People in Need – une organisation humanitaire tchèque – ne bénéficie d’aucune subvention. L’opérateur tchèque peut néanmoins compter sur la mobilisation de ses employés, certains d’entre eux en tant que bénévoles. C’est notamment le cas de Jakub. Il s’est porté volontaire pour effectuer ce voyage pas comme les autres. Depuis le
début de ces circulations spéciales, c’est le deuxième train qu’il accompagne. Dès le début de l’offensive russe, le jeune homme a eu envie d’agir. « Je n’arrive pas à imaginer devoir quitter mon foyer, de mettre toute ma vie dans une petite valise. Quand j’ai vu ce qu’il se passait en Ukraine et comment les habitants étaient obligés de fuir, j’ai su que je voulais agir. J’aime aider les gens. C’était logique pour moi de prêter main-forte aux réfugiés. »

L’exode des réfugiés

Arrivée en bus de Medyka, Ludmilla vient de Jytomyr une ville entre Kiev et Lviv Elle a fait le voyage avec sa mère et son fils de 11 ans. Son mari, sapeur-pompier, est resté en Ukraine :« Nous avons pris un train jusqu’à Lviv. Pendant, une vingtaine d’heures, sans aucune lumière la nuit. Contrairement à beaucoup de passagers, nous avions la chance de pouvoir nous asseoir. Mais le trajet était interminable. Maintenant, nous voulons partir en Allemagne. Ma sœur habite près de Francfort. » À peine sortie de la gare, elle s’engouffre dans un van à destination du « Tesco ». Un supermarché à quelques kilomètres de la gare dont le parking a été transformé en gare routière. De nombreux convois y sont organisés à destination d’une multitude de villes. L’ONG Singa y a ainsi affrété plusieurs bus à destination de la France.

La Pologne accueille une part très importante de réfugiés ukrainiens, qui sont désormais plus de 3 millions. Le 14 mars, plus de 500 000 Ukrainiens fuyant les bombardements de l’armée russe avaient voyagé gratuitement à bord des trains PKP Intercity des chemins de fer polonais. Selon la compagnie, près de 233 000 réfugiés ont voyagé depuis les zones frontalières dans diverses destinations à travers toute la Pologne, principalement vers Varsovie, Cracovie, Wrocław et Katowice. Entre le 24 février et le 13 mars, ce sont plus de 564 trains opérés par PKP Intercity et par des transporteurs régionaux qui ont circulé lors de cet exode ferroviaire massif. Du 24 février au 13 mars, la compagnie a déployé plus de 2 000 voitures supplémentaires sur l’ensemble du réseau polonais. Les cheminots sont mobilisés dans la gare de Przemyśl comme ils le sont dans celles de Lublin, Katowice ou Varsovie. Ils coordonnent le transport des passagers, les flux au sein des gares et les embarquements à bord des trains.

Solidarité européenne

Jan est venu de Cracovie, où il étudie dans l’espoir de devenir un jour conducteur de train pour les PKP. Il a commencé à travailler ici la veille à 22 heures : « Dans la gare, c’est très compliqué. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas où partir, qui ne savent pas quoi faire. Alors nous devons aider chacun à trouver sa route. »

Les bénévoles travaillent par roulement. Le jeune étudiant achève bientôt ses 12 heures à arpenter le hall de la gare pour aider les réfugiés. Parmi les pays les plus demandés pour la suite de leur périple, les pays baltes et surtout l’Allemagne. Jan explique l’incroyable mobilisation des Polonais : « En tant que Polonais, nous avons beaucoup en commun avec l’Ukraine. Beaucoup de choses nous réunissent. Vous pouvez voir les policiers, les habitants, les cheminots, tout le monde aide les Ukrainiens. » Jan revient sur l’ampleur du défi pour la Pologne : « A Cracovie, c’est vraiment très compliqué. Nous ne pouvons pas fournir à tous ces gens ce dont ils ont besoin. Nous n’étions pas préparés à cette situation. C’est un choc pour toute la Pologne. En tant que Polonais, nous nous sentons directement menacés. La Russie est pour nous l’adversaire le plus dangereux. » Les Polonais ont hérité du passé, une défiance absolue envers le voisin russe et se sont sentis d’emblée solidaires de leurs voisins ukrainiens.

Jordan quant à lui est venu pour un mois de Belgique. Malgré les réticences de certains de ses proches, hors de question pour lui de rester spectateur du drame humanitaire qui se joue à l’est de l’Europe. Il a vu la situation s’améliorer dans la gare. Il explique : « Au début, les réfugiés n’osaient pas se servir. Ils demandaient combien coûtaient les plateaux-repas qu’on leur offrait. Les premiers jours étaient chaotiques. Progressivement, nous sommes de mieux en mieux organisés. » Jordan qui arbore les couleurs de la Croix Rouge belge sur sa chasuble fluo est venu ici par ses propres moyens. Il a trouvé un lit chez l’habitant, après avoir dormi quelque temps dans la gare.

La gare de Przemyśl entièrement mobilisée

Devant la gare de Przemyśl, le ballet des minibus, des cars et de voitures est incessant. Des panneaux où s’écrive une multitude de destinations sont brandis et des décisions sont prises.

La gare est devenue l’interface entre l’Union européenne et la guerre, elle est l’une des scènes où se joue le drame du conflit. Le flot des réfugiés arrivant de la frontière est constant. Les volontaires sont notamment chargés de trouver des solutions pour que les Ukrainiens puissent continuer leur route. Postés sur les quais et dans le hall de la gare, ils essaient déjà de parvenir à communiquer. Peu de traducteurs sont présents et de nombreux dialogues s’effectuent avec un mélange de langue des signes improvisée et quelques mots scandés en plusieurs idiomes, noms de lieux ou de pays.

Le moindre espace de la gare est mobilisé pour l’accueil des réfugiés et l’entreposage des nombreux dons. Les réfrigérateurs du buffet permettent de préserver les produits frais qui constituent les repas proposés aux réfugiés.

Des marquages au sol délimitent l’espace où les réfugiés peuvent s’installer sans déranger la circulation au sein de la gare, notamment entre les quais et la sortie. Dans cet espace encadré, les réfugiés se tassent, tentant de trouver une position leur permettant de se reposer un peu avant la prochaine étape de leur exode. Très peu d’hommes entre 18 et 60 ans sont présents, ils n’ont plus le droit de quitter le pays, mais beaucoup de femmes, d’enfants, de personnes âgées. Ils y attendent de très longues heures, même parfois des jours entiers.

Pendant ce temps, la gare essaie de garder un mode de fonctionnement normal. Les équipes de nettoyage doivent slalomer entre tout ce monde pour maintenir un semblant de propreté. Autour de la gare gravite une foule hétéroclite de réfugiés, de volontaires de Pologne et d’ailleurs et de nombreux journalistes, venus de toute la planète média. Partout des uniformes, des logos et des acronymes différents. La multiplicité des langues donne à la gare des airs de Babel de l’humanitaire.

Un train de nuit vers la sécurité

Le train de nuit à destination de Prague est à quai. La nuit est tombée et le froid est devenu particulièrement mordant. A l’entrée de chaque voiture, un agent RegioJet accueille les réfugiés, les guide jusqu’à leur couchette, en essayant de ne pas séparer les familles.

Les voitures sont chauffées, les couchettes molletonnées… Très vite, les passagers épuisés investissent les couchettes, tirent les rideaux, éteignent les lumières et se reposent… enfin. Quand le train part après 22 h 30, ils sont déjà nombreux à dormir…

Certes, la situation est aujourd’hui dramatique. Mais, dans cette petite gare, dans les voitures de ce train de nuit, il émerge un incroyable élan de solidarité. En face des bombes de Poutine, l’empathie qui s’exprime en gare de Przemyśl et dans les trains européens constitue peut-être la plus belles des réponses.

Samuel Delziani, envoyé spécial

 

Prague à l’heure de la guerre en Ukraine

Prague vit à l’heure de la guerre en Ukraine. Les avenues de la ville sont pavoisées aux couleurs de l’Ukraine, tout comme de nombreux bâtiments, qu’ils soient publics ou non. Partout, le jaune et le bleu marquent la solidarité de toute une ville. Une solidarité particulièrement visible à la gare centrale de la capitale de la République tchèque. Dans le bâtiment voyageur historique, construit entre 1901 et 1909 par l’architecte tchèque Josef Fanta, un centre d’accueil pour les réfugiés fuyant la guerre en Ukraine a été installé par la municipalité. Les nouveaux arrivants y sont guidés par des volontaires pour trouver un hébergement ou continuer leur voyage dans le pays ou ailleurs. La République tchèque a déjà accueilli 200 000 réfugiés depuis le début du conflit. A Prague, des gymnases ont dû être réquisitionnés pour servir de centres d’hébergement .

Ewa

Les Héros du fer. Une interview exclusive de Oleksandr Pertsovskyi, PDG des Chemins de fer ukrainiens- Voyageurs

Oleksandr Pertsovskyi, PDG des chemins de fer ukrainiens

Le patron de la branche voyageurs des Chemins de fer ukrainiens Oleksandr Pertsovskyi, a accordé la nuit dernière par Skype une interview à Ville, Rail & Transports (*voir la vidéo ci-dessous). Parti de chez lui le premier jour de l’invasion pour ne plus y revenir, le jeune dirigeant (36 ans) rappelle que le train est le seul moyen d’évacuation des réfugiés qu’il veut acheminer « jusqu’au dernier moment ». Et salue le courage des cheminots qui prennent chaque jour d’énormes risques. Déjà 26 d’entre eux ont perdu la vie.

Ville, Rail & Transports. Dans quel état se trouve le réseau ferré ukrainien aujourd’hui ? Quelles parties du territoire ne pouvez-vous plus desservir ?

Oleksandr Pertsovskyi. Actuellement, 90 % du réseau ferré est intact malgré quelques ponts détruits. Cinq ou six grandes gares ne sont plus accessibles, comme celle de Marioupol ou de Mykolaïv. Mais nous pouvons contourner les voies et équipements endommagés grâce à des routes alternatives. Dans ce cas, les réfugiés montent dans des bus qui les conduisent dans des gares accessibles.

Il y a deux axes majeurs, un vers l’Est (vers la Russie et la Biélorussie) et l’autre vers l’Ouest. L’axe Est n’est plus accessible : il n’est plus sous contrôle ukrainien et nous n’y avons plus accès. L’axe Ouest en revanche fonctionne. Mais il est attaqué sur plusieurs fronts, venant des zones Nord, Est et Sud. La partie Ouest se fait progressivement encercler.

VRT. Combien de réfugiés avez-vous déjà transporté ?

O. P. Au 11 mars, nous aurons transporté deux millions de personnes. Ce chiffre reste approximatif car en ce moment nos trains transportent quatre à cinq fois plus que leur capacité. Comme nous avons arrêté notre système de billetterie, nous embarquons autant de personnes que possible sur les trains. Nous faisons un gros compromis sur la sécurité…

Les trains sont pleins dans un sens. Dans l’autre sens, ils sont remplis de vivres et de matériels.

VRT. Combien de cheminots travaillent pour faire fonctionner les chemins de fer ?

O. P. Nous sommes le premier employeur du pays avec 230 000 cheminots. 70 à 80 % travaillent au niveau opérationnel et sont sur le terrain. Et tous restent en contact avec l’entreprise. Ils aident à protéger le matériel, à l’entretenir et à garder les dépôts en état de marche.

Certains cheminots ont quitté leur ville, beaucoup sont partis de l’Est du pays pour aller à l’Ouest. Et, de là où ils sont, ils essaient de contribuer au fonctionnement de l’entreprise. Dans leur majorité, ils restent très actifs.

VRT. Avez-vous perdu beaucoup de matériel roulant ? Dans quel état se trouve-t-il ?

O. P. Le matériel roulant qui était proche de la frontière biélorusse a été attaqué car une réserve de fioul se trouve à côté. En attaquant cette réserve au début du conflit, les Russes ont détruit des trains et le dépôt a été endommagé. Des trains ont déraillé.

Au nord de Marioupol, des trains attendaient, prêts à évacuer des réfugiés. Mais ils ne pouvaient pas partir, tellement les bombardements étaient intensifs. Et le réseau a été endommagé. Fort heureusement, personne n’est mort dans l’attaque.

Nous avons tout de même réussi à acheminer du matériel roulant là-bas pour évacuer des gens vers Kiev. Aujourd’hui, on attend le cessez-le-feu pour réparer le matériel.

VRT. Dans quel état d’esprit êtes-vous ? Et quel est celui des cheminots ?

O. P. Chaque jour, nous nous livrons à un véritable numéro d’équilibriste. Nous espérons pouvoir évacuer les réfugiés jusqu’au dernier moment.

Lors des attaques, il y a toujours un risque d’encerclement de la rame, de la ville, ou de destruction de l’infrastructure. A chaque fois, le risque est fort de voir le train et nos personnels rester coincés… Malgré toute la coordination mise en place avec les militaires et malgré la data, nous ne sommes jamais totalement sûrs de pouvoir partir.

Comme le train est le seul moyen d’évacuation, nous faisons tout pour protéger les équipes et les réfugiés. Nous sommes tout le temps sous la pression des autorités locales, mais nous préférons retarder les trains pour être sûr de les faire passer en sécurité.

Je suis fier du courage des conducteurs, des agents de bord, des personnels de l’infrastructure et de la maintenance. Tout le monde prend d’énormes risques.

VRT. Y a-t-il eu beaucoup de victimes parmi les cheminots ?

O. P. Vingt-six cheminots sont morts en travaillant ou en dehors de leur travail. Pour aider les employés, pour les encourager, nous sommes aussi sur le « front », pour être avec eux, à leur côté, pour leur montrer que personne n’est assis derrière son bureau. Nous sommes toujours en mouvement.

Nous avons mis en place des protocoles pour assurer la sécurité de l’infrastructure. Des ingénieurs vérifient la stabilité du réseau. En temps normal, les trains peuvent rouler jusqu’à 160 km/h. Nous avons instauré des limitations de vitesse : 60 km/h dans les régions les plus attaquées, et 80 km/h dans les régions moins exposées. Cela rend la gestion des horaires très complexe mais réduit le risque au maximum.

VRT. Qu’est-ce qui vous tient debout ?

O. P. Les gens sont forts, il y a beaucoup de résilience. Très peu d’agents ont disparu. L’immense majorité est restée à son poste et continue à être active pour faire tourner les trains. Chacun à sa façon, cela peut être de chercher à assurer la sécurité, en étant dans les gares qui sont bondées…

Beaucoup de monde cherche à quitter les villes bombardées, se rue dans les gares. Un des grands défis est de maintenir la sécurité dans les gares. Il y a des milliers et des milliers de gens qui veulent monter dans les trains. Or, nous sommes limités en nombre pour assurer la sécurité dans les gares, car la priorité de la population est avant tout de défendre la ville. Nous travaillons dans des conditions extrêmement stressantes.

Avant la guerre, nous avions beaucoup travaillé sur le marketing et la satisfaction clients car nos enquêtes montraient que nos passagers nous critiquaient pour nos retards et nos prix. Maintenant, les gens ne payent plus le train, mais ils se montrent solidaires et ils donnent de l’argent pour soutenir l’entreprise… malgré le manque de confort dans les trains !

Ce soutien est une force qui motive les cheminots.

En interne, nous avons mis en place un programme de motivation qui s’appelle « le héros de fer » pour honorer toutes les personnes qui se surpassent ou qui sortent du cadre de leur métier. Ce programme sélectionne jusqu’à une dizaine de cheminots tous les jours : ça peut être un conducteur qui a été dans une zone dangereuse, un agent à bord d’un train ou encore un patron de dépôt.

VRT. Disposez-vous d’assez d’électricité pour le réseau, compte tenu des menaces sur l’énergie nucléaire ?

O. P. La moitié du réseau est électrifiée et la distribution de l’énergie reste gérable. Nous avons eu très peu de pannes de courant jusqu’à présent. Et quand il y en a, nous pouvons utiliser des trains diesel.

Une sorte de rééquilibrage s’est opérée en faveur des trains de voyageurs puisqu’il y a moins de trains de marchandises. Le fret ferroviaire acheminait avant la guerre 800 000 tonnes par jour, il ne représente plus que 200 000 à 250 000 tonnes par jour. Nous pouvons donc récupérer du matériel fret plus puissant pour tracter des trains de passagers.

L’Ukraine n’a pas assez de locomotives. Nous avons d’ailleurs un partenariat avec Alstom qui devait nous livrer du matériel. Nous disons merci à Alstom de s’être dissocié de son partenariat avec la Russie. Cela montre que cette entreprise a une éthique.

VRT. Etiez-vous préparé à ce scénario de guerre ?

O. P. Non, il n’y avait aucune préparation à la guerre. Aujourd’hui, il faut improviser en permanence, savoir s’adapter aux fluctuations des situations. Dans le métier ferroviaire, on prépare les plans de transport une fois par an. Maintenant, il faut le faire quotidiennement, c’est très compliqué. C’est le challenge le plus dur en ce moment, mais ce n’est rien comparé à ce que font ceux qui défendent le pays.

VRT. Plus précisément, quel est votre rôle de manager en cette période ?

O. P. Il faut trouver un équilibre entre gérer la boîte (c’est « business as usual » avec des réunions sur le fonctionnement de la structure) et aller sur le terrain, être toujours en mouvement, se montrer au côté des cheminots et auprès des clients. Il faut faciliter les circulations, aller dans les dépôts, se déplacer au travers du pays. C’est toujours un challenge de pouvoir se déplacer.

L’autre changement, c’est que nous avons donné beaucoup plus de pouvoirs aux équipes régionales pour gérer les circulations et le fonctionnement de l’entreprise. Il y a six régions. Avant la guerre, tout était beaucoup plus centralisé. Désormais, il faut réagir vite et prendre des décisions basées sur chaque situation locale. Le système fonctionne très bien.

VRT. Vous êtes jeune (36 ans, nous avez-vous dit), comment êtes-vous arrivé à la tête de la division voyageurs des chemins de fer ukrainiens ?

O. P. Mon histoire est différente du parcours du cheminot classique. J’ai passé toute ma jeunesse en Ukraine, puis obtenu une bourse pour étudier aux USA, où j’ai étudié la finance. J’ai ensuite travaillé plusieurs années chez DHL sur la logistique.

En 2016, le gouvernement a lancé un appel aux Ukrainiens travaillant à l’étranger pour aider à la transformation du pays. L’objectif était de rendre plus professionnelles les entreprises publiques. J’ai commencé à travailler pour la Poste, le deuxième employeur du pays, et nous avons alors beaucoup travaillé à rendre l’entreprise plus proche de ses clients. Il y a un an et demi, j’ai été invité à reprendre la direction des chemins de fer ukrainiens. Maintenant, la majeure partie de l’équipe dirigeante est composée de jeunes managers qui ont plutôt une formation économique et commerciale. Notre pays cherche à casser les monopoles. Ce qui le différencie de notre voisin à l’Est, qui ne l’accepte pas.

Quand Poutine a annoncé la guerre, il a d’ailleurs affirmé que les organismes d’Etat comme la Poste et les chemins de fer étaient dirigés par des agents de l’Ouest… C’est aussi une de ses raisons pour remettre notre pays dans le droit chemin.

VRT. Quel est votre quotidien et arrivez-vous à voir votre famille ?

O. P. Avec des journées de 18 heures, 19 heures, je n’ai pas le temps de réfléchir… J’ai quitté mon domicile la première nuit de l’attaque et ne suis toujours pas rentré. Je suis tout le temps en mouvement.

J’ai toujours senti que cette invasion allait arriver mais pas à cette échelle. J’avais un bagage avec le strict nécessaire déjà prêt.

Quand la guerre a commencé, j’ai réussi à faire évacuer mes parents qui étaient à l’Est, ainsi que ma fiancée et mon fils, grâce au service ferroviaire. Cela me permet d’être concentré à 100 % sur mon job. Et d’aider les gens.

Quand je pense aux conducteurs de train, aux risques qu’ils prennent pour acheminer des trains à travers le pays, je suis encore plus motivé. C’est pareil pour tout le monde dans l’entreprise.

L’Ukraine avait énormément d’ambitions pacifiques. Le projet pour notre entreprise, c’était la rénovation du matériel roulant, une nouvelle application… Nous avons travaillé jusqu’au dernier moment sur nos projets.

Bien sûr, parallèlement, je réfléchissais à des plans d’urgence au cas où… mais je n’imaginais pas une telle ampleur. Nous avons quand même réussi à anticiper mais, jusqu’au dernier moment, je ne savais pas que ça se passerait ainsi. C’est surréaliste.

VRT. Quelles sont vos relations avec le gouvernement ?

O. P. Nous sommes très proches du gouvernement. Nous travaillons directement avec le ministère des infrastructures qui coordonne tous les réseaux et les différents modes de transport. Par exemple, nous avons ouvert une nouvelle route d’évacuation multimodale. Nous acheminons en train les réfugiés jusqu’à la ville d’Izmaïl. Après, ils voyagent par bateau et remontent le Danube jusqu’en Roumanie.

VRT. Comment coopérez-vous avec les autres entreprises ferroviaires européennes ?

O. P. Nous nous félicitons du partenariat mis en place avec les chemins de fer polonais. Avant la guerre, moins de 1 000 passagers voyageaient chaque jour entre la Pologne et l’Ukraine. Désormais, c’est entre 20 000 et 25 000. Nos amis polonais permettent à un plus grand nombre de trains ukrainiens de rentrer en Pologne et facilitent les procédures. Je peux aussi citer la coopération avec nos amis italiens qui nous donnent des trains médicalisés pour expatrier, sur la frontière ouest, les blessés vers d’autres pays européens.

VRT. Quels messages avez-vous le plus envie de faire passer ?

O. P. Je suis optimiste. Quand j’ai un moment, je réfléchis avec mes équipes à l’après. Le prochain chapitre, ce sera la reconstruction. Une Ukraine prospère dans laquelle le ferroviaire jouera un très grand rôle. Je crois en un très grand réseau ferroviaire européen. J’ai un message à faire passer à l’industrie : un jour ou un autre, ce cauchemar va se terminer. On va reconstruire et inviter les voyageurs enthousiastes ainsi que les experts ferroviaires à travailler avec nous. J’encourage tout le monde à réfléchir à cet avenir pour ouvrir de nouvelles perspectives. Le prix que nous payons, c’est pour que l’Ukraine reste libre et continue à faire partie de l’Europe.

L’autre message, c’est que je veux remercier la communauté internationale ainsi que les compagnies ferroviaires qui ont décidé de nous soutenir et de ne plus opérer dans le pays qui lance cette incroyable agression.

Propos recueillis par Frédéric Demarquette et Marie-Hélène Poingt

Ewa

Un pont ferroviaire pour les réfugiés ukrainiens 

Seule issue pour fuir la guerre après la suspension des vols des compagnies aériennes : la voie terrestre. Rapidement, des opérateurs ferroviaires ont mis en place une sorte de pont ferroviaire pour aider les populations à fuir les zones de conflit. Il s’agit notamment d’un train de nuit quotidien reliant Prague en République tchèque et Przemysl, à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, puis assurant le retour, toujours de nuit, acheminé par l’opérateur ferroviaire tchèque RegioJet. « Il y a dix voitures-couchettes et jusqu’à dix wagons de fret ferroviaire », précise Nike Brooks, le secrétaire général de l’association Allrail, qui souhaite mettre l’accent sur la mobilisation de nombreuses compagnies ferroviaires, publiques et privées.

« Organisé au pied levé » par RegioJet, poursuit Nike Brooks, le premier de ces trains a quitté le 1er mars Prague à destination de Przemysl, en partenariat avec les chemins de fer ukrainiens Ukrzaliznytsia (UZ), l’organisation caritative tchèque Člověk v tísni (« personnes dans le besoin » en tchèque) ainsi que les entreprises de fret ferroviaire ČD Cargo et Rail Cargo Group. Chaque soir vers 20 heures, un train part de la gare centrale de Prague pour se rendre à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, après des arrêts dans quelques grandes villes (dont Pardubice en République tchèque ou Cracovie en Pologne). A l’aller, il transporte jusqu’à 600 palettes de nourriture destinées à Kiev, mais c’est un train des chemins de fer ukrainiens (UZ) qui prend le relais de la frontière jusqu’à la capitale ukrainienne. « En effet, à Przemysl, il est facile de changer de train car l’écartement ferroviaire est différent entre l’Ukraine et la Pologne », rappelle Jakub Svoboda, directeur des Affaires internationales pour RegioJet. Au retour et roulant de nouveau de nuit, le train, souvent plein à partir de Przemysl, offre 400 couchettes aux réfugiés. Le transport est gratuit et de la nourriture et des boissons sont distribuées à bord.

Les cheminots ukrainiens assurent un service intensif

Chaque jour, de nombreux trains UZ assurent aussi l’évacuation de civils à partir d’autres villes ukrainiennes sinistrées. « Avec un parc vieillissant et des infrastructures en état moyen, les cheminots UZ assurent un service intensif pour évacuer les réfugiés loin des zones de combat dans des conditions dantesques avec le risque d’une attaque à tout moment par l’aviation russe », indique de son côté le conducteur belge de trains Eurostar, Benjamin Gravisse, sur son compte Twitter Red Samovar. Fin connaisseur de la Russie et de l’Ukraine, il estime que « les Russes (principalement l’armée de l’air) ayant lancé des opérations plus massives ces derniers jours, il y a fort à parier que le réseau des UZ est fortement impacté dans la partie est du Pays ». Et il ajoute que « les cheminots ukrainiens (ils sont 375 000 selon lui, ndlr) ont aussi coupé le transit des trains de fret en provenance de la Russie, ce qui impacte sérieusement la logistique russe (les Russes exploitant au maximum les RZD pour leur logistique) ».

Citons aussi, parmi les autres compagnies ferroviaires mobilisées, la tchèque ČD, qui a mis en place des liaisons ferroviaires entre différentes villes tchèques et Przemysl, ou encore la compagnie publique polonaise PKP Intercity, qui dessert également la ville frontalière de Przemysl. « Ses trains sont aménagés pour accueillir des blessés ainsi que pour transporter du matériel humanitaire (nourriture, médicaments et couvertures) », rapporte le secrétaire général de l’Alliance des nouveaux entrants du transport ferroviaire de voyageurs. « PKP Intercity se charge aussi de coordonner différentes initiatives de solidarité à travers le réseau polonais et à la frontière avec l’Ukraine. Et il a aménagé ses gares pour l’accueil et la distribution de vivres en faveur des réfugiés ukrainiens. »

Enfin, ailleurs sur le continent, de nombreux opérateurs ferroviaires européens ont décidé de transporter gratuitement les réfugiés sur leurs réseaux. C’est le cas notamment de la SNCF, de la DB, de Transdev Deutschland, de Flixtrain (Allemagne), de Leo Express (République tchèque), de Westbahn, des ÖBB (Autriche), de MTRX (Suède), des NS (Pays-Bas) ou encore des DSB (Danemark).

Plus de deux millions de réfugiés ont déjà quitté le pays selon le Haut-Commissariat pour les Réfugiés. L’ONU estime que ce nombre pourrait atteindre quatre millions dans un futur proche.

Marie Hélène Poingt