L’Etablissement public de sécurité ferroviaire, qui a réalisé au printemps dernier des opérations de contrôle de la maintenance sur la zone Atlantique a constaté des centaines d’anomalies dans la maintenance des rails, indique Le Parisien du 21 août. Le quotidien évoque notamment des éclisses avec des boulons desserrés ou manquants – un élément qui a joué un rôle essentiel dans le déraillement du train Intercités Paris – Limoges à Brétigny-sur-Orge (Essonne) qui avait fait sept morts et plus de 30 blessés le 12 juillet 2014.
Par ailleurs, sur les 413 anomalies de signalisation électrique relevées par la SNCF, les enquêteurs ont constaté que 20 % ont été traités hors des délais réglementaires. Autre découverte inquiétante, en Haute-Vienne, deux fils ont été rongés. Dans l’accident de Denguin (Pyrénées-Atlantiques) en 2003, où un TER et un TGV étaient rentrés en collision, blessant une dizaine de personnes, on avait également constaté que des fils électriques avaient été rongés.
Les pouvoirs étendus de l’EPSF
Interrogée par RTL, la ministre chargée des Transports a nuancé les conclusions du rapport. « S’il y avait un problème de sécurité immédiat, l’EPSF pourrait arrêter un équipement, arrêter une circulation, mais il ne l’a pas fait » a-t-elle affirmé, avant de pointer du doigt « des décennies de sous-investissements dans le réseau » à l’origine de ces anomalies. Elisabeth Borne a aussi rappelé que 3,6 milliards d’euros seront investis chaque année sur le réseau soit « 50 % de plus que ce qui se faisait au cours de la dernière décennie ».
L’inspection réalisée par l’EPSF est un des audits régulièrement menés par le gendarme ferroviaire pour s’assurer du respect des normes de sécurité. En 2018, l’EPSF a ainsi effectué un total de 306 contrôles auprès des gestionnaires d’infrastructures, des entreprises ferroviaires et des organismes de formation. La plus grande part des contrôles vise bien sûr les infrastructures et depuis l’accident de Brétigny, l’EPSF a renforcé ses enquêtes « opérationnelles » liant inspections sur le terrain et sur la maintenance.
Une échelle de gravité de 1 à 4
Selon un expert ferroviaire indépendant, une anomalie ne signifie pas qu’il y ait un risque immédiat. « Les voies se trouvent dans un univers évolutif. Trouver des anomalies lors d’un contrôle peut s’expliquer si la dernière tournée d’inspection remonte à deux semaines. Elle devient préoccupante si une tournée vient d’être effectuée et que l’anomalie n’a pas été détectée« , explique cet expert. Lors de ses inspections, l’EPSF analyse le risque et indique s’il y a un « écart », lequel écart se classifie selon quatre niveaux de gravité décrits dans sa procédure des contrôles : le point de fragilité étant une simple observation, la réserve est une non conformité mineure (l’EPSF demande alors une analyse des causes et un plan d’action), l’écart majeur porte bien son nom et peut nécessiter des mesures rapides, tandis que le point bloquant équivaut à un risque grave et imminent nécessitant d’arrêter les circulations pour être traité. Ces dernières années aucun point bloquant n’a été relevé sur le réseau ferré. Et on a recensé 8 % d’écarts majeurs en 2017.
Un réseau vieillissant mais en voie d’amélioration
Si l’on s’en tient à quelques indicateurs clé de la SNCF et de l’EPSF, on constate au contraire que l’état du réseau s’améliore. En quatre ans, les ruptures de rail ont quasiment été divisées par deux. Depuis trois ans, les événements de sécurité remarquables, ceux qui représentent les menaces les plus graves, ont reculé de 30 %. Même si elles font souvent la une de l’actualité et sont très pénalisantes pour les voyageurs, les pannes de signalisation sont moins nombreuses : on en recensait 416 en 2013, mais 228 en 2018. Quant aux « gauches de voies » (qui touche à la géométrie des voies avec l’affaissement de la structure par exemple), on en comptait 172 en 2013, mais 47 en 2018. Comme le dit la FNAUT, observateur attentif et exigeant des transports : « On va dans le bon sens ». Un constat que dit partager l’EPSF.
Cela ne veut pas dire que l’état du réseau est aujourd’hui satisfaisant. La France paie des années de sous-investissements et il faudra du temps pour remettre à niveau son réseau vieillissant. Mais Brétigny a laissé des traces et il n’est plus question de tergiverser.
Un défi humain à relever
L’enjeu aujourd’hui, c’est non seulement d’affecter des milliards sur les infrastructures mais aussi d’attirer de nouvelles recrues dans des métiers réputés difficiles alors que les besoins sont immenses. Enfin, il faut assurer la transmission du savoir-faire et de la connaissance du patrimoine ferroviaire local, essentiels dans les tournées d’inspection. Or, ces connaissances se perdent avec les vagues de départs des anciens, entend-on dire en interne et par des experts extérieurs. Même si la digitalisation vient en renfort, le facteur humain reste fondamental pour assurer la maintenance, confirme-t-on du côté de l’EPSF. C’est aussi ce qu’avait relevé l’enquête menée après l’accident de Brétigny. Un défi essentiel auquel doit faire face SNCF Réseau.
Marie-Hélène Poingt
Les syndicats demandent plus de moyens.
« Les circulations ferroviaires en France restent globalement fiables et sûres grâce à l’investissement des cheminots de la SNCF qui font correctement leur travail dès lors qu’on leur en donne les moyens structurels, organisationnels, fonctionnels et financiers », souligne la CGT-Cheminots en réaction à l’article du Parisien du 21 août. Le syndicat réclame plus de moyens, en rappelant que « la réforme de 2014 prévoyait le recrutement de 500 agents par an jusqu’en 2020, pour faire face au défi de la régénération des voies. Cet objectif n’a jamais été réalisé. Pire, en 2018 nous enregistrions –285 agents pour l’entretien ». Dans le même temps, ajoute dans un communiqué la fédération, la sous-traitance a augmenté de 35% à la SNCF. De son côté, Sud-Rail estime que les 3,6 milliards d’euros annuels qui doivent être consacrés à partir de l’année prochaine au renouvellement des infrastructures sont loin d’être suffisants. « Pour exemple, la Suisse consacre 7 milliards d’euros pour l’entretien et 1,4 milliard d’euros pour un réseau qui est pourtant quasiment dix fois inférieur au nôtre », écrit le syndicat dans un communiqué.
Enfin l’Unsa qui se dit prudent sur le fond du rapport faute de l’avoir lu (mais qui l’a lu parmi tous ceux qui en parlent?), déplore aussi le sous-investissement chronique dont souffre le réseau depuis 40 ans. Et comme les deux autres syndicats, s’interroge sur la fuite de ce rapport « dans un contexte et un calendrier politique tendus pour la SNCF ».
3,6 milliards prévus à partir de 2020 pour la modernisation
En 2018, SNCF Réseau a globalement investi 5 milliards d’euros sur le réseau, dont plus de 2,7 milliards d’euros à la modernisation. Cette année, le gestionnaire d’infrastructures prévoit d’investir 100 millions de plus à la rénovation, soit plus de 2,8 milliards milliards allant au renouvellement des voies (1050 km prévus), aux ouvrages d’art, caténaires, signalisation, télécommunications… avec une montée en puissance des investissements sur la partie alimentation électrique du réseau.
Depuis 2017, 500 appareils de voies sont renouvelés annuellement (contre 326 en 2013), comme le préconisait Vigirail, le plan d’amélioration et de modernisation de la maintenance, lancé peu après l’accident de Brétigny du 12 juillet 2013.
Désormais, l’objectif est de consacrer, à partir de 2020, un investissement de 3,6 milliards d’euros par an à la régénération du réseau, comme vient de le rappeler Elisabeth Borne, la ministre des Transports. Reste à savoir comment il sera financé.