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Ewa

Navettes autonomes : vers la phase d’industrialisation ?

Après dix ans de recherche & développement, ponctué d’un crash financier, celui de Navya, les fournisseurs de navettes autonomes commencent à tenir la route. Le temps des illusions est passé, les promesses de la voiture autonome oubliées. La mobilité automatisée et connectée sera collective, périurbaine et rurale, elle transportera des voyageurs mais aussi des marchandises et des bagages. Et se glissera même sur les voies de chemin de fer.

Les navettes électriques autonomes tardent à se faire une vraie place sur le marché de la mobilité. Les visiteurs des dernières Rencontres nationales du transport public de Clermont-Ferrand ont bien pu emprunter un minibus autonome fabriqué par le turc Karsan pour parcourir les 300 mètres qui séparait le parking du centre des expositions, mais dans la vraie vie, on ne monte pas encore dans une navette autonome comme on monte dans un bus conduit par un humain.
Cela fait une bonne dizaine d’années que l’on voit circuler une poignée de véhicules autonomes en France et à l’étranger : 150 expérimentations ont été menées depuis 2015 sur l’Hexagone (certaines sont toujours en cours), un peu plus de 400 dans le monde.
Les bilans sont en demi-teinte, un certain nombre de services de navettes n’ont pas trouvé leur clientèle, la voie n’est pas complètement libre, les sorties de route toujours possibles. Mais peu à peu, le marché se définit et les fournisseurs de navettes se lancent dans une phase d’industrialisation portée par de nombreux projets. Les multiples et interminables expérimentations ont un mérite, elles ont permis de définir les cas d’usage qui ont de l’avenir. Quels sont-ils ?

Transport autonome de marchandises

Exit le rêve des robots-taxi individuels et des voitures autonomes individuelles, petit à petit remisés dans le placard aux oubliettes. Toujours en lice, les navettes collectives, pas encore 100 % autonomes mais connectées, partagées et supervisées à bord puis progressivement, à distance.
Bref, des lignes de transport public automatisées, les seules que défend depuis longtemps l’Union des transports publics (UTP).
Mais ici aussi, il va bien falloir un jour sortir de la logique d’expérimentations pour passer à l’étape suivante : des lignes régulières. Plusieurs centaines d’ici à 2030, selon les objectifs du gouvernement dans sa stratégie nationale de développement de la mobilité routière automatisée et connectée. Problème, il faut être capable de produire des véhicules en série qui coûtent chers (plus de 300 000 euros) d’autant que les investisseurs privés préfèrent passer leur chemin.
Pour mettre un peu le turbo, l’Etat accompagne financièrement les collectivités locales, moteurs dans la mise en place de ces services de transports collectifs d’un genre nouveau. Avec son bras armé financier, BPI France, qui mène des tours de table pour aider les acteurs du marché à passer à la vitesse supérieure. Ils ne sont pas légion, et l’un d’entre eux, Navya a fait une sortie de route début 2023. Un temps très prometteuse, la pépite lyonnaise a été mise en liquidation en avril, puis rachetée par une entreprise spécialisée dans le levage de marchandises, Gaussin associé au Japonais Macnina, qui mise aussi et plutôt, sur le transport autonome de marchandises. Comme Gaussin, le Toulousain EasyMile ou le francilien Milla Group se diversifient sur d’autres segments de marché, celui du transport de marchandises et de la logistique. Milla, une start-up créée en 2014 par Frédéric Mathis, a passé par exemple un partenariat avec Carrefour pour faire de la livraison de courses alimentaires sur le plateau de Saclay (Yvelines).
Équipée de box dans lesquels sont stockées les denrées, la navette « Milla Delivery » est géolocalisée par le client qui ouvre le casier à l’aide d’un code

Les promesses du rural et du rail

Là où ces navettes trouvent aussi leur sens, c’est en milieu rural, où les habitants n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour les besoins du quotidien : aller sur le marché, chez le médecin, faire des démarches administratives en mairie, visiter des amis, etc. L’avantage, c’est de pouvoir exploiter un véhicule autonome, encore peu fiable devant les obstacles inattendus, en zone peu dense. Et puis, en campagne, il y a beaucoup de lignes ferroviaires abandonnées sur lesquelles des navettes autonomes pourraient se glisser. C’est le pari que tente aussi l’entreprise Milla qui planche avec la SNCF sur le projet Flexy, une navette électrique pouvant quitter les rails pour rejoindre le réseau routier et desservir les communes rurales. Avec un système de roues double fonction rail et route conçu en partenariat avec Michelin.

Tracteurs autonomes de valises

Autre voie de diversification, les aéroports, avec le transport de bagages, nouveau credo de Benoît Perrin, dirigeant d’EasyMile. L’entreprise toulousaine a quelques miles d’avance puisque ses navettes circulent depuis 2021 dans la ville Rose, sur voies ouvertes, sans conducteur ni superviseur à bord, sur le site du campus médical de l’Oncopole. Et plus récemment sur celui de l‘université Paul Sabatier. Elles peuvent aussi bien transporter des voyageurs que de s’occuper de logistique. De valises en l’occurrence avec un tracteur à bagages, le TractEasy, déjà opérationnel sur le tarmac de l’aéroport Toulouse-Blagnac. « Une voie de croissance », selon EasyMile, dans un métier où la pénurie de conducteurs de véhicules se fait aussi sentir.
Ce virage de la diversification, Navya ne l’avait pas pris. Et son repreneur Gaussin a compris que le transport de passagers sera sans doute plus long à passer en mode 100 % automatique que les marchandises. Reste la technologie… Les navettes autonomes ne sont pas encore totalement au point, elles utilisent toute une batterie de capteurs, des GPS, des lidars (télédétection par laser) pour se repérer sur la route, entrer sur un rond-point, ne pas freiner brusquement quand une feuille tombe d’un arbre et au moindre obstacle en général. Sur les nombreux sites d‘expérimentation, les surréactions des véhicules autonomes n’ont pas provoqué d’accidents mais plutôt allongé les temps de trajets, et la vitesse théorique de 20 km/h s’étire. Laissant les collectivités locales les plus enthousiastes un peu sur leur faim.

Ile-de-France Mobilités ne voulait plus lancer de nouvelles expérimentations, mais l’autorité des transports s’est laissé convaincre par le Citybus de Milla. Celui qui vise la possibilité de circuler à 90 km/h sur autoroutes, avec 14 passagers, zéro chauffeur, ni superviseur.
A bord d’un Renault Master Bus E-electrique (véhicule du marché pour minimiser les coûts de développement) auxquels seront ajoutées les technologies de la conduite autonome. Le projet monté avec Vinci Autoroutes, l’opérateur de transport Lacroix Savac et l’université Gustave Eiffel pourrait se concrétiser en 2026 sur l’A10, entre Longvilliers (Yvelines) et la gare RER de Massy (Essonne).

Précision d’Ile-de-France Mobilités, envoyée à la rédaction le 20 février 2024 : « Le projet n’est pas validé ou lancé de notre côté. Il a pour le moment été présenté à Île-de-France Mobilités en décembre 2023. Pour la première phase du projet, une convention de partenariat entre le groupement [Vinci Autoroutes, l’opérateur de transport Lacroix Savac et l’université Gustave Eiffel, ndlr] et IDFM est en cours de rédaction. Cette phase visera, pour IDFM, à s’assurer que la mise en œuvre de cette expérimentation ne perturbera pas le fonctionnement de l’offre de bus existante. A noter par ailleurs qu’il n’y aura pas de participation financière de notre part car ce projet bénéficie déjà d’un financement du plan d’investissement France 2030. Pour la seconde phase, IDFM n’a encore fait aucun retour au groupement ».

Les projets fusent, depuis la rentrée 2023, une navette autonome de la RATP est testée entre les gares de Lyon, d’Austerlitz et de Bercy. Les lampadaires de la capitale ont été équipés de capteurs avec des moyens de communication, la 5G notamment pour communiquer avec la navette. Une infrastructure connectée qui permettrait de gagner en fluidité et de circuler en milieu urbain dense. Il y toujours un opérateur à bord, mais il ne touche pas le volant. En France, les premiers services 100 % autonomes et supervisés à distance sont prévus pour 2026-27.

Nathalie Arensonas