Faut-il en revenir à l’écotaxe ? C’est l’une des propositions que fait François Durovray, président du Conseil départemental de l’Essonne, dans un Rapport sur les mobilités en Grande couronne. Présenté le 10 février, cosigné par six députés et trois sénateurs du département, le rapport juge que les besoins de financement sont « immenses » en Grande couronne et demande, selon l’expression inévitable, un « plan Marshall ».
Le constat ? Les conditions de transport sont inéquitables, au détriment des départements de Grande couronne francilienne. Certes, des « investissements sans précédent » ont été consentis dans la région permettant le renouvellement des trains ou le Grand Paris des Bus. Certes, le Pass Navigo a été dézoné. Et le CPER répartit mieux les investissements régionaux. Pas assez cependant pour rattraper le retard et s’affranchir d’un « système de transport à deux vitesses » au détriment de la Grande couronne. Peu d’emplois y sont localisés, et les trajets domicile – emploi que doivent faire les habitants sont donc très importants. « Pour la grande majorité d’entre eux l’usage de la voiture n’est pas un choix, il est subi et représente un coût non négligeable. » Le texte dénonce, de ce fait, les conséquences sur ces habitants de la « politique nombriliste » antivoiture de Paris. Argumentation connue, ce qui ne veut pas dire qu’elle est fausse.
Il y a bien le réseau ferroviaire, mais entre 2010 et 2018, l’offre a crû de 2 %, tandis que la fréquentation croissait de 10,4 %. L’offre dans le métro croissait dans le même temps de 5,4 %, et la fréquentation de 3,6 %… Le Grand Paris Express, qui a représenté une part considérable de l’effort va bientôt venir. Mais, « sur les 68 gares du réseau 15, seulement, seront situées en Grande couronne ». Quant à l’automobile, les encombrements hors boulevard périphérique explosent… Aujourd’hui, « les habitants de la Grande couronne payent plus cher pour se déplacer dans des conditions médiocres, qui continuent de se dégrader ». Les écarts se creusent, d’où une « souffrance sociale absolument pas prise en compte dans les décisions publiques structurantes pour l’avenir des réseaux d’Ile-de-France. » Cela ne va pas s’arranger tout seul, puisque « les emplois continuent de se concentrer principalement dans le cœur de l’agglomération alors que les populations augmentent partout dans sa périphérie ».
Pour réduire la « fracture toujours plus grande entre l’hypercentre et la Grande couronne », l’Essonne parie sur la route, qui offre des « extraordinaires possibilités d’innovation ». Le réseau magistral doit, à terme, pouvoir accueillir et faciliter d’autres usages que la voiture : bus, covoiturage, taxis aujourd’hui et, plus tard, navettes autonomes, trains de véhicules, etc. « Les aménagements de voies réservées sur les autoroutes doivent être accélérés et doivent constituer un véritable réseau. »
Et « ce nouveau réseau s’appuiera sur les infrastructures routières existantes, et en particulier sur le réseau routier national qui structure d’ores et déjà la Grande couronne ». Des propositions en droite ligne avec la consultation internationale Les Routes du futur Grand Paris achevée en octobre 2019.
De plus, alors que la gouvernance de la mobilité dans la région est « historiquement centrée sur le réseau métropolitain », les compétences d’Ile-de-France Mobilités pourraient être étendues à la circulation routière pour correspondre à cette nouvelle organisation multimodale. Le Pass Navigo deviendrait alors un vrai Pass Mobilités. Pour réaliser les investissements, le rapport pose la question d’un outil dédié, coordonné entre les collectivités, en prenant pour modèle la Société du Grand Paris.
Reste à trouver l’argent… Il s’agit déjà de prendre date, pour que la Grande couronne ne soit pas oubliée du « plan de relance inédit » du gouvernement. Au-delà, la proposition de l’Essonne rappelle plusieurs pistes. Augmenter la part de la TICPE affectée à Ile-de-France Mobilités, regarder les potentiels de récupération de la plus-value immobilière générée par l’amélioration du système de transport, notamment le réseau du Grand Paris Express. Il faudrait aussi que « les acteurs de la livraison en ligne contribuent au financement des réseaux de transport ». Le rapport souligne enfin que « la taxation des poids lourds et du transport routier en général a peu évolué en France, contrairement aux autres pays européens » : le débat de l’écotaxe doit être rouvert. Proposition immédiatement rejetée par la FNTR, dont un communiqué dénonce « la fausse bonne idée ». Pour la FNTR, « cette écotaxe viendrait s’ajouter à d’autres taxes régionales comme celle sur les surfaces de stationnement, et pénaliserait fortement le secteur et sa compétitivité ». Dialogue de sourds habituel. Bon courage, Monsieur Durovray.
La démobilité prônée par les tenants de la décroissance n’est plus un concept mais une réalité. Une réalité appelée à durer, selon les auteurs de l’enquête réalisée par l’Observatoire des mobilités émergentes, créé en 2014 pour suivre dans le temps les pratiques de mobilité, et qui a enquêté auprès de 4 500 personnes, du 21 au 29 octobre. Soit juste avant le deuxième confinement.
On apprend que seules 25 % des personnes interrogées avaient alors repris le cours normal de leur vie, 55 % réduisant leurs déplacements et 19 % restant confinés, non seulement à cause des contraintes liées à la crise sanitaire et du recours au télétravail qui s’est prolongé, mais aussi par stratégie délibérée. Et, toujours selon cette enquête, cette démobilité semble plutôt bien vécue.
A l’avenir, les Français pensent qu’ils se déplaceront moins pour aller à leur travail, pour leurs trajets professionnels, pour leurs vacances et même pour le shopping. Et qu’ils iront moins loin, affirme l’étude.
La mobilité individuelle de proximité a augmenté
Cette démobilité va durer, du moins à moyen terme, les Français ayant réorganisé leurs modes de déplacements au profit des modes individuels, estiment les auteurs de l’étude. La « mobilité individuelle de proximité », selon les termes utilisés, s’est ainsi renforcée pour 27 % de Français. Logiquement, les modes « doux » gagnent du terrain. Plus d’un quart (27 %) des sondés déclare qu’ils se déplacent plus à pied. Quant au vélo, son usage a fait un bond de 30 % entre 2019 et 2020, doublant même dans certaines très grandes agglomérations. 2,4 millions de personnes ont acheté un vélo classique et un million un vélo électrique, indique Laurent Jegou, chef de projets Mobilité et Prospective chez Cronos.
Mais on ne renonce pas pour autant à la voiture, vue comme une réponse aux risques sanitaires et un espace de liberté. D’ailleurs, 15 % des Français ont augmenté leur usage de la voiture, même si 12 % l’ont réduit dans le même temps.
Les transports publics sont les grands perdants
Autre tendance forte : 17 % des Français ont eu plus recours au e-commerce qu’avant. « On observe un effet de cliquet, alors que le recours au drive et au e-commerce était à un niveau plutôt bas jusqu’alors en France. Et même si cela concerne davantage les jeunes et les actifs, on voit aussi les seniors s’y mettre », ajoutent les auteurs de l’enquête. Ils estiment aussi que le recours à ces pratiques a été accéléré de trois à cinq ans avec la crise sanitaire.
Quant aux transports publics, ils font toujours figure de grands perdants, le métro et le bus étant les plus touchés. Et si 69 % des Français estiment que l’avenir leur reste grand ouvert, il faut replacer ce jugement dans le temps : ils étaient 9 % de plus à le penser en 2018.
L’institut Paris Région a rassemblé les données sur la mobilité en Ile-de-France en un tableau de bord allant de l’avant Covid à l’actuel confinement. On y trouve, sous forme de graphique en ligne, des données comme l’évolution des kilomètres de bouchons, celles des trajets à vélo ou l’évolution de la fréquentation des lieux (loisir, achat, parcs, travail), etc..
Le tableau de bord de la mobilité en Ile-de-France, publié pour la première fois ce jeudi 12 novembre sera actualisé chaque mois et donnera lieu chaque trimestre à une analyse croisant toutes les informations. Une des leçons du premier tableau : « les déplacements en transports en commun ferrés sont remontés progressivement jusqu’à 70% du trafic habituel entre le premier et le second confinement », comme le remarque Fouad Awada, directeur de l’institut.
La pandémie de COVID-19 a conduit à inventer dans l’urgence des services mobiles, capables d’apporter wifi, aides à la personne, secours aux malades dans une société confinée. Elle accélère et accentue une tendance à l’œuvre depuis des années, sur laquelle l’Institut pour la ville en mouvement/Vedecom poursuit un programme de recherche international depuis 2017. Une tendance faisant des véhicules connectés des nouveaux outils du vivre-ensemble. Et bousculant les coutumes du transport public traditionnel, peu enclin à fournir autre chose que du transport…
Les VRP du vrac, sous ce joli nom, Le Monde a récemment célébré des marchands d’un nouveau genre qui ont fait leur apparition sur les routes de France, en vendant céréales ou légumes sans emballage et au poids. Une soixantaine d’épiceries mobiles circuleraient un peu partout dans le pays. Selon le quotidien, « la crise sanitaire, qui a vu les circuits courts rencontrer un succès inespéré, ne devrait qu’encourager le mouvement ».
Ce n’est pas l’Institut pour la ville en mouvement/Vedecom (IVM) qui dira le contraire. En 2017, l’IVM a lancé un programme international de recherches sur ce qu’il appelle des « hyperlieux mobiles ». Un nom un peu chic et intello, mais il faut reconnaître qu’il n’est pas si simple de fédérer sous un concept des initiatives aussi foisonnantes que celles qui intéressent l’Institut. Ces pratiques, l’IVM les réfère à des figures traditionnelles « comme le vagabond, le pèlerin, le commerçant ambulant, le rémouleur et le colporteur, les troupes de cirque et de théâtre, l’écrivain public itinérant ». Figures toujours présentes dans le monde contemporain, mais métamorphosées. L’IVM recense environ 600 initiatives dans le monde entier, qui vont du bikebus (le bus dans lequel on fait du vélo d’appartement) à la Télé imagerie médicale mobile (TIMM) en passant, pourquoi pas, par les épiciers du vrac dont nous venons de parler. Ces pratiques sont largement méconnues.
« Cela n’existe ni comme champ d’études, ni comme domaine statistique », constate Mireille Apel-Muller, la directrice de l’IVM-Vedecom. D’où le programme de recherches d’un institut qui les croit promises à un bel essor.
Car, avec la crise de COVID-19 et le confinement, pour que tout s’arrête et que des millions de personnes puissent rester chez elles, il a fallu que de très nombreux services continuent à fonctionner et que des millions de personnes continuent à bouger. On a beaucoup parlé des premiers de cordée, de tous ceux qui ont dû prendre leur poste de travail dans les grandes surfaces, des éboueurs qui ont continué de vider les poubelles, des personnels des hôpitaux plus que jamais mobilisés. Il n’a pas seulement fallu continuer. Il a fallu innover, et que des services aillent jusqu’aux gens.
En témoignent les photos spectaculaires, dans le monde, de dépistage mobile, de paquebot hôpital ou de TGV transformés en unités mobiles médicalisées. Ou de retour en vogue du drive, pour voir un film ou assister à des offices religieux sur les parkings : certes, les spectateurs et les fidèles se déplacent, mais les officiants ou les opérateurs font une partie du chemin jusqu’à eux.
Ces activités mobiles, on en a déjà vu les prémices dans le monde moderne, rappelle Mireille Apel-Muller, avec les « petites Curie », des véhicules dotés d’unités de radiologie qui allaient au front, au plus près des blessés, pendant la Première Guerre mondiale. On peut aussi penser au tri postal qui s’est longtemps effectué dans les trains et qui met en lumière une autre dimension : le temps de trajet est du temps utile. Mais qui rappelle aussi que les modèles économiques sont fragiles, l’automatisation du tri dans les centres ayant eu raison du service mobile… On peut aussi penser à autre chose que du temps de travail : du loisir ou de la formation. L’idée, pour l’IVM, c’est de voir tout ce qui peut faire du véhicule autre chose qu’un moyen de transport, que le temps de trajet ne soit pas un temps mort, et qu’en définitive le véhicule lui-même devienne une destination.
Une tradition va déjà dans ce sens, rassemblant, on l’a dit, forains et colporteurs, mais aussi artisans allant de client en client et ayant fait de leur véhicule un atelier roulant. A cette strate ancienne, est venue s’ajouter une nouveauté d’importance : le téléphone portable, ou plus généralement tous les outils modernes de connexion, qui font qu’on est à la fois ici et là-bas. Dernière nouveauté attendue : le véhicule autonome qui, s’il tient toutes ses promesses, avec la disparition à terme du poste de conduite, va inviter à redessiner l’espace du véhicule, à en faire une pièce roulante ou un atelier high-tech ambulant. Et, pour Mireille Apel-Muller, il pourrait bien se passer avec le véhicule autonome ce qu’on a connu avec le téléphone portable, dont la fonction de téléphone est rapidement devenue secondaire. Bref, on pourrait assister à un changement profond de notre rapport à la mobilité, qu’il n’est sans doute pas idiot d’anticiper.
Des transformations en cours et des prochaines métamorphoses, l’IVM-Vedecom en attend plusieurs choses. Qu’elles aident le transport public à se transformer. Un transport public qui trop souvent se contente de transporter sans apporter du service. Or les exemples pointés par l’IVM montrent que dans certains pays, où règne la débrouille, des compagnies de bus inventent des activités pour attirer les clients. Certes, on est loin du modèle du transport public européen, on est dans une concurrence dure entre entreprises privées, mais on aurait bien tort de se priver des bonnes idées. D’autant que le transport public a un rendez-vous historique : si le véhicule autonome, naturellement électrique, se développe avec une généralisation du covoiturage, les bus, cars ou trains auront fort à faire avec une nouvelle concurrence. Il n’y aura plus, d’un côté l’autosoliste à condamner, de l’autre le transport public à encourager. Entre les deux — et ce ne sont pas des vues de l’esprit, de nombreux exemples en témoignent, surtout à l’étranger —, prennent déjà place des véhicules moins publics que communautaires, qui peuvent être affrétés par un groupe de gens ayant une même destination. La réflexion de l’institut est partagée par des transporteurs conscients de leurs limites et des prochains enjeux, et l’on peut souligner le rôle de Yann Leriche, aujourd’hui directeur général de Getlink, mais au moment du lancement du programme de recherche de l’IVM, PDG Amérique du Nord de Transdev et responsable des systèmes de transport autonome.
Yann Leriche qui a écrit avec Jean-Pierre Orfeuil, pour l’IVM, un livre important sur le véhicule autonome (Piloter le véhicule autonome au service de la ville, 2019, Descartes & Cie). Transdev poursuit sa participation au programme, et une métropole où le groupe opère devrait prochainement se lancer dans un démonstrateur d’« hyperlieu mobile ». La RATP comme la SNCF sont attentives à ce que repèrent les radars de l’IVM. Un IVM qui, très proche dès sa naissance du monde automobile, ne peut que se réjouir de lui voir un avenir dans le monde autonome et connecté.
Un deuxième point, c’est le développement d’un urbanisme souple, réversible. Plutôt que de construire toujours, et de figer les lieux dans le béton, on peut inventer des véhicules qui « font lieu » là où ils s’arrêtent. On peut assurer de nouvelles centralités urbaines. Pour lesquelles on peut s’inspirer de pays d’Europe du Nord (solution pour des territoires peu denses), mais aussi de pays pauvres d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. Jean-Pierre Orfeuil s’interroge : « l’injonction à sortir de l’automobilité bute sur l’absence fréquente d’alternatives crédibles, et sur l’absence d’activités dans de nombreux territoires résidentiels. Des réponses à ces questions s’esquissent avec une plus grande fluidité de l’occupation du bâti : développement de commerces éphémères, d’espaces de coworking, utilisation des écoles par des associations, etc. Et si la suite logique c’était une substitution de l’immobilier par le mobile, un usage de véhicules à d’autres usages que le déplacement ? ». Prudent, Orfeuil sait que la voie est étroite, mais juge de ce fait utile de l’explorer. Et Christine Chaubet, chef du projet Hyperlieux mobiles à l’IVM, regarde de près cet « urbanisme connecté, permettant de créer temporairement des centralités intenses ».
Enfin, on a bien en tête que la crise du COVID-19 risque de ne pas être une parenthèse vite refermée. Que d’autres crises sanitaires graves peuvent mettre à genoux la vie publique. Et que le réchauffement climatique va de plus en plus peser. Comment fait-on, quand il fait 40° ?, se demande Mireille Apel-Muller. Tout le monde va faire les courses à vélo ? Sans aller jusqu’aux situations extrêmes, on peut voir dans certaines solutions qui se mettent en place « une ressource au-delà de l’urgence », comme dit Christine Chaubet. De plus en plus, il faudra rendre des services à diverses personnes, à commencer par les plus âgés, dont le destin n’est pas toujours l’Ehpad. Repenser le transport, développer un urbanisme provisoire, apporter les services.
Autant de questions générales, mais dont les réponses seront sans doute dans une multitude d’initiatives particulières, de sur-mesure qu’il s’agit de favoriser, de pérenniser, de cadrer, certaines des activités s’effectuant dans des zones floues du droit et de la réglementation.
En définitive, souligne-t-on à l’IVM, s’ouvrent deux perspectives diamétralement opposées : soit, à la faveur du véhicule autonome, le véhicule individuel connaît un nouvel essor. Comme on transporte avec soi son programme de travail, d’échanges, d’activités, on n’a plus besoin de prendre le transport public, et tout cela peut déboucher sur une perspective apocalyptique d’étalement urbain. Soit le transport, notamment public, se réinvente et on fait en sorte que les innovations technologiques concourent au bien commun…
F. D.
Naissance d’un concept
Dans hyperlieu mobile, ça va sans le dire mais ça va mieux en le disant, il y a déjà hyperlieu (que l’on peut écrire aussi hyper-lieu). Le géographe Michel Lussault y a consacré un livre, Hyper-lieux, les nouvelles géographies politiques de la mondialisation (Seuil, 2017). Certains lieux sont pour lui des concentrés de mondialisation dans lesquels « le lieu fonctionne à toutes les échelles en même temps ». L’idéal-type de l’hyperlieu est Times Square, à New York. L’IVM se réfère aux travaux de Lussault mais aussi à ceux de François Ascher (1946-2009), qui fut le président de son conseil scientifique. François Ascher s’étant intéressé aux hyperlieux, comme des hubs dans lesquelles viennent s’hybrider diverses fonctions, aéroports ou gares par exemple. Les techniques nouvelles de communication, surtout le téléphone portable, ont changé de plus le rapport du proche et du lointain. L’IVM, qui avait déjà beaucoup travaillé sur les aides à domicile et sur la mobilité des personnes s’occupant des malades, en est venu naturellement et conformément à ce que promet son nom («la ville en mouvement»)à une recherche sur les Hyperlieux mobiles, puisque les techniques de connexion ont déjà transformé en lieux multiscalaires les outils de la mobilité.
Une recherche internationale
Pour étudier les hyperlieux mobiles, l’IVM s’appuie sur ses chaires au Brésil, en Amérique latine et en Chine, et sur ses partenaires, Transdev, Michelin, Valeo, La Poste, l’IFSTTAR, Telecom ParisTech, l’université Gustave Eiffel, 6-t, UPC-Etsav Barcelone. Un comité de pilotage rassemble des spécialistes du transport ou de l’urbanisme comme Laetitia Dablanc, spécialiste de la logistique (voir son article dans ce numéro page 106), Andrés Borthagaray, architecte, directeur de l’IVM pour l’Amérique latine, ou Carlos Llop, architecte, professeur à l’Université polytechnique de Catalogne.
Douche froide sur le véhicule autonome
Si l’IVM voit dans le véhicule autonome le couronnement à venir des « hyperlieux mobiles », il va falloir patienter. En témoigne le règlement international pour les véhicules autonomes de niveau 3 (dans lequel il doit y avoir un conducteur à bord, l’usage du système de conduite autonome étant conditionné aux circonstances). Préparé par la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, il a été adopté fin juin par 53 pays, dont les pays de l’UE, la Corée du Sud et le Japon. Les normes internationales pour le développement de ces véhicules « jouent la carte de la retenue », comme dit diplomatiquement Autonews, ajoutant que le règlement « ne fait pas de cadeau aux développeurs ». Le système ne peut être activé que si le conducteur est au volant, ceinture de sécurité attachée. Il sera interdit sur les routes où les piétons et les cyclistes côtoient les voitures. Interdit aussi quand il n’y a pas de séparation physique entre les deux sens de circulation. L’usage sera limité à une vitesse maximale de 60 km/h.
Des exemples de toutes sortes et dans le monde entier
Vélo. En Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, des cyclistes, avec leurs vélos munis de panneaux solaires, apportent l’électricité et le wifi dans les villages. Une place publique se crée autour du vélo.
Bikebus. Service de bus de Boston offrant des vélos d’appartement sur lesquels on peut s’installer et pédaler pendant le trajet.
Matatus. A Nairobi, au Kenya, les bus en concurrence sur des lignes régulières offrent des services comme la diffusion de musique ou de vidéo, l’accès au wifi.
Salle de classe mobile. Le bus emmenant les enfants à l’école, au Pérou, est transformé en salle de classe pour apprendre la sécurité routière pendant le temps de déplacement.
TIMM santé. Une unité mobile de l’hôpital de Lannemezan sillonne les routes pour apporter le service de Télé imagerie médicale mobile (échographie, radiologie, consultation médicale à bord avec un médecin connecté). Version pointue du camion médical existant dans le monde et allant à la rencontre des patients.
Une flotte de ballons chargés d’énergie solaire a été lancée au Kenya. A 20 km d’altitude, pour déployer un réseau internet à haut débit dans le centre du pays rural et montagneux afin de favoriser le télétravail des salariés et les cours à domicile pour les écoliers.
Pancadões. A São Paulo notamment ont lieu des rave parties spontanées, illicites, reposant sur l’installation de murs de son provisoires.
Bibliobus wifi. Dans l’Etat de New York, des bibliobus servent diffusent pendant la crise le wifi dans des quartiers sous-équipés pour permettre (entre autres), aux élèves de suivre leurs cours en ligne.
Véhicules autonomes. En Chine, où on expérimente des véhicules autonomes, ces technologies ont été utilisées pour faire de la surveillance ou de la désinfection de la voirie autour des hôpitaux.
La pandémie invitant à faire le procès de la ville dense et du transport à touche-touche, on se penche dans le monde entier avec une nouvelle sollicitude sur le vélo, mais aussi sur le piéton. Reste que pour redonner aux modes actifs, et particulièrement à la marche, le rôle qu’ils ont perdu, il faudrait revoir de part en part les agglomérations. Vaste programme !
Robin des bois à Montréal
On l’avait vite saisi, avec la pandémie, toute la ville dense allait être remise en question. C’est bien ce qu’on observe dans la belle série d’entretiens que Le Monde a publiée les 16 et 17 juin sur les villes-monde après le Covid 19. Valérie Plante, maire de Montréal, dit ainsi : « En Amérique du Nord, tout particulièrement, les villes ont été créées et aménagées en fonction de la voiture. Nous nous rendons compte que les trottoirs, par exemple, ne sont pas du tout adaptés aux nouvelles règles de distanciation physique. C’est donc tout l’aménagement de l’espace public qui est à revoir. » Elle en est sûre, son plan de piétonnisation et de pistes cyclables (327 km), qui équivaut à supprimer des centaines et des centaines de place de stationnement, aurait, avant la crise, provoqué un tollé. Aujourd’hui, elle peut mettre le cap sur une redéfinition de l’espace public, qu’elle entend mener en parallèle avec la révolution du télétravail. On complétera ses propos grâce à la rencontre avec Luc Gagnon, directeur de l’urbanisme et de la mobilité de Montréal, organisée par la Fabrique de la Cité dans sa série sur les villes en crise. Montréal, la seule ville, souligne Cécile Maisonneuve, présidente de la Fabrique, qui ait à sa connaissance fusionnée, en janvier 2019, les directions de l’urbanisme et de la mobilité.
Depuis la pandémie, Montréal connaît des métros et bus vides mais, avec le déconfinement du 25 mai, la ville voit passer beaucoup plus de voitures. Pour l’instant, afin de contrer le mouvement, dit Luc Gagnon, qui invoque Robin des bois, « On vole des voies ! ». La question, c’est de pérenniser ces petits coups de force et de parvenir à une refonte des villes aussi importante, estime-il, que celle initiée par Haussmann à Paris. Il faut aujourd’hui davantage d’espace pour les piétons, comme pour les bornes destinées aux vélos : pas trop difficile dans les quartiers nouvellement construits mais dans les autres, la révision va être déchirante.
Pas de retour à la vie d’avant
Des questions semblables se posent partout. Pour Le Monde aussi, Yuriko Koike, gouverneure de Tokyo, remarque que la part des entreprises de plus de 30 salariés recourant au télétravail est passée de 24 % à 62 %. Le taux d’occupation des transports publics, étant avant la crise de 150 à 180 %, « les gens ne veulent plus y revenir ». Solutions ? Le télétravail sans doute, mais il faut aussi « réfléchir aux horaires de bureau. »
On ne reviendra pas à notre vie d’avant le Covid 19, constate Claudia Sheinbaum, maire de Mexico. Mais, à Mexico, la solution ne s’appelle pas vélo. Les forts dénivelés « empêchent l’utilisation du vélo dans l’immensité urbaine » et, quartier par quartier, la maire ne « voit pas comment créer des low streets dans une ville à l’urbanisation anarchique ». Donc, priorité au transport public.
A Barcelone non plus, assure la maire, Ada Colau, « personne ne veut retourner à la normalité de la pollution ». Rappelant les exemples de Milan ou de Paris, la ville pratique un « urbanisme tactique » : « avec de la peinture et des éléments urbains, nous avons pris des kilomètres de chaussée aux voitures, élargi les trottoirs pour que les gens puissent garder les distances de sécurité, et ouvert des couloirs pour les vélos ». La ville veut maintenant accélérer ces transformations urbaines, et les rendre définitives.
Vers la ville sans contact ?
A Séoul aussi, l’objectif est que le vélo remplace peu à peu les voitures mais un vélo en location et connecté bien sûr, selon le système en place, Ddareungi, fonctionnant avec un code QR, ce qui évite tout contact… On remarque, sans en être surpris, la tonalité très smart cities du discours du maire de Séoul, Park Won-soon, qui compte beaucoup sur les technologies nouvelles.
Le bilan de Séoul dans la pandémie (276 décès seulement au 10 juin) donne de la force à son propos. Même si la ville sans contact fait froid dans le dos, et si l’on en vient à se demander si une ville d’abord conçue moins pour vivre que pour préserver la vie veut la peine d’être vécue…
Formes urbaines revisitées
La région parisienne n’est pas en reste sur ces réflexions. Depuis le 16 juin, jour de sa réouverture, et jusqu’au 6 septembre, le Pavillon de l’Arsenal, centre d’urbanisme et d’architecture de Paris, présente une exposition reprenant les quelque 150 contributions au débat vite lancé auprès des architectes et urbanistes Et demain on fait quoi ?
Et organisait au Pavillon une rencontre le 24 juin sur le sujet. Les contributions au débat, que l’on peut toujours consulter en ligne, doivent faire l’objet d’une publication à la rentrée.
L’ingénieur agronome et architecte paysagiste Pierre-Marie Tricaud demande que soient revisitées des formes urbaines aujourd’hui oubliées ou marginalisées, comme les maisons en bandes ou les cours communes, afin d’écrire un acte II de la périurbanisation.
La marche, minime et majoritaire
L’Institut Paris Région, encore lui, a organisé le 17 juin un webinaire sur la marche, Comment ça marche en Ile-de-France ? Prévue avant le Covid 19, la rencontre entre chercheurs et décideurs prend du relief avec la crise sanitaire.
Dans la région parisienne, rappelle Fouad Awada, directeur général de l’institut, la marche est majoritaire puisqu’elle représente 40 % des déplacements… mais elle est en même temps minime, avec à peine 4 % des kilomètres parcourus, tout de même plus que le vélo qui n’en assure que 1 %. L’enjeu est de profiter d’une vogue du low et de la proximité, voire de changements liés au développement du télétravail pour faire de la marche (en refaire, faudrait-il dire) autre chose qu’un mode complémentaire.
Exemple intéressant de Bordeaux, qui a mis au point une carte montrant le bon maillage de la ville à pied, la marche assurant efficacement les correspondances entre stations de transport public, à la satisfaction de l’opérateur Keolis. Exemple de Strasbourg aussi avec son plan piéton, et sa magistrale piétonne de 4,2 km, de la gare de Strasbourg au quartier du Neuhof. On remarque, en passant, au-delà de simples aménagements urbains, que la ville est d’autant plus « marchable » que le rez-de-ville donne envie d’y marcher. Le propos tenu par les urbanistes rejoint le programme récemment exposé par David Mangin (voir dans le cahier Réservoir Mob du VRT de mai l’entretien sur la rue avec Arlette Farge, et le programme de recherche sur les rez-de-ville dans le monde).
Afin de faire de la route « un espace à vivre », Dorothée Ingert de la direction des transports, voiries, déplacements du Val-de-Marne, demande qu’on sorte de la superposition ou juxtaposition des flux : chaussée pour les voitures, piste pour les vélos, trottoir pour les piétons… Et veut s’affranchir de la seule culture d’ingénieurs, marquée par la gestion de flux, pour s’ouvrir aux questionnements des sciences humaines, en s’appuyant sur le travail des associations. Signe des temps, le jour du webinaire, trois associations (Rue de l’avenir, 60 millions de piétons et la Fédération française de randonnée – Paris) annonçaient la création du collectif Place au piéton qui demande, qu’à côté du vélo, les villes « affichent une stratégie marche à pied ambitieuse ».
Pour qu’on passe d’une simple infrastructure piétonne à une plus complète infrastructure pédestre, Jérôme Monnet, du Laboratoire Ville, mobilité, transport, estime lors de ce même webinaire qu’il faut « articuler les démarches sur la voirie à celles sur les autres espaces publics, en particulier les espaces verts, sans oublier le cheminement interne aux îlots ».
Gageons que Eric Chenderowksi, directeur Urbanisme et territoire de la ville et de la métropole de Strasbourg, adepte de la randonnée urbaine, la pratiquera pour s’assurer des succès des opérations de « marchabilité ». On se permettra d’ajouter à cette pratique ce qui nous semble tout aussi important, la flânerie.
Décarbonation. Les progrès technologiques ne suffiront pas
Aurélien Bigot, l’auteur de l’article, commence par rappeler que pour parvenir à l’objectif d’ensemble d’une division par 5,7 des émissions de CO2 entre 2015 et 2050, le secteur des transports doit viser une décarbonation quasi complète. Or, des cinq leviers envisagés par la Stratégie nationale bas-carbone, ou SNBC (modération de la demande de transport, report modal, augmentation des taux de remplissage des véhicules, amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules, baisse de l’intensité carbone de l’énergie), sont privilégiés ceux qui reposent sur la technologie. On joue peu sur la demande, dont la croissance d’ici 2050 a été estimée par la SNBC à 26 %, alors que « les scénarios les plus ambitieux sur ce point projettent en moyenne une baisse de quasiment 10 % ».
Or, depuis 1960, la corrélation est très forte entre courbe de la demande et courbe des émissions de CO2. Les autres facteurs pouvant intervenir se sont jusqu’à présent contrebalancés. Certes, depuis 1995 le report modal a changé de sens, mais l’impact est encore très faible. La stratégie nationale repose prioritairement sur l’amélioration de l’efficacité énergétique (68 %) et, surtout, sur une décarbonation quasi totale de l’énergie utilisée (97 %), en clair, par le passage aux véhicules électriques.
Pari risqué, alors que « la stagnation des émissions de CO2 des véhicules neufs entre 2015 et 2019, qui rend compte de l’évolution des progrès à la fois d’efficacité énergétique et d’intensité carbone, est inquiétante et risque de remettre en cause les objectifs climatiques de court terme ». L’auteur regrette donc « une ambition modérée voire très faible de la SNBC sur les trois premiers facteurs de la décomposition ».
Bordeaux donne la clé des temps
Signalons le dossier sur les rythmes de la ville de CaMBo, la publication semestrielle de l’a-urba, l’agence d’urbanisme de Bordeaux. Luc Gwiazdzinski retrace l’histoire de la prise en compte, encore faible, du temps dans les politiques publiques et pose, au-delà de l’emploi du temps, la question des rythmes. Thierry Paquot montre comment l’emploi du temps des enfants détermine largement celui des parents, les obligeant à d’acrobatiques contorsions… tandis que l’école, dont le rythme est déterminé par les adultes, « ne tient guère compte de la chronologie des petits ». Isabella Domingie, Francesca Ru et Maguelone Schnetzler s’intéressent aux soutiers « désynchronisés » de la métropole. Vincent Kaufmann remarque que les Genevois s’obstinent à prendre le pont du Mont Blanc bien qu’il soit très embouteillé aux heures de pointe et qu’on leur propose des itinéraires de délestage. Une petite étude menée sur le sujet a apporté une réponse simple : s’ils continuent à emprunter le pont et à perdre du temps, c’est parce que le panorama est magnifique.
L’Enquête nationale mobilité et modes de vie 2020, réalisée par le Forum Vies Mobiles, fait apparaître un nouveau visage de la mobilité des Français. En moyenne, dans le monde d’avant le Coronavirus, un Français se déplaçait 10 heures par semaine et parcourait 400 kilomètres. Nettement plus que ce qu’on mesurait. Principale raison de la différence : en plus des déplacements domicile-travail, le Forum Vies Mobiles tient pleinement compte de la mobilité dans l’exercice même des métiers. Un changement de perspective qui conduit à des préconisations ciblées pour réussir la transition énergétique…
Les gilets jaunes ont mis la puce à l’oreille. Comme le dit Sylvie Landriève, codirectrice du Forum Vies Mobiles, le think tank de la SNCF, « on voyait, dans ce mouvement, de la mobilité partout : contre la diminution de la vitesse, l’augmentation du prix du diesel ou la perspective de la taxe carbone ». On se réunit sur les ronds-points, on met des gilets jaunes — tout cela, « c’est de la mobilité, c’est de la route ». Et pourtant, poursuit-elle, « ce n’est pas forcément ce qui a été retenu par les commentateurs ». Ou, plutôt, une interprétation s’est imposée : « il s’agirait de gens qui vivent éloignés de leur lieu de travail, loin des centres-villes, et que le couple augmentation du prix/diminution de la vitesse allait mettre dans une situation impossible. »
Or, dit Sylvie Landriève, « ça ne colle pas » : les gens qui se retrouvent sur les ronds-points, il y en a dans toute la France. Mais, si vivre dans le centre-ville est un problème en Ile-de-France, à Lyon ou dans d’autres très grandes métropoles, dans le reste du pays ça ne l’est pas. De plus, pour la plupart des emplois, ce n’est pas au centre-ville qu’on travaille : en Ile-de-France, les deux tiers des déplacements se font de périphérie à périphérie. Surtout, dit-elle, on s’est focalisé sur les déplacements domicile-travail. Mais on voit bien — et les verbatims des gilets jaunes le montrent — que ce qui compte aussi, ce sont les déplacements dans le cadre du métier.
D’où l’Enquête nationale mobilité et modes de vie 2020 qu’a réalisée le Forum Vies Mobiles. Il y a pourtant déjà, dira-t-on, l’Enquête nationale transports et déplacements (ENTD), conduite par l’INSEE, qui tous les dix ans environ donne une photographie très précise des déplacements des Français, et dont la cinquième et dernière édition remonte à 2008 (les premiers résultats de l’enquête 2018-2019 étant attendus pour ce premier semestre). Pas question de la récuser. Seulement, remarque-t-on au Forum Vies Mobiles, cette série d’enquêtes qui sert depuis les années soixante à construire l’offre de transport a été conçue à une époque où les Français quittaient les campagnes pour aller s’installer et travailler en centre-ville, puis en première couronne, voire en deuxième couronne. Les données restent structurées par cette vision.
La nouvelle enquête change de point de vue. Et fait apparaître des résultats différents. Déjà, en ce qui concerne le nombre de kilomètres parcourus. Ce qu’on avait en tête, rappelle Sylvie Landriève, c’est qu’au XIXe siècle, on parcourait en moyenne 4 km par personne et par jour, alors qu’aujourd’hui, en France, on en est à 40, selon l’ENTD (à titre de comparaison, on en parcourt 80 aux Etats-Unis). Or, à l’issue de l’enquête du Forum Vies Mobiles, le chiffre fait un bond : en est à peu près à 60 km, en moyenne, ce qui ne reflète évidemment pas l’extrême disparité des déplacements. Avec par exemple, une différence forte entre les personnes qui ne travaillent pas et passent en moyenne sept heures par semaine dans les déplacements, et celles qui travaillent et y passent 12 heures.
Pourquoi une telle différence avec l’ENTD ? Pour commencer, relève-t-on au Forum Vies Mobiles, par hypothèse, dans l’enquête classique, les déplacements de plus de 80 km ne peuvent pas être des déplacements quotidiens. Les trajets domicile – travail Tours – Paris, Reims – Paris, ou Evry – Roissy ne sont donc pas pris en compte. Ils existent pourtant.
Qui plus est, l’enquête classique est construite autour d’une journée type. On enquête sur un jour de la semaine, et on considère que les déplacements des Français, pour les jours ouvrables de la semaine, c’est cinq fois la journée type. Mais, si on fait de la musique un jour ou du sport un autre et qu’on se déplace pour cela, cela n’apparaît pas. Bref, la journée type, à supposer qu’elle reste vraie pour le travail ne l’est pas pour les « déplacements latéraux ». Déplacements qui ne sont pas seulement liés aux loisirs, mais encore, par exemple, aux déplacements spécifiques liés aux enfants dans les familles recomposées.
C’est pourquoi le Forum Vies Mobiles a demandé aux personnes interrogées d’évaluer leurs déplacements non pas sur une journée type, mais sur deux semaines. Afin de prendre en compte tous les déplacements récurrents des adultes (à l’exception des vacances). Ce type de démarche s’inscrit dans la continuité de travaux de chercheurs ayant montré combien la réalité des parcours de chacun est complexe. Surtout, ce que la nouvelle enquête prend en compte, ce sont les déplacements dans le travail.
Pour prendre un exemple extrême, le chauffeur de taxi qui monte dans son véhicule en bas de chez lui le matin et en descend le soir en bas de chez lui, ne fait pas de déplacement domicile-travail. Ses déplacements ne sont pas pris en compte dans l’ENTD alors qu’il passe sa journée au volant. En fait, selon l’enquête du Forum Vies mobiles, 40 % de la population active se déplace dans le cadre de son travail (27 % — livreurs, chauffeurs, routiers, ambulanciers, etc. — le faisant au quotidien).
Ces déplacements sont comme effacés, alors qu’ils concernent des gens qui font une centaine de kilomètres par jour. On passe notamment à côté de tout un monde en plein développement, comme les livreurs à vélos liés à l’essor du e-commerce. A quoi s’ajoutent tous les gens qui ne peuvent se passer d’un véhicule. « Il y a 50 ans, on avait en tête le médecin de campagne ou le postier », dit Sylvie Landriève.
Mais, aujourd’hui, alors qu’une grande partie de population vieillit et reste à domicile, on utilise les services de personnes — livraison, aide ménagère, coiffeur à domicile, infirmière — qui se rendent à domicile : des évolutions de la mobilité qu’observe pour sa part l’Institut pour la ville en mouvements depuis une bonne dizaine d’années, en s’appuyant sur des travaux comme ceux de Frédéric de Coninck, menés dans le cadre du Laboratoire Ville Mobilité Transport de l’ENPC.
Or, ces services à la personne, ce sont précisément des métiers — dont beaucoup exercés par des femmes — qu’on retrouvait autour des ronds-points. Plus généralement, ce qui caractérise les évolutions contemporaines du travail tend à augmenter les déplacements. Phénomène majeur que le Forum Vies Mobiles estime avoir su rendre visible par son enquête.
Une rencontre entre les responsables de la nouvelle enquête et ceux de l’ENTD était d’ailleurs prévue début avril pour discuter de leurs proches, de leurs méthodes et des résultats différents. Pas impossible que les oppositions soient moins tranchées qu’il n’y paraît : l’ENTD, par exemple, remarque un spécialiste, tient compte des déplacements supérieurs à 100 km, mais les classe à part. Il y a aussi des biais statistiques qu’il faut redresser : l’ENTD s’intéresse à tous les Français à partir de 5 ans jusqu’à leur mort, tandis que la nouvelle enquête ne tient compte que des adultes, de 18 à 75 ans, ce qui a pour effet de se focaliser sur une population plus mobile. L’ajustement sera le bienvenu. Quoi qu’il en soit, la connaissance plus fine de tous les déplacements aujourd’hui proposée devrait rester riche d’enseignements. L’enjeu ? C’est simple. Pour Sylvie Landriève, « si on ne comprend pas la réalité des déplacements, on ne comprend pas pourquoi les politiques publiques ne fonctionnent pas ». Car on a 40 ans de politique publique en faveur des transports collectifs.
Or, dans la période, tous les déplacements ont augmenté, et les transports collectifs sont très utilisés mais, sauf peut-être en région parisienne, ils n’ont rien pris à la voiture… Pour que les politiques soient efficaces, il est temps qu’elles soient ciblées au lieu de s’adresser à une moyenne. Pour y inciter, le Forum Vies Mobiles met l’accent sur tout ce qui distingue les Français. Soulignant par exemple que « les 10 % des Français qui se déplacent le moins pour l’ensemble de leurs activités y passent en moyenne à peine dix minutes par jour (environ 1 heure par semaine) contre près de cinq heures par jour (34 heures par semaine) pour les 10 % qui se déplacent le plus — soit plus de trente fois plus ! »
Aussi l’enquête débouche sur quatre préconisations dont trois se veulent ciblées. Un tiers des Français pratique l’ensemble de leurs activités à moins de neuf kilomètres (soit 30 minutes à vélo) et bon nombre de ces gens utilisent la voiture pour se déplacer, alors qu’ils sont dans la zone de pertinence des actifs. Encore faut-il rendre les rues accueillantes aux vélos ou aux marcheurs, ce qui est aujourd’hui loin d’être partout le cas. C’est important d’y parvenir, mais, marche ou vélo, tout ce qui est mode actif ne suffira pas à basculer et à changer de système.
C’est, ensuite, en taxant les plus riches, par un crédit mobilité carbone individuel, qu’on entrerait dans une logique de « rationnement des déplacements ». On romprait ainsi avec le principe de la taxe carbone, conçue comme une TVA où ceux qui se déplacent le plus, devraient payer le plus… alors que certains d’entre eux sont peut-être prisonniers de la nécessité de se déplacer, et pas du tout, ou pas seulement parce qu’ils habiteraient la périphérie.
Puisque la mobilité liée au travail reste structurante, pour les travailleurs mobiles, il y a, à court terme, la nécessité de penser des véhicules légers, non polluants, des aides à la conversion du parc, pour les infirmières, artisans, ou des ouvriers allant d’un chantier à un autre.
Enfin, l’étude invite à revoir complètement la politique d’aménagement du territoire, au profit des villes moyennes. A rebours du choix qui a été fait de privilégier les métropoles. Vaste programme !
F. D.
Enquête nationale mobilité et modes de vie 2020. Enquête auprès de 13 000 personnes, conçue et analysée par le Forum Vies Mobiles. Récolte et traitement des données réalisés sous la responsabilité de l’Observatoire Société et Consommation (Obsoco).
Télétravail : gare à l’effet rebond
Pas de doute, quelqu’un qui se met à télétravailler évite des déplacements. Mais de fait, l’enquête le montre, les gens qui pratiquent aujourd’hui le télétravail habitent plus loin que les autres de leur lieu de travail. Le développement du télétravail risque de s’accompagner d’un « effet rebond » qui a tout d’un effet pervers. Les modes de vie des télétravailleurs ne sont pas forcément plus économes et moins émetteurs de carbone que les autres. Pas question d’être contre le télétravail. Mais mieux vaut être vigilant.
Le piège de la métropolisation
On aurait pu penser qu’en centre-ville, il y a moins déplacement et qu’on ne polluerait pas. Or, plus une ville est dense plus on va passer de temps à se déplacer. Les habitants d’Ile-de-France sont ceux qui passent le plus de temps dans les transports et parcourent les plus grandes distances. En fait, c’est dans les villes petites et moyennes, de 10 000 à 50 000 habitants, que les gens se déplacent le moins. Mais les politiques actuelles sont en faveur de la métropolisation… Et ce n’est pas fini. En Ile-de-France, le Grand Paris Express va se traduire par une augmentation de la population et va augmenter les déplacements en distance et en temps. On va densifier tout autour des gares pour payer une partie de l’infra, augmenter la population, infra qui sur certains tronçons sera saturée avant d’être ouverte.
Si la photo est bonne
Afin de montrer la diversité des modes de vie liées aux déplacements, le Forum Vies Mobiles lance une grande mission photographique qui part explorer la France. En s’inspirant un peu de la mission photographique de la Datar, qui en 1984 avait montré le paysage de la France des années 80, le Forum Vies Mobiles souhaite rendre visibles certains nouveaux modes de vie des Français, en lien avec leurs déplacements. Une exposition est prévue en 2021, dans la lignée de ce qui avait été déjà fait avec l’exposition Mobile/Immobile aux Archives nationales.
Comment convaincre les usagers de ne pas bouder les transports publics lorsque l’heure du déconfinement aura sonné et alors que l’on a maintes fois entendu que les transports en commun représentent un lieu où le risque de contamination par le Covid-19 est fort ?
Depuis le début du confinement, les transports collectifs ont vu globalement leur fréquentation baisser de plus de 80 %. Dans le même temps, la part des déplacements courts a augmenté de 5,5 points, indique une étude réalisée par Kisio (une filiale de Keolis) et le cabinet Roland Berger. « On constate une hausse des déplacements de moins d’1,5 km. Sans doute l’effet des courses », souligne David O’Neill, le directeur exécutif études et conseils de Kision. « Le confinement a eu tendance à lisser les déplacements de la semaine et pendant la journée. Il y a moins de différences entre les jours de la semaine et du week-end », ajoute-t-il.
Un impact fort sur la mobilité à l’avenir
Les quartiers résidentiels et les zones hospitalières sont devenus les lieux les plus fréquentés de la ville, au détriment des zones de loisirs, des gares, des stations de métro et des rues commerçantes.
Et on assiste à un recours accru à la voiture individuelle. D’où la crainte d’aller vers le « tout-voiture » au sortir de la crise. « C’est ce qu’on voit en Chine où il y a des embouteillages monstres car les gens n’utilisent plus les transports publics », souligne David O’Neill.
Selon les auteurs de l’étude, « il y a un enjeu de repositionnement extrêmement important pour les transports publics. D’autant que la voiture ne peut pas être une solution pour tous ». Ceux qui ont choisi de se déplacer à vélo pendant cette crise pourraient continuer à le faire dans la durée. D’autres pourraient recourir plus largement au télétravail. De leur côté, des entreprises pourraient revoir toute leur politique de déplacements de leurs salariés… Quant aux salariés qui sont partis à la campagne pour télétravailler seront-ils incités à changer leur mode de vie ?
Un coût pour les transports publics pouvant aller d’1,8 à 2,6 milliards d’euros
Cette crise pourrait avoir un impact très fort sur la mobilité à l’avenir. « La question de l’attractivité des transports publics urbains et des transports longue distance nous inquiète. Combien de temps cela va-t-il durer ? Toutes ces questions de sortie de crise sont très importantes pour demain », commente Didier Bréchemier du cabinet Roland Berger.
En fonction de la durée du déconfinement, la part de recettes pour les transports publics pourrait aller de 1,8 milliard d’euros (avec un déconfinement progressif avant l’été et reprise normale à la rentrée) à 2,6 milliards d’euros (avec un déconfinement plus long), estime l’étude.
Les transports étant essentiels à l’activité économique, ces experts appellent à ne pas les oublier au moment de la reprise. Et rappellent trois enjeux essentiels à leurs yeux. D’une part, il faudra réussir à rassurer le public sur la question de la sécurité sanitaire dans les transports publics grâce à un ensemble de mesures préventives comme la désinfection, la distanciation sociale, peut-être le port de masques…
D’autre part, les opérateurs devront être capables de repositionner les capacités de transport sur les « trajets pertinents ». « En Asie par exemple, on voit que la capacité d’emport des transports est limitée à 50 % pour permettre de respecter la distanciation sociale », rappelle Didier Bréchemier.
Enfin, estiment les auteurs de l’étude, les autorités organisatrices devront continuer à donner la priorité aux transports publics, en apportant leur soutien économique aux opérateurs pour qu’ils puissent redémarrer au plus vite. Pour voir l’étude : ici.
Le périphérique parisien, symbole suffoquant de la porte d’entrée dans la capitale, fait l’objet d’un débat animé sur son avenir entre les différents candidats à la mairie. Pour prendre la mesure des déplacements quotidiens sur les grands axes de circulation franciliens, et tout particulièrement sur le périphérique, le cabinet de conseil Roland Berger et Kisio, la filiale de Keolis, viennent de publier une étude, qui se base sur les données GPS correspondant aux données de géolocalisation des smartphones collectées régulièrement par l’intermédiaire d’applications mobiles.
L’étude évalue à 1,17 million en moyenne hebdomadaire les déplacements sur le périphérique parisien (0,92 million le week-end). 43 % des usagers du périphérique parisien sont originaires de la petite couronne, 32 % des déplacements sur le périphérique parisien sont des trajets entre Paris intra-muros et la petite couronne et 50 % des déplacements sont effectués par 13 % des usagers uniques, notent les auteurs de l’enquête qui en retirent un ensemble de recommandations.
Réduire la vitesse et créer des voies dédiées
Selon eux, il faut poursuivre la réduction de la vitesse imposée sur le périphérique et créer une voie réservée au covoiturage et aux transports publics sur le périphérique, par exemple entre Paris et l’aéroport Charles de Gaulle, afin d’augmenter le taux d’occupation des véhicules individuels (aujourd’hui de 1,05 personne par véhicule). Ils préconisent aussi « d’introduire des voies réversibles sur les grands axes de circulation approvisionnant le périphérique pour ajuster le nombre de voies à la demande aux heures de pointe (plus de voie vers Paris le matin, moins le soir) et de s’appuyer sur l’intelligence artificielle pour mettre en place des « feux intelligents » afin d’adapter, entre autres, la durée des feux à la densité du trafic routier ». Enfin, ils proposent d’interdire l’accès au périphérique aux poids lourds en transit dans la journée.
La fondation Hulot, en association avec Wimoov, a présenté le 28 janvier son premier « baromètre de la mobilité du quotidien ». L’objectif est de publier chaque année ces indicateurs pour mesurer les évolutions et du même coup l’efficacité de la loi d’orientation des mobilités (LOM) adoptée à la fin de l’année dernière.
« En monitorant année après année les pratiques des Français, nous veillerons à ce que les objectifs de la LOM ne restent pas lettre morte », a expliqué Nicolas Hulot, le président d’honneur de la Fondation, en espérant aussi interpeller les candidats aux élections municipales sur l’importance des enjeux.
Cette première édition du baromètre, qui repose sur les réponses de 4 000 ménages interrogés sur tout le territoire, montre l’importance persistante de la voiture dans les déplacements : elle représente le principal mode de déplacement de 72 % des personnes interrogées, une proportion qui augmente de plus en plus fortement au fur et à mesure que l’on s’éloigne des grands pôles urbains.
L’étude montre aussi une prise de conscience environnementale puisque 89 % des personnes interrogées se disent préoccupées par les questions écologiques. 38 % des automobilistes pensent ainsi qu’ils réduiront leur usage de la voiture dans les dix ans à venir. Toutefois 55 % des sondés affirment aussi ne pas avoir de choix dans leur mode de déplacement. Et, pendant ces deux dernières années, 32 % ont accru l’utilisation de la voiture…
Depuis le 19 août, hormis sur les grands boulevards, les véhicules ne doivent pas dépasser le 30 km/h dans le centre de Lille au lieu de 50 km/h jusqu’alors. La période de transition va durer jusqu’au 31 octobre, incluant une tolérance de la part des autorités. Avec cette cette décision, qui vient compléter le plan de circulation de 2015, la mairie a expliqué vouloir « une ville plus sûre, plus apaisée, plus fluide et plus respirable« . En 2020, il est prévu que des aménagements complémentaires soient installés, comme des doubles sens cyclables, des cheminements pour les piétons, éventuellement des ralentisseurs.