L?Amendement 119 de la loi créant l?autorité de régulation des activités ferroviaires est-il compatible avec le règlement européen sur les obligations de service public ? Une question apparemment simple que de nombreux acteurs du transport ont déjà posée ces derniers jours à la Commission européenne. Les services de la DG Tren se voient sollicités soit par les concurrents de la SNCF et de la RATP, soit par d’autres villes intéressées par la situation parisienne. Mais à cette question simple, pas de réponse évidente. « Ce règlement est le plus mal foutu que j’ai jamais vu, soupire d’ailleurs un spécialiste. Quand vous négociez sept ans sur un texte, voilà ce que ça donne ! » Du coup, chacun a sa version… A quelques jours de l’entrée en vigueur du règlement, le 3 décembre prochain, la Commission européenne reste circonspecte. Circonspecte face aux arguments de ceux qui estiment que l’amendement viole le texte européen puisque l’Etat se substitue de facto au Stif pour prolonger les contrats jusqu’au plus tard 2039. Réponse : l’article 8 prévoit que la période de transition peut s’étendre jusqu’à 30 ans pour les contrats existants conclus avant le 3 décembre 2009, in extremis Paris serait donc dans les clous… Circonspecte aussi face à ceux qui affirment que cela revient à faire de la RATP, entreprise publique, une régie, un opérateur interne et que dans ce cas-là, l’article 5 alinéa b s’applique : « L’opérateur interne et toute entité sur laquelle celui-ci a une influence, même minime, exercent leur activité de transport public de voyageurs sur le territoire de l’autorité locale compétente […] et ne participent pas à des mises en concurrence […] en dehors du territoire de l’autorité locale de compétence. » Le fameux principe du cantonnement géographique : l’opérateur interne a un marché garanti mais il ne peut pas participer à d’autres appels d’offres ailleurs. Réponse : « A priori, nous ne voyons pas d’énormes problèmes avec l’amendement 119, il essaie de clarifier la situation juridique, l’Etat désigne le Stif comme autorité organisatrice de ces contrats, explique-t-on à Bruxelles. La loi française intervient avant l’entrée en vigueur du règlement. Par conséquent, celui-ci ne s’applique pas, la clause de réciprocité ou le cantonnement géographique lié au choix d’un opérateur interne ne seront d’actualité qu’après le 3 décembre. » Concrètement, cela signifie que pendant plusieurs décennies, la RATP pourrait préserver son pré carré tout en utilisant son savoir-faire pour remporter des marchés chez les autres, comme sa filiale RATP Dev a déjà commencé à le faire. Ce n’est qu’après 2024 pour les bus, 2029 pour les trams ou 2039 pour les métros que la question de la concurrence se posera. Avec un bémol, les nouvelles lignes éventuelles qui tomberont sous le régime du règlement dès leur mise en service. A ce stade, la Commission ne semble pas décidée à faire du texte un cheval de Troie de la libéralisation et de la concurrence. Selon elle, le principal avantage du règlement, c’est qu’il introduit plus de transparence. Il ne faut pas oublier non plus qu’il a été finalisé et négocié par un Commissaire français aux Transports, forcément au fait des subtilités hexagonales. La RATP et la SNCF ont su faire entendre leurs voix au moment de la rédaction. De fait, Bruxelles peut faire un travail d’éclaircissement, mais c’est désormais la Cour européenne de justice qui va être décisionnaire. En cas d’éventuelles plaintes de concurrents qui s’estimeraient lésés par la loi française, ce sont les juges de Luxembourg qui devront se pencher sur le dossier et trancher en fonction de la jurisprudence de la cour. Bruxelles a néanmoins transmis des questions à la France pour mieux comprendre, une session d’information a déjà été organisée à la Représentation permanente française, « l’ambassade » de Paris auprès de l’Union européenne. Des réunions d’explication et d’éclairage devraient aussi se tenir courant janvier avec les représentants des Etats membres. Etant donné qu’il n’y a que deux fonctionnaires européens chargés du service après-vente du règlement, ils sont un peu débordés… « On va s’amuser », soupire-t-on à la DG Tren.
Isabelle ORY