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Ewa

Les mobilités au rang des priorités

Désolés de nous répéter, mais l’urgence climatique est grande, et devrait être en tête de liste des préoccupations de la prochaine élection présidentielle. Pas la peine de se leurrer, ce n’est jusqu’à présent pas le cas, et ce n’est pas franchement parti pour le devenir. Pas une raison pour baisser les bras. Que la campagne s’en empare ou pas, l’urgence
est là et le ou la future locataire de l’Elysée n’y échappera pas.

Nous avons demandé à certains des spécialistes — universitaires, responsables, ONG, think tanks — les plus reconnus du monde des transports de nous dire quels sujets devraient être en tête des préoccupations de nos futurs dirigeants. Une première salve de contributions paraît dans ce numéro. Celles d’Aurélien Bigo, de Diane Strauss, de Jean-Pierre Orfeuil, de Jean Coldefy, de Christophe Gay et Sylvie Landriève et, dans le domaine des transports de marchandises qui mérite un chapitre à part, de Lætitia Dablanc. Un second ensemble paraîtra dans celui de février. Argumentées, charpentées, ces contributions n’ont rien d’un tract électoral… Mais elles nous permettront d’interpeller en connaissance de cause les candidats. De leur poser les questions les plus pertinentes. Et de voir si, derrière les mots d’ordre d’une campagne électorale, ils ont pris le temps de bien penser une question devenue vitale.

« Instaurer les 110 km/h sur les autoroutes »

Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports

VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?

Aurélien Bigo. Les politiques publiques font actuellement la promotion de modes de transport ou de technologies bas-carbone. Mais dans le même temps, les mobilités intenses en énergie et en carbone ne sont pas découragées, voire même sont encouragées. La somme de ces tendances positives et négatives nous mène au total à des émissions relativement stables ces dernières années, loin des fortes baisses d’émissions nécessaires. Les mesures proposées ici visent à assumer la baisse des usages les plus carbonés actuellement en vigueur.

1. Abaisser les vitesses sur les routes, en particulier en instaurant les 110 km/h sur les autoroutes et 100 km/h sur les nationales, mesure permettant les plus fortes baisses d’émissions à très court terme, avec de faibles coûts de mise en œuvre et même des économies pour les automobilistes. Dans le même temps, instaurer les 30 km/h dans les zones urbaines dès qu’il n’y a qu’une seule voie par sens de circulation (comme cela a été fait en Espagne), aussi bien dans les villes que les villages, afin d’améliorer la sécurisation de la marche et du vélo.

2. Renforcer la fiscalité sur les modes les plus difficiles à décarboner et aujourd’hui au moins partiellement exonérés de fiscalité énergétique, à savoir l’aérien, le maritime et les poids lourds. Cela viserait simultanément à encourager la réduction de leur usage (en modérant la demande, en favorisant d’autres modes) et leur passage à des énergies décarbonées.

3. Réorienter le marché des voitures vers les véhicules légers et sobres, en sollicitant les normes (sur la vitesse maximale, le poids ou encore les émissions à ne pas dépasser) et en renforçant la fiscalité (sur le poids, les émissions…) afin de réinvestir le montant des malus sur les véhicules légers, allant du vélo au quadricycle en passant par le vélo à assistance électrique, le vélomobile ou encore les vélos cargos (les véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture), pour lesquels un grand plan de développement industriel et de relocalisation de ces véhicules serait lancé.

4. Instaurer un moratoire sur la construction et l’agrandissement des aéroports et de voies routières rapides. Sur l’aménagement du territoire et en lien avec les déplacements quotidiens, stopper la construction de routes communales liées à l’étalement du logement, de même que l’artificialisation liée à la construction de centres commerciaux et d’entrepôts logistiques en périphérie.

VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?

A. B. Je juge ce mandat comme positif sur trois points : sur la mise en place de l’objectif de neutralité carbone et la dynamique que cela a pu instaurer à l’international ; sur la volonté d’accélérer certaines technologies pour la décarbonation, tels que l’électrification des voitures ; enfin, la mise en place de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), qui a pu montrer que des citoyens formés aux enjeux vont généralement bien plus loin que les politiques sur les évolutions de sobriété, ainsi la majorité des mesures citées dans la 1re question ont été proposées par la CCC, et des enquêtes montrent aussi une faveur importante des citoyens pour nombre de ces mesures.

En revanche, le constat est bien plus sévère sur le manque de sollicitation des leviers de sobriété de la transition, pourtant indispensables au respect de nos objectifs de décarbonation des transports. Cela s’est notamment reflété par une forte baisse d’ambition par rapport aux propositions de la CCC, par exemple sur l’aérien, le poids des véhicules ou les 110 km/h. Enfin, l’écart est toujours grandissant entre les objectifs et les trajectoires, sans vraiment chercher à corriger ce décalage et accepter que la technologie seule ne suffira pas.

VRT. Indépendamment du climat, y a-t-il, dans ce domaine, une mesure à inscrire à l’agenda présidentiel ?

A. B. De nombreuses nuisances sont liées à la voiture (consommation d’espace, sédentarité, bruit, pollution, etc.). Les traiter nécessite notamment un fort rééquilibrage de l’espace public en faveur des mobilités sobres en énergie, en ressources et en espace. Il faut assumer une hiérarchie entre les modes de transport afin de systématiquement favoriser la marche, devant le vélo, les transports en commun ferroviaires, routiers, puis la voiture (ainsi que l’avion pour la longue distance). Cela devrait aussi s’accompagner d’un vaste plan pour permettre à tous les élèves de primaire, collège et lycée d’aller à pied ou à vélo jusqu’à leur établissement en toute sécurité, véritable question de santé publique et de comportement des plus jeunes à habituer aux mobilités durables.

VRT. Question subsidiaire : De quelle fausse bonne idée faut-il se méfier ?

A. B. Se méfier de la solution magique de manière générale, notamment technologique, car elle n’existe pas. Elle est souvent invoquée comme un alibi pour ne rien changer, alors qu’il faudra combiner des changements importants sur les 5 leviers de transition (modération de la demande, report modal, amélioration du remplissage des véhicules, efficacité énergétique décarbonation de l’énergie) pour espérer rattraper le retard accumulé sur nos trajectoires d’émissions.


« Fin de vente des véhicules thermiques particuliers en 2035 »

Diane Strauss, directrice France de Transport & Environnement, organisation européenne regroupant une cinquantaine d’ONG

VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?

Diane Strauss.

  • Fin de vente des véhicules thermiques particuliers en 2035*
  • Fin de vente des camions thermiques d’ici 2035/2040
  • Une trajectoire d’électrification ambitieuse entre 2022 et 2030, avec notamment l’électrification prioritaire des flottes d’entreprises (50 % des ventes de véhicules neufs) et la réduction des ventes d’hybrides rechargeables.
  • Un effort de réduction des kilomètres parcourus avec des voies cyclables et de l’autopartage (VTC, covoiturage) en milieu urbain.
* Mesure proposée le 14 juillet 2021 par la Commission européenne [ndlr].

VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?

D. S. Timide effort mis sur les bornes de recharges. La France doit être plus ambitieuse au niveau européen (voir sa position sur la fin de vente des hybrides rechargeables en 2040) et au niveau français (loi Climat très décevante).

VRT. Indépendamment du climat, y a-t-il, dans ce domaine, une mesure à inscrire à l’agenda présidentiel ?

D. S. D’après le GIEC, l’avenir des enfants nés en 2021 est en jeu. Il n’existe pas de priorité plus grande que le climat.

Il faut donc anticiper l’effet de cette transition sur l’emploi en France, notamment dans la filière automobile et aviation et non retarder la transition même. Quels emplois pourraient être perdus, comment offrir une alternative viable à ces populations dans leur bassin d’emploi ? Ces discussions doivent avoir lieu avec l’Etat, les régions et les filières.

VRT. De quelle fausse bonne idée faut-il se méfier ?

D. S. Les biocarburants issus de cultures alimentaires ne sont pas une option viable, ni pour le climat, ni pour la biodiversité.


« On ne régulera pas la mobilité si persistent des sentiments d’injustice »

Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite, Université Gustave Eiffel, Conseil de l’Institut pour la ville en mouvement

La loi énergie climat de 2019 renforce les ambitions de la loi de transition énergétique de 2015 dont les objectifs intermédiaires n’ont pas été tenus. Elle vise la neutralité carbone en 2050, et une baisse de 40 % de l’usage des énergies fossiles en 2030. Le dossier technique qui l’accompagne prévoit une forte baisse des consommations des véhicules thermiques (-30 % en 2030), une forte pénétration de la voiture électrique (46 % des ventes en 2030), et un usage accru des transports publics et de la voiture en commun. Elle est peu connue des citoyens, malgré ses implications sur leurs modes de vie.

Les ébauches de programme sont silencieuses sur cette loi, et montrent une attention différenciée au sujet : la baisse des émissions n’apparaît pas dans les objectifs phare des Républicains, elle figure dans les 10 axes prioritaires de la primaire populaire. A droite, on est contre l’écologie punitive, pour le véhicule électrique, sans ambition pour le transport public, réservé sur les éoliennes, enthousiaste sur le nucléaire. A gauche, on veut des véhicules propres, plus de transport public, l’interdiction des SUV, des soutiens aux ménages modestes et aux énergies renouvelables, mais on ne dit rien sur ce qui pourrait fâcher : taxe carbone, péages, et même normes sur les véhicules.

Il y a donc tout à parier qu’on sortira de la prochaine mandature en 2027 avec un écart béant entre l’objectif affiché et la réalité des consommations. Pour éviter cette décrédibilisation récurrente de l’action publique, il faudrait renforcer les mécanismes pour que les gouvernants respectent les trajectoires fixées par la loi, et faire partager l’idée que ce qu’on qualifie d’écologie punitive peut être une politique vertueuse si on en redistribue les ressources efficacement.

Parce qu’on ne régulera pas la mobilité si persistent des sentiments d’injustice, la priorité pour le quinquennat devrait être d’amener l’offre de véhicules à plus de sobriété (40 % de SUV dans les ventes en France, 46 % à Paris !), ce qui a été récemment amorcé avec un timide malus lié au poids. Dans ce registre, on peut envisager :

  • Une plus forte taxation des véhicules de société, et notamment de l’avantage archaïque des véhicules de fonction. Ce n’est pas anecdotique, car un véhicule neuf sur deux n’est pas acheté par des particuliers, et que les véhicules de société, plus gros en moyenne, se retrouvent chez les particuliers au bout de trois ou quatre ans.
  • Une annualisation du système de malus, qui reviendrait à restaurer la vignette pour les véhicules « hors des clous ».

Ces mesures stimuleraient en outre la demande de véhicules électriques tout en réduisant les aides à l’achat dont bénéficient surtout les ménages aisés. Les ressources induites pourraient être affectées à l’aide à la transition, notamment pour les actifs modestes dépendant de leur voiture.

Le locataire de l’Elysée s’honorera enfin de préparer le terrain pour son successeur, car moins de la moitié du chemin vers la neutralité carbone aura été parcourue. En 2027, l’essentiel du parc (voitures et poids lourds) sera composé de véhicules connectés, ce qui facilitera les transactions de tous types. Il mettra donc à l’étude, et versera au débat public, toutes les possibilités d’orientation de la demande (voyageurs et fret) vers le bien commun rendues plus nécessaires par l’affaissement du rendement des taxes sur les carburants lié à l’électrification du parc et plus aisées par cette avancée majeure.


« L’offre de transports en commun n’a pas suivi la dynamique métropolitaine »

Jean Coldefy, directeur du programme mobilité 3.0 d’ATEC-ITS France

La voiture avec 16 % des émissions du pays est l’un des tout premiers postes d’émissions de GES. Le diagnostic établi en 2017 lors des assises de la mobilité est toujours d’actualité : nous avons un déficit considérable d’alternatives à la voiture pour accéder aux agglomérations qui concentrent le potentiel économique du pays. L’offre de transports en commun n’a pas suivi la dynamique métropolitaine. Conjugué avec un urbanisme d’éparpillement, du fait d’une gestion trop locale de l’urbanisme dans le périurbain, ceci a grandement favorisé l’usage de la voiture pour accéder aux emplois des agglomérations.

Les flux centres – périphéries représentent ainsi la moitié des émissions de la mobilité des aires urbaines, tandis que les déplacements dans les villes centres ne pèsent que 2 %, la part restante se situant au sein des 1re couronnes et du périurbain. 25 % des actifs des grandes métropoles n’y résident pas, les villes centres des métropoles ne représentent que 8 % de la population française et disposent des alternatives à l’inverse des couronnes qui pèsent près de la moitié de la population. Voilà pourquoi des centaines de milliers de voitures engorgent les grandes villes. C’est un manque d’offres et non un problème de demande. Les partisans de la gratuité font une erreur fondamentale de diagnostic pour les grandes aires urbaines. Ces distances domicile – travail sont par ailleurs hors de portée du vélo et pèsent 60 % des kilomètres de la mobilité quotidienne des Français.

Ce n’est pas la ville du quart d’heure qu’il faut inventer (elle existe déjà) mais la métropole de la demi-heure. Dans les grandes agglomérations, il faudrait ainsi tripler l’offre de transports en commun sur les liens centres-périphéries et au sein de la première couronne, permettant un report modal massif. La difficulté réside dans la nécessaire vitesse de déploiement compte tenu des engagements climatiques : comment réaliser en cinq ans ce que d’habitude nous mettons 30 ans à réaliser ? Le financement devra passer par une plus grande efficience de notre système de transport en commun et une participation accrue de l’usager, des transports en commun comme de la route.

Il faudra par ailleurs déployer un urbanisme de la proximité pour les déplacements résidentiels et donc implanter l’habitat à proximité des pôles de commerces afin de favoriser les modes actifs, et un urbanisme de la vitesse pour les trajets domicile – travail avec des zones économiques implantées à proximité des pôles de transports en commun. La mobilité se gère à l’échelle des bassins de vie, c’est-à-dire là où les Français vivent ET travaillent : les aires urbaines. La répartition des rôles Régions / EPCI / Métropoles doit être adaptée en conséquence.

Décarboner les mobilités et retrouver une cohésion territoriale et sociale à l’échelle des aires urbaines est possible, les solutions sont connues et décrites. Le prochain quinquennat devra s’attaquer au financement et à la nécessaire adaptation de la gouvernance territoriale des mobilités et de l’aménagement. On ne réussira pas la lutte contre le réchauffement climatique sans réussir la cohésion sociale et territoriale.

Ce défi peut ainsi être un facteur fort de cohésion sociale vers un futur désirable qui doit nous permettre de tourner la page des excès du « Vivre sans temps morts et jouir sans entrave » de mai 1968 afin de privilégier à nouveau l’investissement sur la consommation, le futur sur le bien-être immédiat, à l’image de l’effort collectif entrepris après 1945 pour redresser le pays.

Comme le disait François Perroux, économiste lyonnais cofondateur d’Economie et humanisme (1903 – 1987) : « On ne saurait augmenter l’investissement sans diminuer la consommation. Chaque économie ne peut élever le niveau de vie des générations ultérieures sinon en imposant un sacrifice aux consommations présentes ».


« Il faut poser dès maintenant les bases d’un système alternatif à la voiture individuelle »

Christophe Gay et Sylvie Landriève, codirecteurs du Forum Vies Mobiles

VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?

Christophe Gay et Sylvie Landriève. On ne peut pas sortir du système de déplacement actuel basé sur la vitesse en un mandat : l’accès à toutes nos activités (travail, achats, loisirs, etc.) est déterminé par le fait que nous utilisons des modes de transport rapides, au premier chef la voiture qui émet à elle seule la moitié des émissions de CO2 du secteur des transports. Mais le prochain gouvernement a la responsabilité de mettre en urgence la France sur la trajectoire définie par la Stratégie Nationale Bas Carbone. Il doit donc poser dès maintenant les bases d’un système alternatif à la voiture individuelle qui soit efficace, réaliste et adapté aux territoires.

Il faut arrêter d’additionner et de mettre en concurrence les offres (voiture, train, bus, vélo, …) et lancer les bases d’un système où chaque mode serait vraiment connecté aux autres, tout en ayant sa zone de pertinence, pour permettre des déplacements porte à porte sur tous les territoires (ville, périurbain, campagne). On pourrait commencer par les 30 % des Français qui pratiquent l’ensemble de leurs activités à moins de neuf kilomètres de chez eux mais recourent encore trop largement à la voiture individuelle.

Pour ceux qui ne peuvent pas se passer facilement d’un véhicule (distances, santé, transports de charge, accompagnement, etc.), l’État doit encourager le développement d’une nouvelle filière industrielle low-tech de petits véhicules légers, réparables, électriques (dont du rétrofit), mécaniques, ou très peu consommateurs de carburant.

Enfin, le cœur du problème reste l’aménagement du territoire pour réduire les distances à parcourir au quotidien et limiter le recours aux modes motorisés. Le prochain gouvernement devra remettre en cause l’hyper concentration des services, des emplois et de la population dans la mégalopole de l’Ile-de-France mais également dans les centres des métropoles pour concevoir de nouveaux territoires de vie, grâce au redéploiement local de l’activité, des services et des équipements du quotidien autour des habitations : alimentation, santé, loisirs et bien sûr emplois, avec entre autres le télétravail.

VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?

C. G. et S. L. Le quinquennat a incontestablement été marqué par le mouvement social des Gilets jaunes que nous interprétons au Forum Vies mobiles comme une nouvelle crise de mobilité. La taxe carbone, dénoncée alors comme inéquitable dans la mesure où elle pèse plus fortement sur le budget des ménages les plus modestes, est également inefficace parce qu’elle a peu d’effets sur les modes de vie des plus riches, pourtant les plus émetteurs de CO2. Nous avons étudié une alternative radicale : le rationnement des déplacements carbonés en France. Cela paraît possible, d’autant que la moitié des Français n’y serait pas opposée. Face à l’ampleur des changements à opérer, pourquoi ne pas lancer des expérimentations territoriales dès 2022 ?

VRT. Indépendamment du climat, y a-t-il dans ce domaine une mesure
à inscrire à l’agenda présidentiel ?

C. G. et S. L. La crise sanitaire a fait exploser la pratique du télétravail. Pour le meilleur et pour le pire. Pour éviter que les transporteurs ne courent désespérément derrières les nouvelles pratiques et pour éviter les effets rebonds potentiels (parcourir plus de kilomètres qu’avant pour aller au travail, même si on s’y rend moins souvent) ou réinvestir le temps gagné dans plus de déplacements autour de son domicile), il faut mettre en place une politique nationale d’organisation du télétravail en partenariat avec les collectivités locales et les entreprises. L’objectif ? répondre aux aspirations des citoyens à limiter le stress et la fatigue des déplacements domicile-travail, réguler les flux dans les villes, permettre à ceux qui le souhaitent de déménager sans pour autant aggraver la dépendance à la voiture.

VRT. De quelle fausse bonne idée faut-il se méfier ?

C. G. et S. L. Alors que le développement du véhicule autonome et le déploiement des infrastructures nécessaires à sa mise en circulation exigent des investissements considérables non seulement privés mais aussi, à l’avenir, publics (développement, adaptation des infrastructures, etc.) nous avons montré que sa contribution à la décarbonation de la mobilité ne peut être au mieux que marginale. Pire, selon les scénarios, sa diffusion risque, à l’inverse, d’augmenter fortement les émissions de CO2 liées au transport, celles découlant de la circulation de la nouvelle flotte (accentuation des distances parcourues, concurrence des transports en commun, voire des mobilités douces), mais aussi de la production massive de véhicules, de matériel électronique et d’infrastructures, ainsi que d’une génération de données colossale. Cette situation est symptomatique d’une forme de schizophrénie des pouvoirs publics qui articulent difficilement enjeux économiques, sociaux et écologiques.


Transport de marchandises : la France risque de se retrouver en retard

Laetitia Dablanc, urbaniste, est directrice de recherche à l’université Gustave Eiffel, où elle dirige la Chaire Logistics City

Rarement au centre des attentions, le transport de marchandises est responsable d’un tiers des émissions de CO2 du transport, et sa part est amenée à croître fortement. Nombre de mesures sont déjà prises pour assurer sa décarbonation, mais elles pêchent souvent par un côté franco-français dommageable pour un secteur d’activité largement mondialisé.

VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?

Lætitia Dablanc. Le transport des marchandises est responsable d’un tiers des émissions de CO2 du transport, part qui est amenée à s’accroître fortement si l’on en croit les projections de l’OCDE/ITF1. Comment une politique sur le transport des marchandises peut-elle contribuer à la lutte contre le changement climatique ? D’abord, avant de lancer de nouvelles mesures, on peut faire aboutir de façon effective plusieurs réformes adoptées pendant les mandats précédents. Le transport intermodal rail-route doit être fortement privilégié dans la mise en place de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire (octobre 2021) car il combine l’ubiquité de la route et la massification des transports permise par le ferroviaire, qui présente des facteurs d’émissions de carbone très réduits. Parmi les actions prioritaires : amélioration de la gestion des sillons et circulations de nuit des trains de marchandises, autorisation des 46 tonnes (et pourquoi pas au-delà) pour les camions faisant du pré et post-acheminement, investissements dans la modernisation des terminaux, notamment portuaires. Autre dossier à pousser en priorité : les zones à faibles émissions, qui représentent un outil puissant de dépollution des flottes urbaines et de modernisation du transport routier de marchandises. La France est aujourd’hui l’un des pays les moins avancés en Europe en ce qui concerne le nombre et l’efficacité des ZFE2. La loi d’orientation des mobilités 2019 et la loi climat et résilience de 2021 accélèrent leur déploiement dans les agglomérations françaises. Il faut maintenant s’assurer que ces zones soient effectives c’est-à-dire contrôlées et respectées ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elles devront aussi prendre en compte de façon spécifique l’enjeu des poids lourds, dont les versions zéro émission ne seront pas disponibles à court terme, pour ne pas perdre les importants bénéfices qu’ils permettent dans la massification des marchandises. Rien ne serait pire qu’une ville logistique propre mais congestionnée par des dizaines de milliers de petits véhicules utilitaires. Sur l’écotaxe poids lourds, la loi climat et résilience ouvre la possibilité aux régions volontaires de mettre en place à partir de 2024 des « contributions spécifiques » mais la réforme risque de se heurter à l’absence de volontarisme des régions (l’Ile-de-France a récemment renoncé par exemple). Il faudra promouvoir vigoureusement l’outil, tout en s’assurant de l’interopérabilité des systèmes.

 » LA FRANCE EST AUJOURD’HUI L’UN DES PAYS LES MOINS AVANCÉS EN EUROPE EN CE QUI CONCERNE LE NOMBRE ET L’EFFICACITÉ DES ZFE « 

De nouvelles mesures sont aussi à prendre afin d’aller bien plus loin dans la décarbonation du transport des marchandises. Elles sont bien sûr pour l’essentiel de niveau européen/international et le mandat présidentiel qui arrive devra d’abord s’ancrer dans le Règlement européen pour le climat, le Green Deal, la COP26, le paquet Climat… Ce n’est pas un simple rappel de routine, il s’agit d’un positionnement ayant des conséquences concrètes comme la mise en œuvre rapide et sincère des engagements3. En France, un dossier concret mais complexe concerne les poids lourds propres. La vente des poids lourds neufs sera interdite à partir de 2040 s’ils sont à énergies « majoritairement fossiles » (loi climat et résilience). Les poids lourds électriques à batterie font l’objet de développements technologiques rapides dans des régions en pointe comme la Californie. La France risque de se retrouver en retard si elle concentre l’innovation de long terme sur l’hydrogène propre (qui représente bien évidemment une voie prometteuse pour tous les véhicules lourds) et ses efforts de court terme surtout sur les véhicules GNV et bio GNV. Faudra-t-il que l’Etat donne une impulsion forte aux constructeurs pour aller plus vite sur les poids lourds à batterie (avec tout l’écosystème des stations de recharge rapide qui leur est associé) ? De l’autre côté du spectre des véhicules, les deux-roues électriques doivent être adoptés massivement alors que peu de villes ont compris que les scooters et motos, polluants et bruyants, sont de plus en plus utilisés par les livreurs. Les données, le big data et leur exploitation automatique par intelligence artificielle doivent soutenir les territoires, pour modéliser les flux et élaborer les bilans carbone de la logistique. Or on se heurte aujourd’hui à une extrême timidité du cadre réglementaire français. Par exemple, les données des futures caméras LAPI4 de contrôle des ZFE ne pourront pas être utilisées alors qu’elles le sont dans les pays européens voisins.

 » RIEN NE SERAIT PIRE QU’UNE VILLE LOGISTIQUE PROPRE MAIS CONGESTIONNÉE PAR DES DIZAINES DE MILLIERS DE PETITS VÉHICULES UTILITAIRES « 

VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?

L. D. Du point de vue du changement climatique, la politique menée en termes de transport et mobilité des marchandises est au mieux très contrastée. D’abord, il faut regarder au niveau européen, où se prennent les décisions les plus importantes. Est-ce que l’action européenne de la France depuis cinq ans a été favorable à la décarbonation du transport de marchandises ? Le bilan sera surtout fait à l’issue de la Présidence française de l’UE qui vient de débuter. Au niveau franco-français, certaines initiatives sont très positives, notamment sur la cyclo-logistique (plan national pour la promotion de la cyclo-logistique) ou les aides à l’acquisition de véhicules utilitaires légers électriques (mais les aides en faveur des poids lourds propres ne sont pas à la hauteur des enjeux). Parallèlement, la dynamique de France Logistique est bien engagée et se consolide. Les comités interministériels de la logistique commencent à se succéder. Ceci fait partie d’un ensemble de démarches partenariales qui visent à développer les échanges d’expériences et d’outils pour des stratégies de réduction des impacts carbone dans le secteur (dispositif EVE).

 » LES POIDS LOURDS ÉLECTRIQUES À BATTERIE FONT L’OBJET DE DÉVELOPPEMENTS TECHNOLOGIQUES RAPIDES DANS DES RÉGIONS EN POINTE COMME LA CALIFORNIE « 

Beaucoup d’initiatives sont en revanche insuffisantes. Je pense notamment à la stratégie nationale pour le fret ferroviaire qui insiste sur les autoroutes ferroviaires (merveilleuses mais trop franco-françaises) au risque de ne pas miser suffisamment sur le transport combiné rail-route traditionnel. La stratégie représente un gros effort financier de l’Etat et de SNCF Réseau mais sans contrepartie réelle au niveau des opérateurs sur l’amélioration de leur productivité5. J’ai par ailleurs du mal à comprendre pourquoi on se donne un objectif de 80 % de la part du fret conteneurisé manutentionné dans les ports français à destination et en provenance de la France d’ici 2050 (stratégie nationale portuaire). Ce type de « nationalisme du conteneur », notamment pour Le Havre, me paraît superflu alors que plusieurs ports européens sont proches de la France et adaptés à l’approvisionnement du pays, surtout s’il est ferroviaire ou fluvial (par exemple dans la perspective du canal Seine-Nord Europe). Il vaudrait mieux se poser la question de l’efficacité des ports français, qui doivent eux aussi servir le reste de l’Europe et qui doivent pour cela être beaucoup mieux connectés au ferroviaire et au fluvial. Il faudrait aussi s’assurer qu’une vraie tarification d’usage par les poids lourds des infrastructures routières en France fasse évoluer l’attractivité relative des ports européens approvisionnant la France.

 » LES AUTOROUTES FERROVIAIRES, MERVEILLEUSES MAIS TROP FRANCO-FRANÇAISES « 

VRT. Indépendamment du climat, y a-t-il, dans ce domaine, une mesure à inscrire à l’agenda présidentiel ?

L. D. Le social est un point majeur à traiter pour le secteur logistique. L’action de la France au niveau européen a été plutôt favorable aux conditions de travail des chauffeurs-livreurs (un seul exemple, la proposition d’interdire aux employeurs de faire dormir les conducteurs de VUL dans leur véhicule pendant les jours de repos) mais il reste beaucoup à faire. L’attractivité du transport routier de marchandises sur longue distance se dégrade et les difficultés de recrutement s’accroissent. On manque de contrôleurs de transport terrestre, il est trop facile de ne pas respecter les lois sociales françaises. Dans le secteur des livraisons instantanées par plateformes numériques, la situation sociale est marquée par de graves et multiples dysfonctionnements (emploi croissant de précaires, non-respect des règles sur les véhicules, insécurité routière ; la problématique des partages de comptes n’est pas sérieusement abordée). Les élections professionnelles prévues par la LOM pour 2022 devront être activement préparées avec des moyens importants donnés à la mobilisation des acteurs (livreurs, syndicats, collectifs, plateformes). La formation professionnelle dans le transport et la logistique est sans doute mieux abordée que par le passé et là encore, les initiatives partenariales sont à souligner mais ces actions doivent être considérablement accélérées. Il faut aller chercher les futurs salariés du transport et de la logistique là où ils sont (peut-être sur un scooter Deliveroo aujourd’hui et ignorants des possibilités de qualification et de carrière dans la logistique). Enfin, les pollutions locales et le bruit des deux-roues sont minorés en France (la suspension du contrôle technique des deux-roues motorisés est très regrettable).

VRT. De quelles fausses bonnes idées faut-il se méfier ?

L. D. Un mot sur la ville du quart d’heure qui me paraît s’opposer par nature à ce qui fait une métropole vivante où la mobilité -pour trouver un travail ou se rendre dans un lieu de culture à l’autre bout du territoire- me paraît une valeur importante. Par ailleurs, l’intendance logistique de la ville du quart d’heure continuera pour grande partie à se baser sur des chaînes logistiques venant de loin.

1 https://www.itf-oecd.org/projections-and-scenarios-transport-sector
2 https://www.lvmt.fr/wp-content/uploads/2019/10/2021-Brief-Lucas-Belliard.pdf
3 Evitant à l’avenir au pays d’être renvoyé devant la Cour de Justice de l’UE comme récemment sur les émissions de NOx (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_1880).
4 LAPI : lecture automatique des plaques d’immatriculation.
5 Résultat net de -230 millions d’euros en 2019 pour seulement 1 247 millions d’euros de chiffre d’affaires pour le fret ferroviaire français. Les coûts d’exploitation restent encore supérieurs à ceux de la moyenne européenne.

Ewa

Assurer la transition de l’industrie automobile

Nice voiture electrique

Dans un rapport publié fin juin, mis à jour fin juillet, le think tank de la fondation Nicolas Hulot et la CFDT Métallurgie se sont penchés sur l’avenir de l’automobile et précisément de la filière moteur dans le contexte de conversion à l’électricité. Le rapport, intitulé Comment relever le défi d’une transition juste étudie quatre scénarios de transition. La filière motrice, qui compte 57 000 salariés de France, a un effet d’entraînement sur 400 000 salariés. Or, la voiture électrique nécessite moins de main-d’œuvre que la voiture diesel. Mais, selon les deux partenaires qui s’appuient sur l’expertise de Syndex ; « en accélérant la transition écologique, on peut enrayer le déclin de l’industrie automobile ».

Le premier scénario, de poursuite des tendances actuelles, « pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France ». En dix ans 100 000 emplois ont été supprimés dans la filière automobile. Et, à nouveau, selon l’Observatoire de la métallurgie, 100 000 emplois sont menacés d’ici 2035… Le scénario 2 étudie l’effet du maintien de la politique de relance commencée en 2020 : elle ne « permettra ni de mettre un terme à la désindustrialisation, ni de répondre au défi climatique » et se traduirait par une division par deux des effectifs d’ici 2050. Plus ambitieux, le scénario 3, de relance industrielle, explore un maintien des volumes de production de moteurs, sans toutefois anticiper les besoins de sobriété : réduction des consommations d’énergie et de matière, évolution des usages.

Le scénario 4, dit de transition juste, « mise sur une intégration locale renforcée de la filière et intègre les exigences de la sobriété ». Il « vise la restructuration de l’appareil productif autour d’une filière intégrée moteurs – batteries – véhicules – recyclage. » Selon la FNH et la CFDT, il est seul en mesure de « répondre à la fois aux enjeux sociaux et environnementaux ». Et permettait, à partir de 2035, de recréer de l’emploi, ce qui devrait se traduire en 2050 par un tiers d’emplois de mieux que le scénario 2, de poursuite de la relance. Le scénario repose sur les efforts de reconversion et de formation pour chaque salarié de la filière.

Première étape demandée par la Fondation Nicolas Hulot et la CFDT : la mise en place d’Etats généraux de l’automobile.

Lire « Comment relever le défi d’une transition juste ? »

Ewa

Assurer la transition de l’industrie automobile

Nice voiture electrique

Dans un rapport publié fin juin, mis à jour fin juillet, le think tank de la fondation Nicolas Hulot et la CFDT Métallurgie se sont penchés sur l’avenir de l’automobile et précisément de la filière moteur dans le contexte de conversion à l’électricité. Le rapport, intitulé Comment relever le défi d’une transition juste étudie quatre scénarios de transition. La filière motrice, qui compte 57 000 salariés de France, a un effet d’entraînement sur 400 000 salariés. Or, la voiture électrique nécessite moins de main-d’œuvre que la voiture diesel. Mais, selon les deux partenaires qui s’appuient sur l’expertise de Syndex ; « en accélérant la transition écologique, on peut enrayer le déclin de l’industrie automobile ».

Le premier scénario, de poursuite des tendances actuelles, « pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France ». En dix ans 100 000 emplois ont été supprimés dans la filière automobile. Et, à nouveau, selon l’Observatoire de la métallurgie, 100 000 emplois sont menacés d’ici 2035… Le scénario 2 étudie l’effet du maintien de la politique de relance commencée en 2020 : elle ne « permettra ni de mettre un terme à la désindustrialisation, ni de répondre au défi climatique » et se traduirait par une division par deux des effectifs d’ici 2050. Plus ambitieux, le scénario 3, de relance industrielle, explore un maintien des volumes de production de moteurs, sans toutefois anticiper les besoins de sobriété : réduction des consommations d’énergie et de matière, évolution des usages.

Le scénario 4, dit de transition juste, « mise sur une intégration locale renforcée de la filière et intègre les exigences de la sobriété ». Il « vise la restructuration de l’appareil productif autour d’une filière intégrée moteurs – batteries – véhicules – recyclage. » Selon la FNH et la CFDT, il est seul en mesure de « répondre à la fois aux enjeux sociaux et environnementaux ». Et permettait, à partir de 2035, de recréer de l’emploi, ce qui devrait se traduire en 2050 par un tiers d’emplois de mieux que le scénario 2, de poursuite de la relance. Le scénario repose sur les efforts de reconversion et de formation pour chaque salarié de la filière.

Première étape demandée par la Fondation Nicolas Hulot et la CFDT : la mise en place d’Etats généraux de l’automobile.

Lire « Comment relever le défi d’une transition juste ? »

Ewa

Et si le futur du MaaS était déjà écrit ?

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On a vu dans le MaaS une sorte d’Eldorado technologique de la mobilité durable… Mais l’information aux voyageurs est devenue un nouveau standard pour tous les moyens de transport. Le  MaaS permet aux transports en commun, à la marche ou au vélo de rester dans la course face à l’automobile. Pas de faire la différence. Là où le MaaS pourrait se développer, c’est en permettant aux plate-formes privées d’offrir des services de mobilité de toute sorte, comme le fait dès maintenant Uber. Avec des effets environnementaux et sociaux très contestables.

Par Nicolas Louvet et François Adoue

Le MaaS, de l’anglais Mobility as a Service (en français : « la mobilité en tant que service »), est certainement aujourd’hui l’acronyme le plus en vogue dans le secteur de la mobilité. Il est consacré sous l’appellation « service numérique multimodal » par la loi d’orientation des mobilités (2019) qui le définit dans son article 28 comme « un service numérique qui permet la vente de services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation », et qui entend en faciliter le développement aussi bien par des acteurs publics que par des acteurs privés. Le MaaS apparaît ainsi promis à un grand avenir. Mais, avant de parler de son futur, offrons-nous un précieux détour par le passé.

Le MaaS succède aux systèmes d’information multimodale en tant qu’Eldorado technologique de la mobilité durable. Ces systèmes d’information multimodale, accessibles depuis un ordinateur bien avant d’être développés en tant qu’application pour smartphone, étaient censés, comme le MaaS aujourd’hui, promouvoir l’usage des transports en commun, de la marche ou du vélo, au détriment de la voiture particulière. Comment ? En offrant à leurs usagers une information multimodale complète et actualisée en temps réel, autrement dit en offrant aux consommateurs une information pure et parfaite sur les différentes offres de transport : temps de parcours, coûts monétaires et même parfois coûts environnementaux ! L’enjeu était de réduire une supposée irrationalité des choix de déplacements conduisant à l’adoption de l’automobile, en plaçant l’individu face à son erreur d’appréciation. Or ces cas de choix sous-optimaux, s’ils existent et font l’objet de nombreux travaux de recherche, s’avèrent ne représenter qu’une part marginale de la mobilité quotidienne. On feint trop souvent d’oublier que les automobilistes, dans une large majorité de situations, ne disposent tout simplement pas d’alternatives avantageuses. De plus, bien peu de personnes sont en mesure de réviser constamment leurs choix de déplacement. On ne change généralement pas tous les jours son mode de transport pour aller au travail. Aussi l’information multimodale n’est utilisée que quand elle est utile, c’est-à-dire le plus souvent pour procéder à des choix dans des situations d’incertitudes (nouvelles destinations, perturbations sur le réseau).

C’EST EN PROPOSANT DES SERVICES ADAPTÉS AUX BESOINS DES UTILISATEURS QUE LES APPLICATIONS MaaS SE DÉVELOPPERONT. ET ÇA, LE SECTEUR PRIVÉ L’A DÉJÀ COMPRIS

C’est donc à la fois la portée (l’étendue des situations) et l’efficacité (le pouvoir d’influence dans les choix) de cette solution miracle qui ont été surestimées. Est-ce à dire que les politiques en faveur du développement de systèmes d’information multimodale ont été vaines ? Pas tout à fait. L’accès à une information de plus en plus fiable sur les trajets en transports en commun, marche ou vélo permet de donner le change face à une industrie automobile qui intègre de mieux en mieux l’information en temps réel sur les conditions de circulation, et de maintenir ainsi un équilibre dans la compétition modale. L’information aux voyageurs – quel qu’en soit le véhicule – s’est imposée comme un nouveau standard, répondant à une exigence aujourd’hui triviale des voyageurs, à l’instar de la mise à disposition de sièges confortables, ou de la climatisation dans nos voitures comme dans nos bus les plus récents.

Le MaaS entend compléter ces systèmes d’information multimodal en ajoutant au calculateur d’itinéraire la possibilité de payer son titre de transport et de le valider depuis son téléphone, de manière extrêmement simplifiée, et ce quel que soit le mode choisi pour le déplacement. Afin d’inciter à des choix de mobilité plus vertueux, les applications MaaS tendent à offrir un avantage pécuniaire à l’utilisation des modes alternatifs à la voiture. Elles peuvent proposer des abonnements croisés : l’abonnement aux transports en commun emporte par exemple le droit à une réduction sur l’abonnement aux vélos en libre-service ou encore à l’autopartage. Si ce type de politique tarifaire n’est pas nouveau, le MaaS pourrait en permettre la facilitation (inscription – et désinscription – en quelques minutes depuis son téléphone) et en soutenir la diffusion dans la population.

Par ailleurs, les applications MaaS peuvent proposer une formule de post-paiement : l’usager se déplace sur les différents réseaux, puis reçoit sa facture le mois suivant, tout en étant assuré de payer ce qui correspond à l’offre la plus avantageuse qu’il aurait pu anticiper. Il s’agit alors d’offrir une mobilité 100 % alternative à la voiture particulière à prix maîtrisé. Si ces différents avantages financiers peuvent séduire de nouveaux usagers, il convient néanmoins de rappeler que, de manière générale, les modes alternatifs sont déjà moins onéreux que la voiture particulière. L’argument financier ne suffira donc pas à séduire le plus grand nombre. C’est en proposant des services adaptés aux besoins des utilisateurs que les applications MaaS se diffuseront. Et ça, le secteur privé l’a déjà bien compris.

Les plateformes agrègent, au fil d’expérimentations et de partenariats à travers le monde, des services de mobilité de différentes natures. Uber, par exemple, ne propose plus uniquement un service de transports avec ou sans chauffeur (VTC, taxi, vélo à assistance électrique), mais propose tout à la fois de la livraison express de repas, de courses alimentaires, de fleurs, et même un service de messagerie pour les particuliers : à São Paulo (Brésil), l’individu peut remettre une lettre ou un petit colis à un chauffeur qui sera ensuite récupéré par un destinataire à l’arrivée, s’économisant ainsi l’aller-retour nécessaire à une remise en main propre. Ces MaaS en gestation dans le secteur privé ne se contentent pas d’offrir des services de transport de personnes, mais proposent de « sous-traiter » la mobilité auprès de travailleurs mobiles fortement précarisés. En s’attaquant frontalement aux activités et déplacements les plus contraignants et en ambitionnant de faire économiser du temps à leurs clients, les plateformes privées dessinent un futur bien différent de la « mobilité en tant que service », potentiellement moins écologiquement soutenable et certainement socialement moins équitable.

Ewa

Péages urbains, micromobilité, cars express… Décarboner, veulent-ils

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La décarbonation dans toutes ses dimensions de la mobilité, c’est ce qu’a envisagé le 31 mars le Lab recherche environnement (Vinci – Paris tech). Financement des infrastructures de mobilité, déploiement des systèmes de recharge électrique, réinvention de la logistique, essor des cars express… La réussite de la décarbonation dépend pour une bonne part de la fée électricité. Mais ses coups de baguette ne vont pas tout résoudre par magie.

Initiative conjointe du Lab recherche environnement (Vinci – Paris Tech), du Cerema et de Construction 21 (plate-forme d’informations collaborative regroupant un public d’opérationnels des projets urbains), la conférence du 31 mars sur la mobilité décarbonée a été organisée à l’occasion de la publication du dossier Mobilités décarbonées de Construction 21.

Camille Combe, chargé de mission à la Fabrique de la cité, souligne que le niveau d’émissions des transports a augmenté entre 1990 et 2014, et estime que les solutions technologiques ne suffiront pas à remplir les objectifs. Financement de la mobilité et décarbonation sont pour lui deux faces d’une même médaille. D’où un retour sur certaines des initiatives que la Fabrique de la Cité a déjà scrutées en mai dernier.

Et dont nous avons alors parlé : Singapour, avec le péage urbain dans un territoire contraint de 5,5 millions d’habitants, péage urbain devenu dynamique, permettant de s’ajuster en temps réel, la cité-état jouant aussi d’un système d’enchères et de quotas sur le nombre de véhicules autorisés. Objectif : doubler la part des transports collectifs.

New York, voulant remédier au sous-investissement chronique dans les transports publics (retard de financement très important, dernière ligne de métro ouverte en 1940, baisse de la fréquentation des transports collectifs avant la crise Covid), a adopté un grand plan de 51 milliards de dollars d’investissements dans les transports. Le plan prévoit des instruments de régulation comme le péage urbain, des taxes sur les livraisons via Internet, et, tout particulièrement, une taxe progressive sur les logements supérieurs à 1 million de dollars. Les logements bénéficient en effet de l’accessibilité sans y contribuer jusqu’à présent. L’idée est de retourner le mécanisme, en profitant de la plus value foncière qu’assure le transport pour financer celui-ci.

Enfin, certains des Etats-Unis, dont l’Oregon, essayent de se tirer (de nous tirer) une épine du pied : si l’entretien des infrastructures dépend de la taxe sur le fuel, la décarbonation de la mobilité aura pour effet de tarir les financements. D’où l’idée de remplacer la taxe sur le carburant par une taxe sur les miles parcourus… Donc, les véhicules électriques, qu’on a tendance aujourd’hui à ne pas taxer pour assurer leur essor, vont devoir un jour ou l’autre payer le juste coût de l’utilisation de l’infrastructure. Pour compliquer l’affaire, la taxe sur les miles pose une question de confidentialité, puisqu’elle est établie grâce à une connaissance fine des parcours de chacun.

Le débat est l’occasion donnée à Khadija Tighanimine, d’Omexom (Vinci Energie), entreprise qui s’intéresse à la structuration du marché de la mobilité électrique, de se pencher sur le déploiement des IRVE (Infrastructure de recharge de véhicule électrique). Dans le cadre du dernier plan de relance, 100 000 équipements de ce type sont prévus d’ici fin 2021. Objectif qui sera soit dit en passant difficilement tenu, selon une étude publiée en avril du bureau de conseils Mobileese. Ombre sur leur déploiement, selon Khadija Tighanimine, leur acceptabilité sociale. D’où la nécessité de mettre l’utilisateur au même plan que le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre en tant que maître d’usage. Intéressant même si le vocable parallèlement utilisé de consom’acteur sent un peu trop la com. Exemple est pris du Marché public global de performance (MPGP) passé par la région Bourgogne Franche Comté et remporté par un groupement où naturellement Omexom est présent. On peut espérer qu’émergent, grâce à ce type de marché, des solutions acceptables socialement, qui s’adaptent aux usages et soient plus simples que ce que proposent (parfois) des ingénieurs désireux de montrer l’étendue de leur savoir-faire.

Occasion donné aussi à Anne de Bortoli (Eurovia, Ecole des Ponts Paris Techs) d’exposer son analyse environnementale de la micromobilité à Paris. Une analyse mettant en relief trois facteurs comme le poids sur la biodiversité, la santé humaine ou encore sur les ressources dans lesquelles on doit puiser, à côté de ce qu’on scrute habituellement en priorité : consommation en énergie et conséquences sur le climat.

Les vélos personnels, vélos partagés, trottinettes partagées, trottinettes personnelles, scooters électriques partagés, deux roues personnels, forment un groupe occupant une place intermédiaire entre la marche d’un côté, l’automobile de l’autre. Groupe dans lequel chacun prend tour à tour la tête selon les critères retenus… à ceci près que le pur et simple vélo, celui que chacun possède, remporte sans coup férir la palme.

Pour ce qui est de la marche donnons-nous rendez-vous prochainement, à l’occasion de la publication annoncée à la fin de l’année par Jean-Paul Hubert (Université Gustave Eiffel) d’un dictionnaire de la marche.

On regrettera que le sujet si important de la logistique urbaine ait été abordé par un biais trop réglementaire. Les enjeux en ont été soulignés par Hélène de Solère, chef de projet urbain au Cerema : la logistique urbaine représente 20% des flux motorisés en ville. Elle répond à 50% aux besoins des particuliers, 40% à des besoins d’établissements économiques, et 10% aux besoins de gestion urbaine (chantiers, ordures). Si, elle n’est responsable que de 20% des GES, elle l’est pour un tiers de l’émission des NOX, pour 50% de celles des particules fines, et responsable aussi pour 50% de la congestion… Dommage donc, vu l’importance des enjeux, que l’exposé ait trop porté sur la méthodologie des bonnes pratiques et les étapes de déploiement d’un futur programme dit Interlud.

Des idées, ce n’est pas André Brotto qui en manque, et le lecteur de VRT le sait. Son idée phare, il ne manque aucune occasion de la développer, et nous avons eu souvent l’occasion d’en parler dans nos colonnes. Reste que l’idée est bonne et, pour la défendre, André Brotto a fait récemment équipe, dans le projet New Deal, avec l’architecte David Mangin pour la consultation internationale sur les routes du Grand Paris.

En exposant à nouveau les vertus de son système de cars express sur voies réservées, André Breton souligne que la solution qu’il propose pour le Grand Paris répond à la demande actuelle, peut même faire face à une demande supplémentaire et est susceptible d’évolution à mesure que les besoins changent et que le véhicule électrique autonome devient réel. Et fait apparaître, essentiel pour Vinci, un gestionnaire d’infrastructures comme partie prenante à part entière d’un système de transport. En soulignant les limites du localisme, Brotto invite à ne pas cèder aux vertiges de la ville du quart d’heure, et rappelle ce qu’impose un destin de capitale. F. D.

Références d’ensemble :
Replay de la conférence sur le site du Lab recherche environnement : https://cutt.ly/qc5EmrI
ou de Construction 21 : https://cutt.ly/Jc5EES2
Complété sur ce dernier site par le dossier sur les mobilités décarbonées : https://cutt.ly/4c5EYr0

Ewa

Recherches, débats, positions

La Défense

« Ça tue plus de gens que le Covid » -– A La Défense, on y va plus en auto, plus à vélo, moins en métro – Robots livreurs objets de thèse – Le Mobiliscope à jour –Retour sur les espaces peu denses – En marche avec l’hydrogène – Leonard s’y met aussi – Et l’Ademe aide au développement.

« Ça tue plus de gens que la Covid »

Transition ou effondrement ? C’est la question que posait l’Ecole des ingénieurs de la ville de Paris dans son université d’été, sur la question Urbanisme et santé publique… Une université d’été bien décalée dont, Covid oblige, la première séance s’est tenue en novembre 2020 et les trois suivantes en mars dernier. On ne donnera qu’un échantillon d’un ensemble riche : l’intervention de Frédéric Bonnet, Grand prix de l’urbanisme, qui veut « réinterroger la densité ». Connaissant bien les villes nordiques, se référant à Helsinki, ville polycentrique offrant des espaces de densité très riches, et de grands espaces de respiration, il invite à mieux se déplacer, moins se déplacer et à revoir pour cela la répartition des fonctions dans la ville. On en est très loin dit-il, regrettant une « tendance à faire encore de l’urbanisme du XXe siècle ». A mettre encore la circulation des voitures et les infrastructures routières au premier plan. Sauf exception comme à Paris, le vélo dans les villes françaises reste marginalisé. « Ça ne correspond pas aux mantras de la com, mais c’est ce qui se passe », regrette-t-il. Dernier signal d’alarme, l’étude d’une équipe de chercheurs des universités de Harvard, Birmingham, Leicester et Londres publiée le 9 février dans Environmental research. Elle évalue à 8,7 millions de morts en 2018 dans le monde les victimes de la pollution de l’air par les énergies fossiles, deux fois plus qu’on ne l’estimait jusqu’à présent. La nouvelle étude prenant en compte l’impact des particules fines : AVC, crises cardiaques et cancers.

En Europe, le nombre de victimes de la pollution atteignait alors 1,5 million. Or, constate Frédéric Bonnet, « ça tue beaucoup plus de gens que la Covid et on met moins de moyens en face ».

https://cutt.ly/bviosmB

A La Défense, on y va plus en auto, plus à vélo, moins en métro

12 % des personnes qui viennent travailler à La Défense ont récemment changé leur mode de déplacement et 13 % entendaient le faire prochainement. C’est ce qui ressort d’une enquête menée en décembre dernier par Paris La Défense avec l’Ieseg Conseil auprès de 5 500 personnes. 67 % de ceux qui avaient alors déjà changé leur mode de déplacement ont invoqué la crise sanitaire comme principale raison.

Les transports en commun restent le premier mode de déplacement. Et selon le communiqué, « 85 % des salariés interrogés se sentent en sécurité face au risque sanitaire dans les transports collectifs empruntés ». Reste que leur part baisse : 42 % des employés interrogés empruntent le RER, contre 47 % avant la crise, 40 % utilisent le métro contre 44 %. Les déplacements en bus sont stables, à 15 %. 23 % des salariés du quartier d’affaires empruntent désormais leur voiture, contre 16 % avant la crise sanitaire. Le vélo gagne aussi, mais moins : 13 % des travailleurs de Paris La Défense l’utilisent aujourd’hui contre 8 %. La marche affiche également une légère hausse, de 16 % à 18 %. 20 % des salariés interrogés souhaitent la mise en place de davantage d’infrastructures pour les modes de déplacement actifs tels que le vélo ou la trottinette.

https://cutt.ly/kvipAXR

Robots livreurs objets de thèse

La chaire Anthropolis, portée par l’IRT SystemX et Centrale Supélec, s’intéresse à l’utilisation de drones ou de robots pour les livraisons du dernier kilomètre : drones partant d’une base, drones partant d’un camion, ou robots pour le dernier kilomètre.

Une thèse de doctorat soutenue par Shoahua Yu a examiné différents cas d’usage entre un robot et son vaisseau mère. L’ensemble des travaux conduits « ont démontré que les livraisons basées sur des robots pourraient être rentables d’un point de vue opérationnel ».

Pour progresser, l’IRT SystemX ou la chaire Anthropolis pourront s’appuyer sur le projet européen Lead, lancé mi-2020, qui prévoit la création de jumeaux numériques de logistique urbaine à Madrid, La Haye, Budapest, Lyon, Oslo et Porto.

https://cutt.ly/nvipCG7

Le Mobiliscope à jour

Développé par une équipe du CNRS, en utilisant des données du Cerema, et avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’outil de géovisualisation Mobiliscope fait apparaître l’évolution de la composition sociale d’une ville ou d’un quartier heure par heure au cours de la journée, en se fondant — sauf pour l’Ile-de-France — sur les données d’enquêtes de déplacement. Sa nouvelle version intègre 49 agglomérations françaises et leur périphérie, soit 10 000 communes, couvrant les deux tiers de la population. Les enquêtes utilisées fournissent, non seulement des informations sociologiques (âge, sexe, CSP), mais aussi les motifs de déplacement et les modes de transport usités. Où il apparaît que la ségrégation sociale se reproduit au cours de la journée en dépit (ou justement à cause) des déplacements quotidiens…

Pourquoi quantifier et qualifier la population ? Cela peut aider à implanter un service ou un équipement au bon endroit et à l’ouvrir au bon moment. Ces questions, soulignent les concepteurs, « font écho aux politiques temporelles qu’un certain nombre de collectivités locales cherchent à mettre en place ». Cet instrument de mesure des inégalités qui pèsent sur la vie quotidienne, est en retour un instrument de suivi de l’efficacité des politiques publiques œuvrant pour une ville inclusive. Le Mobiliscope permet de connaître l’évolution sociospatiale d’une région (ou d’un secteur) et d’affiner au cours de la journée les diagnostics territoriaux, au-delà de seuls diagnostics basés sur la population résidente. A souligner : le Mobiliscope se veut « une alternative libre et gratuite aux services payants et propriétaires qui se développent actuellement autour de la quantification de la population présente au fil du temps ». Bien vu.

Retour sur les espaces peu denses

Olivier Jacquin, sénateur socialiste de Meurthe-et-Moselle, est revenu fin mars sur son récent rapport parlementaire Mobilités dans les espaces peu denses en 2040 : un défi à relever dès aujourd’hui. Comment se déplacer demain à la campagne et réparer la fracture territoriale ? La question a pris une tournure cruciale avec la crise des Gilets jaunes.

Or, la rupture d’égalité entre les territoires reste d’actualité : toutes les communautés de communes sont en train de délibérer pour la prise de la compétence mobilités mais nombreuses sont celles qui n’ont pas les moyens de la mise en œuvre de cette compétence…

Olivier Jacquin a pu de nouveau faire part de son constat et de ses convictions : « Le constat est clair : la voiture est utilisée dans plus de 80 % des transports du quotidien, c’est pourquoi il convient de socialiser pour partie sa pratique en partageant sous différents modes son usage, qu’il s’agisse de transports à la demande, d’autopartage ou de la promesse des nouvelles pratiques du covoiturage courte distance dynamisées par le numérique. Enfin, les modes doux ne sont pas exclus à la campagne car près de la moitié des trajets du quotidien font moins de trois kilomètres ».

En marche avec l’hydrogène

Michel Delpon (député LREM de Dordogne) publie Hydrogène renouvelable, l’énergie verte du monde d’après, (Nombre7 Editions). Michel Delpon voit en l’hydrogène la clé de voûte de la transition énergétique. Car les énergies vertes, qui vont s’imposer face au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, sont produites de façon intermittente : pendant la journée pour l’énergie photovoltaïque, quand il y a du vent pour l’énergie éolienne. C’est ici qu’intervient l’hydrogène, excellent vecteur énergétique qui permet de stocker et transporter l’énergie qui sera utilisée plus tard. Pour Michel Delpon, l’hydrogène, longtemps cantonné à un usage industriel, s’apprête à transformer nos usages énergétiques.

Leonard s’y met aussi

Ce n’est pas Léonard qui dira le contraire. La plate-forme de prospective et d’innovation du groupe Vinci a entamé le 14 avril son nouveau cycle de conférences, La filière hydrogène, acteur-clé de la transition énergétique. Un cycle de six événements se proposant une fois par mois de « parcourir toute la chaîne de valeur de l’hydrogène, ses usages et ses dimensions technique et économique, en dressant l’état des lieux des applications existantes et de la recherche ».

Et l’Ademe aide au développement

S’agissant des applications, précisément, l’Ademe soutient la consolidation de la filière en accompagnant les déploiements d’écosystème hydrogène dans les territoires. L’Ademe le fait via un appel à projets, visant à faire émerger les infrastructures de production d’hydrogène bas carbone et renouvelable, avec des usages dans l’industrie et la mobilité. Une première clôture a eu lieu en décembre 2020 (présélection de sept dossiers), et une deuxième clôture le 16 mars. Celle-ci, selon l’Ademe, a « confirmé la dynamique très forte avec 32 projets candidats ». Les premiers appels à projets de l’Ademe sur la mobilité hydrogène, lancés en 2018, ont permis le déploiement de 19 écosystèmes.

https://cutt.ly/GvislEx

F. D.

Ewa

71% des Franciliens veulent passer moins de temps dans les transports

embouteillage voiture Paris pollution

Au sortir d’une année de déplacements très réduits et fortement contraints, le Forum vies mobiles a voulu savoir ce que demandent les Franciliens. Les résultats de son enquête ont donné la tonalité du débat organisé le 4 mai par le Forum avec la Fabrique écologique, avec les principaux candidats aux élections régionales dans la région.
Premier constat, le télétravail s’est imposé. Au moment où ils ont été interrogés, début avril, les deux tiers des Franciliens (66%) étaient encore en télétravail au moins un jour par semaine — 28% à plein temps — et les deux tiers d’entre eux (68%) voulaient que l’on continue à y avoir recours. Plus largement, 80% d’entre eux demandent plus de flexibilité dans l’organisation de leur temps de travail. Les aspirations liées à l’organisation du travail sont d’autant plus importantes que le niveau de diplôme est élevé.
Trois quarts des Franciliens aspirent à ralentir et à mieux maitriser leur rythme de vie (74%). Ils voudraient pratiquer leurs activités à l’échelle de leur quartier (77%) et passer moins de temps dans les transports qu’avant la crise (71%). Succès du thème de la ville du quart d’heure ; un Francilien sur deux (55%) aimerait pouvoir travailler à moins de 15 minutes de chez lui. Un tiers souhaite même pouvoir se rendre à son travail à pied. L’organisation d’un système complet combinant transports collectifs, marche et vélo, afin de limiter l’usage de la voiture, convainc plus de 8 Franciliens sur 10. Important, souligne le Forum, alors que la mesure est traditionnellement peu populaire.
Un Francilien sur deux voudrait déménager. Pas forcément pour quitter la région. A Paris, 68% des habitants sont satisfaits de leur lieu de vie actuel contre 50% en Petite Couronne et 55% en Grande Couronne. Seuls 22% des Parisiens souhaitent quitter la région, contre 31% et 34% des habitants de la Grande et de la Petite Couronne. 81% de ceux qui veulent quitter la région ne souhaitent pas s’installer dans une autre métropole ou dans la périphérie d’une métropole. Ils sont même 57% à vouloir s’installer dans une petite ville, un village ou à la campagne.
On espère trouver loin de la métropole les bienfaits de la proximité, mais c’est Paris, la ville la plus dense qui la garantit, et c’est elle qu’on veut le moins quitter. Un paradoxe sans doute, mais d’où se dégage un impératif : il faut améliorer grandement la vie quotidienne des habitants de la Petite et de la Grande couronne.
Enquête réalisée par BECOMING pour le FORUM VIES MOBILES du 5 au 13 avril 2021, auprès de 1 004 habitants de l’ILE-DE-FRANCE, représentatifs des habitants de la région Ile-de-France en termes de sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, département selon la méthode des quotas. L’échantillon a été interrogé en ligne, sur panel.

F. D.

Ewa

Quel modèle économique pour l’autopartage ?

Autopartage strasbourg Citiz

Ultra-marginal aujourd’hui, l’autopartage peut se révéler une solution pertinente pour des personnes utilisant la voiture de manière occasionnelle. Encore faut-il avoir des services bien adaptés à la demande, et des tarifs abordables par l’utilisateur permettant en même temps à l’opérateur d’amortir son véhicule. Une piste de réflexion : créer un abonnement mensuel constituant une assurance-mobilité. Ce qui suppose que les opérateurs coopèrent et que la collectivité s’implique dans la supervision.

Par Nicolas Louvet, Hadrien Bajolle, Marion Lagadic

Puisqu’il est difficile de se passer des voitures, partageons-les pour en réduire les nuisances : sur le papier, l’idée de l’autopartage est à la fois simple et séduisante. Pourtant, l’autopartage peine à décoller. Mode encore ultra-marginal, il n’a pas trouvé son modèle économique. La faute peut-être à un mode de commercialisation qui ne prend pas bien en compte certains segments d’usages comme les excursions et les week-ends. L’heure est donc à repenser le business model de l’autopartage afin d’en faire un vrai levier de réduction de la place de la voiture en zone dense.

L’autopartage n’est utile pour la collectivité que s’il diminue la place de la voiture

Du point de vue de la collectivité, l’intérêt de l’autopartage réside dans la réduction du nombre de voitures nécessaires au transport des personnes. Moins de voitures, c’est moins de pollution émise durant la phase de production de ces véhicules et moins de place occupée dans les centres urbains, où l’espace est rare. Si l’autopartage ne permet pas de réduire le nombre de voitures, alors, au contraire, son effet est plutôt négatif, puisqu’il contribue à encombrer encore davantage les rues. Cela signifie que les services d’autopartage doivent être en mesure de permettre aux usagers de se passer complètement d’une automobile personnelle pour ceux qui n’en ont pas, et de s’en débarrasser pour les ménages déjà motorisés. Pour cela, il faut assurer une couverture complète des trajets motorisés, fournir en quelque sorte une assurance-mobilité. Bien sûr, il faut rester réaliste sur le potentiel de l’autopartage. Une couverture universelle des besoins via des services automobiles ne pourra jamais être rentable pour les utilisateurs réguliers de la voiture. En effet, quoi qu’on en dise, les coûts variables de l’automobile particulière sont très faibles comparés aux autres services automobiles. Par conséquent, l’autopartage va avoir du mal à se développer dans les espaces qui sont structurellement dépendants de la voiture. Il aura également sans doute plus de mal à se développer chez les urbains utilisant fréquemment la voiture. On pense notamment aux familles avec enfants, qui constituent encore un noyau dur de l’automobilité à la fois pour des raisons de praticité et de normes sociales. Par contre, l’autopartage peut offrir une solution réellement pertinente dans les villes pour des personnes utilisant la voiture de manière occasionnelle, afin d’inciter les résidents à se démotoriser et en complément de mesures plus contraignantes comme l’instauration de ZFE.

Cependant, même dans les zones urbaines, les services d’autopartage proposés ne sont pas encore bien adaptés à la demande. Il faut pour cela analyser plus en détail les pratiques de mobilité des urbains. Une part non négligeable du kilométrage automobile des résidents des grandes villes consiste dans des déplacements de type week-end ou excursions. A Paris, par exemple, ces trajets représentent environ 30 % du kilométrage courte distance (c’est-à-dire l’ensemble des trajets inférieurs à 80 km). Or, ces trajets ont la caractéristique de comporter un temps de circulation faible sur la durée totale d’utilisation. Dès lors, si, partant de Paris, un automobiliste se rend sur un lieu de villégiature au cours d’un week-end, il est très probable que le temps total de circulation sera de l’ordre de quelques heures. Tout le reste du temps, la voiture reste garée. Mais elle n’en est pas moins nécessaire pour assurer le retour. Autrement dit, dans ce genre d’usage, on emploie une voiture pour un temps d’utilisation donné plus que pour parcourir une distance.

Avec une voiture personnelle, le temps de détention hors circulation est déjà compris dans le prix d’achat. Or la recherche empirique montre que les ménages ne prennent que très peu en compte les coûts fixes dans leur décision de choix modal. Au contraire, lorsque l’on utilise un service automobile, le tarif est toujours indexé sur un temps d’utilisation : on paye pour une heure, une demi-journée, un ou plusieurs jours, mais, dans tous les cas, ce temps est toujours monétisé de manière explicite. Par conséquent, pour une excursion sur un week-end à une heure de Paris, le coût directement payé sera de l’ordre de 100 € via un service automobile quel qu’il soit, alors que (parce que l’automobiliste ne retient que le prix de l’essence) cela aura coûté moins de 20 € en voiture particulière. Même si l’on n’est pas un homo economicus, ces différences sont trop fortes pour passer inaperçues.

QU’ON L’UTILISE OU PAS, ON PAIERAIT TOUS LES MOIS POUR AVOIR UN SERVICE D’AUTOPARTAGE À DISPOSITION.

Transférer les coûts de l’usage vers l’abonnement autopartage

Pour remplacer les usages résiduels de la voiture en ville, il s’agit de créer des business models qui soient compatibles avec ces usages. Il faudrait donc imaginer des systèmes d’autopartage dans lequel le coût en fonction du temps soit très faible afin d’être compétitif avec la voiture particulière. Mais il faut également prendre en compte les coûts des opérateurs d’autopartage, dont une bonne part est fixe. Quel que soit le nombre de kilomètres parcourus, l’amortissement reste constant. Si la recette quotidienne est trop faible, ils ne sont donc pas rentables, ce qui remet en cause leur existence même.

Une piste de réflexion pourrait être de transférer une part plus importante des recettes vers des abonnements, avec des services qui soient unifiés et structurés afin de proposer une offre cohérente. Le business model de l’autopartage ressemblerait alors davantage à ce que son usage recouvre en réalité, c’est-à-dire une sorte d’assurance-mobilité : qu’on l’utilise ou pas, on paierait tous les mois pour avoir un service d’autopartage à disposition. Afin de faciliter l’ergonomie, ces services pourraient être proposés à la vente en même temps que les transports en commun, et même, pourquoi pas, sur les mêmes supports. On pourrait par exemple imaginer de payer une extension sur sa carte de transport en commun pour avoir accès aux services d’autopartage de sa ville.

Un tel système supposerait un niveau de coopération important entre les opérateurs d’autopartage, pour faire émerger un bouquet de service commun, ainsi que des services de billettique et de paiements mutualisés. Les flottes, également, devraient être davantage mutualisées entre opérateurs afin de limiter le risque d’indisponibilité des véhicules à mesure que croît le nombre d’utilisateurs, ce qui avait été le cas, par exemple, au moment de l’expérience Autolib’. Cela suppose enfin un niveau élevé de supervision par la collectivité, qui doit s’assurer de l’adéquation de l’offre avec les besoins locaux de mobilité et de l’intégration cohérente dans le système de transport urbain existant. Bref, en termes plus techniques, la viabilité financière des opérateurs d’autopartage, mais surtout leur efficacité vis-à-vis des objectifs de politique publique, dépend de l’existence de plateformes de type MaaS, qui soient d’une manière ou d’une autre régulées par la puissance publique.

Mais comment attirer de nouveaux clients vers ces offres de services automobiles ? Pour être attractif, l’abonnement aux services d’autopartage devrait se situer à un niveau faible, ce qui suppose un nombre élevé d’utilisateurs.

La solution la plus logique du point de vue collectif est de contraindre davantage la voiture individuelle, pour favoriser, en creux, l’autopartage : n’oublions pas que le développement de l’autopartage n’a de sens que s’il contribue à la réduction du nombre de voitures particulières et de kilomètres induits. Au final, les leviers du développement des services automobiles sont donc très largement dans la main des élus. La déprivatisation de la voiture est d’abord un choix politique.

Ewa

Le Cerema se penche sur la marche

Honfleur Ville

Quels aménagements, quelles démarches pour mieux accueillir les piétons ? Les questions sont doublement d’actualité, la transition environnementale et la crise sanitaire amenant à réfléchir sur la place des différents modes de déplacement, et notamment des modes actifs. D’où une série de fiches du Cerema conçue à partir de retours d’expériences de terrain. On y aborde  les micro-aménagements en faveur des piétons, l’éclairage des transports publics à leur intention, la prise en compte de la marche dans les documents de planification afin de réduire les coupures urbaines, la mise en place de cheminements balisés comme à Mulhouse (offrant un réseau de 578 km permettant de se déplacer à pied dans toutes les communes de l’agglomération), l’installation de lieux de repos, ou encore l’attention à porter aux piétons âgés. Ils sont les premiers concerné par la marche, puisque 40 % des déplacements des plus de 75 ans se font à pied, contre 22 % pour le reste de la population. Et les piétons âgés sont surreprésentés  dans les accidents de la circulation.

Ewa

La mobilité électrique en plein essor en France et en Europe

Voiture electrique microlino

C’est un véritable tournant pour le marché de l’automobile électrique qu’a enregistré l’Avere-France en 2020. Selon les chiffres de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique, près de 195 000 véhicules ont été immatriculés l’an dernier. Soit une hausse sans précédent de plus de 125 000 unités par rapport à 2019,  et une croissance de 180 %, alors que le marché automobile redescendait à son niveau le plus bas depuis 1975. Plus précisément, ce sont 110 916 voitures électriques particulières qui ont été immatriculées en 2020 : cela représente 68 153 unités de plus qu’en 2019 et une évolution de + 159 %. Et 74 993 véhicules hybrides rechargeables ont été mis à la route l’an passé (+ 56 411 unités par rapport à 2019, soit + 304 %).

C’est plus que l’objectif de la filière, qui était de 170 000 immatriculations.

La tendance a été confortée par les chiffres de décembre, où les 37 000 véhicules électriques et rechargeables mis en circulation ont représenté plus de 16 % des immatriculations. Pour Cécile Goubet, directrice générale de l’Avere-France, les aides à l’achat ne suffisent pas à expliquer cette « hausse impressionnante ».  Selon elle, « l’offre de modèles, étoffée et attractive, ainsi que la volonté des Français d’adopter une mobilité plus respectueuse de l’environnement sont sans aucun doute les principaux marqueurs de cette évolution ».

Cela dit, ces chiffres excellents ne suffisent pas à effacer le retard pris en 2019. Le contrat stratégique de filière prévoyait, fin 2020, un total de 476 000 véhicules électriques et hybrides. On en totalise 470 295. Encore un effort…

Europe

La tendance en faveur de l’électrique est forte en Europe, comme le montre un article du Monde.

En deux mots : l’année 2020 a vu les ventes de modèles tout-électriques et hybrides rechargeables pulvériser les records. En Europe, leur part de marché a été propulsée de 3,5 % à 10 % et, si l’on y ajoute les hybrides classiques, l’ensemble des véhicules électrifiés pèse quelque 20 % des immatriculations.

Raisons de la percée : le niveau élevé des primes, l’effondrement des ventes de véhicules à moteur technique et le malus frappant les motorisations traditionnelles.

2021 s’annonce électrique plus encore, avec l’arrivée sur le marché d’une centaine de nouveaux modèles 100 % électriques. Reste que la voiture électrique est sensiblement plus chère. Aussi, « il est à craindre que la montée en régime de l’électrification entretienne la gentrification de fait de l’automobile ».