Les plaintes récurrentes sur le niveau élevé des péages ferroviaires pratiqué en France comparé au reste de l’Europe ont été entendues par l’Etat. Le ministère des Transports et celui des Finances ont lancé cette semaine une mission pour évaluer les conséquences d’une éventuelle baisse des péages ferroviaires.
Cette mission, menée par l’Inspection générale des finances et celle du développement durable, doit déterminer si, avec des péages ferroviaires plus incitatifs (donc moins chers), l’offre de trains pourrait augmenter. Il s’agit de savoir si la SNCF pourrait proposer plus de trains et si de nouveaux opérateurs concurrents pourraient être incités à venir sur le réseau ferroviaire français sans mettre à mal le système actuel : SNCF Réseau finance les travaux en partie grâce aux redevances versées lors des passages de trains. En espérant que le surcroît de trafic suscité (et donc de recettes) compense la diminution du montant des péages.
Le sujet n’est pas nouveau, les régions (qui subventionnent les TER) le demandent de longue date, ainsi que les opérateurs qui souhaiteraient venir se frotter à la SNCF mais reculent face aux coûts élevés à consentir. De son côté, la SNCF a cherché à réduire le nombre de trains en circulation et privilégié les rames à deux niveaux permettant d’embarquer plus de passagers sur un même TGV pour réduire sa facture.
Le gouvernement a en tête l’exemple italien où les péages sont moins élevés et la concurrence a pu se développer, suscitant une hausse du trafic. Il espère aussi qu’une baisse des péages se répercute sur le prix des billets (aujourd’hui fortement critiqué) alors qu’en moyenne près de 40 % du prix du billet d’un train grandes lignes est dû aux redevances payées à SNCF Réseau.
Les conclusions de l’étude sont attendues à la fin de l’année.
Comment financer le passage à la mobilité postcarbone ? A cette question, la Fabrique de la Cité répond en présentant un catalogue des diverses sources de financement mises au point au fil du temps dans le monde, et infléchies pour servir à cet objectif. Une bonne boîte à outils. On espère que les politiques sauront s’en servir.
Quelles solutions pour financer la décarbonation ? Question dont on pourra dire qu’elle reste, malgré la crise et la reprise, d’actualité. Voire qu’elle l’est plus que jamais. Certes, on voit bien, à suivre les énormes plans de relance annoncés, que la question — aujourd’hui du moins — n’est pas tant de trouver l’argent que de ne pas se tromper dans ce qu’on va en faire.
Mais, une fois les grandes orientations prises, si, elles le sont, et le sont clairement (on peut toujours rêver) il restera à définir une règle d’utilisation pérennisant ces grands choix. Toutes les questions techniques, de signal-prix devront alors être réglées, et la boîte à outils que nous propose le travail conduit par Camille Combe pour la Fabrique de la Cité sera sans doute des plus utile.
Ce travail a été fait, on l’a dit, selon un angle précis : la décarbonation. Reste que les solutions examinées par l’étude ont été élaborées pour répondre à d’autres questions ; au premier chef le financement de l’infrastructure. De ce fait, apparaît une sorte d’indispensable torsion des objectifs initiaux. La présentation que fait l’auteur, d’une décarbonation comme dénominateur commun, concerne plus la démarche de la Fabrique de la Cité que les ressources elles-mêmes. Ou, s’il s’agit d’un dénominateur commun, il apparaît plutôt a posteriori.
Oregon, pionnier de la taxation
Soit l’Oregon, premier exemple analysé par l’étude de la Fabrique de la Cité. Etat pionnier, nous dit le rapport, puisqu’il fut le premier des Etats-Unis à instaurer, il y a un siècle, une taxe sur la consommation de carburant pour se doter d’un réseau routier. « Système qui a l’intérêt de créer une corrélation entre le volume d’essence consommé, donc le nombre de kilomètres parcourus, et les revenus alloués à la construction et à la maintenance des infrastructures ». Modèle vertueux, mais déjà mis à mal par d’autres dispositions tout aussi vertueuses liées au premier choc pétrolier, incitant à mettre au point des automobiles plus économes, ce qui mécaniquement fait baisser les revenus des taxes. Deuxième anicroche, l’arrivée des véhicules électriques, qui par définition sont exonérés de la taxe sur le carburant. Or, note le rapport, « chaque véhicule électrique vendu représente une diminution annuelle de 300 dollars de la taxe sur les carburants », soit 250 millions de dollars annuels pour l’ensemble des revenus de la taxe aux Etats-Unis.
A vrai dire, le parc étant très limité, la diminution ne représente que 1,47 % des revenus de la taxe. Mais le parc électrique étant appelé à croître et embellir, la question qui semble minime est en fait une question d’avenir. Au bout du compte 30 % des revenus serait victime de la double menace, d’une efficacité énergétique accrue des moteurs thermiques, et d’une croissance du parc électrique.
L’Oregon, suivi par quatorze autres Etats, a donc mis au point une redevance kilométrique, fondée non pas sur la consommation du carburant mais sur l’usage de l’infrastructure. Plus on roule, plus on paie, selon un principe de flat tax, la même pour tous. Trop tôt pour en tirer des leçons, l’expérimentation se faisant sur la base du volontariat et concernant en fait très peu de monde. Reste que l’idée vaut la peine d’être creusée. La transition est importante aussi. Les deux systèmes cohabitants, et le système ancien étant largement dominant, il se trouve qu’en fait les véhicules électriques utilisent gratuitement l’infrastructure. Aussi a-t-on mis au point, parallèlement, un système de frais d’enregistrement élevé. Né selon un principe d’équité, il risque de désavantager les véhicules électriques que l’on veut pourtant promouvoir… L’idée serait d’en exonérer les propriétaires de véhicules électriques s’ils passent au nouveau système proposé.
Singapour, pionnière du péage
La Cité-Etat, on le sait, s’est dotée il y a 45 ans, la première au monde, d’un péage urbain fait pour lutter contre la congestion dans un espace contraint. Le système de financement et de report modal de Singapour repose sur des droits d’enregistrement très élevés et sur ce péage urbain dynamique, pratiquant la modulation tarifaire en fonction de la congestion et de la catégorie de véhicule. Le système dit ERP a fait ses preuves, et « les automobilistes singapouriens perdent 10 heures par an dans les embouteillages contre 102 heures à Los Angeles, 74 à Londres et 69 à Paris », note l’étude.
Mais une nouvelle étape va être franchie, et l’ERP reposant sur des portiques va être remplacé cette année par un ERP2, péage satellitaire, instaurant une tarification au kilomètre : de ce fait, le système de gestion de la congestion devient système de gestion de la mobilité.
Les revenus vont contribuer à l’objectif de doublement du réseau de métro d’ici 2040. Mais l’ERP2 va permettre de suivre chaque véhicule en temps réel, ce qui, relève le rapport, ne va pas sans soulever des inquiétudes quant aux libertés individuelles — qui ne sont pas la préoccupation première des autorités de Singapour.
Tour du monde des solutions
On ne va pas rentrer dans le détail des analyses.
Citons rapidement New York, qui face à la nécessité de réinvestir lourdement (51 milliards de dollars sur cinq ans) s’apprête à adopter dès 2021 le péage urbain pour lutter contre la congestion, ce qui rapporterait environ le tiers des sommes nécessaires au programme d’investissement prévu, à quoi s’ajoutera une taxe intéressante sur les achats en ligne ainsi qu’un dispositif permettant de capter une partie de la plus-value foncière. Allons à Londres, qui malgré le péage urbain connaît une congestion sans précédent, due sans doute à l’irruption des VTC, et où les 21 km2 de la Congestion chargedeviennent cette année une Ultra Low Emission Zone. Oslo, où le véhicule électrique devient quasiment la règle (en 2019, près de la moitié des nouveaux véhicules immatriculés en Norvège, pays à très haut pouvoir d’achat, étaient électriques). Hong Kong, où, comme on le sait, les revenus du foncier vont en partie à MTR qui peut ainsi investir.
Loin de s’en tenir aux systèmes urbains, l’étude aborde aussi la RPLP suisse, et s’attarde sur le système de concession français qui n’a, à ses yeux, que des vertus. La Fabrique de la Cité étant une émanation de Vinci, on ne sera pas surpris par ce penchant, qui ne nuit pas à l’analyse.
Une analyse d’autant plus nécessaire, comme l’observent les auteurs, que l’on est dans une crise (pas seulement française) du consentement à payer, en même temps que dans un assèchement des moyens de financement. Alors même que l’on observe, avec le développement de nouvelles technologies, une augmentation exponentielle des investissements vers des projets de service, de types Lyft ou Uber, qui participent à l’augmentation du nombre de kilomètres parcourus, et se substituent en majorité aux modes historiques. Autant de nouveaux services qui, malgré de belles déclarations, n’ont pas pour objectif de continuer à la baisse des émissions de CO2. Plutôt que de résoudre les problèmes de mobilité, relève l’étude, ces nouveaux services issus du numérique s’en nourrissent…
Reste à savoir tirer les leçons de ce tour d’horizon. Les recommandations de la Fabrique de la Cité, qu’on pourrait se résumer en, un, il faut savoir ce qu’on veut, deux, à chaque territoire sa solution, et trois il faut prendre le temps de bien expliquer ses choix aux usagers et citoyens, sont à la fois de bon sens et nous laissent sur notre faim. Le dernier mot appartient au politique, c’est vrai. Mais, sur le sujet, et de longue date, il est plutôt balbutiant.
F. D.
Entretien
« Il faut sauver le soldat transport public »
Pour Camille Combe, auteur de l’étude sur le financement de la mobilité, et pour Cécile Maisonneuve, présidente de la Fabrique de la cité, la crise du Covid-19 ne fait que renforcer les leçons de leur étude. Indispensable de dégager des ressources affectées pour financer la mobilité décarbonée… et pour assurer une relance s’inscrivant dans le Green Deal.
VRT.Votre étude, Financer la mobilité dans un monde post-carbone, fait un vaste tour d’horizon de solutions de financement déjà existantes, qui n’ont pas été conçues au départ pour assurer la décarbonation…
Cécile Maisonneuve.Certes ce sont des solutions qui, en soi, ne sont pas nécessairement vecteurs de décarbonation. Quand l’Oregon a mis au point il y a un siècle sa taxe sur les carburants, ce n’était pas sa préoccupation. Mais ces solutions peuvent y servir, si on les utilise en les combinant avec d’autres modèles…
En panachant, on peut faire coup double. D’une part financer soit l’infrastructure elle-même soit la digitalisation de son exploitation, d’autre part décarboner. Je dirais même aujourd’hui faire coup triple. Alors qu’on était dans un cadre d’assèchement des financements, on peut faire de ces ressources de financement un levier de la relance, le levier d’un Green Deal postcoronavirus, à décliner selon les territoires.
Camille Combe.L’un des sujets les plus importants, c’est l’affectation de ces ressources qui, par essence, comme vous le soulignez, n’ont pas pour objectif la décarbonation, mais de financer les infrastructures. Quelle va être l’affectation sur la mobilité, et l’affectation sur la décarbonation ? Sujet d’importance, quand on se souvient que sur les revenus de la TICPE en France, 30 % vont aux collectivités, la moitié au budget… et le reste à la mobilité. Prenons en revanche les exemples de Singapour et de New York. On voit qu’il y a là une double volonté, d’affecter les ressources au transport collectif et aux infrastructures et, derrière, bel et bien d’aller vers une mobilité décarbonée.
VRT. Vous faites un tour d’horizon, mais à la fin, vous ne préconisez pas de solution et insistez simplement sur la nécessité de bien assurer l’acceptabilité des mesures proposées.
C. M. C’est important de le dire et de le rappeler, il n’y a pas de solution miracle, et il n’y a pas de prêt-à-porter. Les solutions dépendent d’approches très territoriales. La mobilité dans l’aire métropolitaine de Paris n’a rien à voir avec la mobilité d’une métropole comme Toulouse. Et l’étude se termine sur la méthode car quand on sait ce que l’on veut faire, il faut encore savoir comment on le fait. L’acceptabilité est clé.
VRT. Quel type de panachage tout de même vous semble intéressant ?
C. M. Il y a un croisement nécessaire entre aménagement urbain et mobilité, entre valeur du foncier et développement des infrastructures. C’est d’ailleurs un peu en France la logique du Grand Paris Express.
C. C. L‘exemple le plus abouti est celui de New York qui, en 2019, a décidé son programme pluriannuel, de 51 milliards de dollars, soit entre 30 et 40 % de plus que le précédent programme. Et il y a là deux sujets de financement.
Le premier, l’adoption du péage urbain afin de réduire la congestion dans le centre-ville, et comme outil pour financer les infrastructures. Mais, s’y ajoute un deuxième élément, de développement de taxes assises sur des actifs fonciers ou immobiliers, qui va lui aussi permettre de financer. On va être actif sur le flux, mais aussi sur le stock, on peut financer grâce aux personnes qui profitent du transport qu’assure l’un des réseaux de transport les plus denses au monde. Le mécanisme de land-value-capture paraît intéressant.
VRT.En quoi la crise change-t-elle votre approche ?
C. C. Une tribune issue du conseil municipal de New York montre en quoi la crise du Covid-19 et l’enjeu de la reprise sont importants. Pour que la reprise se passe le plus sainement à New York, où le taux de motorisation est très faible, seulement de 27 %, il faut que le réseau de transport public puisse fonctionner. Il faut pour cela agir non seulement sur l’offre avec les fréquences, avec des mesures importantes d’hygiène, mais aussi sur la demande, notamment sur le télétravail, et utiliser d’autres moyens ; par exemple faire de la tarification dynamique selon les heures de la journée, avec une proposition de surtaxation et d’affectation au financement. Il y a un enjeu central de financement des transports collectifs.
C. M. La crise du Covid-19 accentue une tendance existante concernant les financements. On a atteint une limite à la spécificité française de faire appel à l’entreprise, mais d’autres modèles aussi ont atteint leur limite.
Or, il n’y a pas de décarbonation sans recours aux transports en commun comme colonne vertébrale des déplacements dans le centre et en connexion avec la première couronne. Il va falloir sauver le soldat transport en commun.
VRT. Quel autre point important ?
C. M. L’énorme bénéfice collatéral de cette crise, c’est de mettre en avant la question de la demande. On connaît des effets d’évitement dans l’électricité par exemple, autre grand secteur émetteur dans le monde de CO2, mais pas dans la mobilité, où on ne joue que sur l’offre.
Or, il faut jouer sur les deux facteurs, et je précise que nous ne nous plaçons pas dans la perspective d’une démobilité. Nous pensons que la demande va rester forte, et croître, mais nous pensons qu’elle va se déplacer.
VRT. On met beaucoup l’accent sur le télétravail…
C. M. Il y a un effet d’hystérésis sur le télétravail. La Fabrique de la Cité a publié en avril un texte sur le sujet, où nous appelons à des partenariats d’acteurs. Il faut varier les approches par bassin d’emploi.
C. C. On ne va pas nier l’intérêt du télétravail mais il reste limité. On lui demande peut-être de jouer un rôle qui n’est pas le sien. Il faut le concevoir non pas comme un outil permettant de réduire globalement les déplacements domicile-travail mais plutôt comme un moyen de mieux aménager les mobilités individuelles. Il permet à chacun de mieux organiser son programme… mais l’on sait que ça n’exclut pas des déplacements supplémentaires.
Je voudrais souligner un autre effet de la pandémie. Elle montre qu’une nouvelle forme de choc peut frapper les villes. Et se traduire par une forme inattendue de report modal, à l’exemple de ce qui est en train de se passer en Chine.
A Toronto près d’un quart de la population ne veut pas reprendre les transports tant qu’un vaccin n’est pas trouvé.
Certes il y a le vélo, mais il y a un sujet de distance, un sujet d’usage aussi. Le vélo ne résout pas tout. Le risque c’est un grand retour de la voiture. Un des sujets de la reprise, c’est la peur du transport collectif. Or il faut faire en sorte qu’elle passe aussi par le transport collectif.
VRT. Quel sujet faut-il maintenant traiter en priorité ?
C. M. Je vois trois grands sujets. D’abord, il faut avoir un débat sur l’affectation des taxes et ressources.
Ensuite, autant la décarbonation dans le secteur du bâtiment fait consensus, autant la question devient politique dans la mobilité. On parle style de vie, mode de vie… On ne fera pas l’économie de ce débat.
Enfin dans la mobilité, les émissions en centre-ville sont faibles, juste de l’ordre de 2 %, dans les zones rurales c’est 20 %. L’énorme enjeu, trop peu perçu, c’est entre les périphéries elles-mêmes et entre centre et périphérie.
Etrennes pour les poids lourds, la province de Guipuscoa, au Pays basque, (la première dans la Péninsule ibérique) met en service ce 9 janvier trois portiques de péage pour les camions. Les transporteurs routiers espagnols critiquent ces dispositifs situés sur les axes européens autour de Saint-Sébastien, et notamment vers le col d’Etxegarate (route N1 Irún – Madrid). Les poids lourds de plus de 3,5 tonnes devront s’y acquitter de 0,34 euro par kilomètre. Gestionnaire des infrastructures routières, l’exécutif de la province basque de Guipuscoa estime pouvoir collecter 27 millions d’euros par an pour l’entretien et l’amélioration de ces axes qui accueillent jusqu’à 12 000 camions par jour. Il espère également ainsi réorienter le trafic vers l’autoroute A1 Eibar – Vitoria (payante) que délaissaient les transporteurs pour une N1 jusque-là gratuite.