Un nouveau concept de train mécanisé, développé par les sociétés suisse Scheuchzer et française TSO, a entamé depuis quelques mois le remplacement des rails sur les LGV Sud-Est et Atlantique. Le « BOA », c’est sa dénomination, combine deux engins. Le premier soude les barres élémentaires déposées au préalable dans la voie de travail. Le second les substitue aux anciens rails tout en assurant en même temps la libération des contraintes. Un rendement nocturne de 800 à 1 000 m pour remplacer deux files de rails, soudures électriques, opération de libération de leurs contraintes internes, retrait et évacuation des rails anciens compris. Avec, dès l’aube, une reprise de la circulation des TGV à 160 km/h sur la zone renouvelée… C’est le défi technique, mobilisant une soixantaine de personnes, qui a eu lieu chaque nuit du lundi soir au samedi matin, de fin septembre au mois de décembre, sur le tronc commun de la ligne à grande vitesse Atlantique. Ces opérations spectaculaires ont été réalisées par le nouveau train dénommé « BOA » appartenant au groupement d’entreprises TSO (mandataire) et Scheuchzer. « Depuis de très nombreuses années, nous étions convaincus avec notre partenaire que l’avenir des renouvellements de rails sur LGV portait sur une méthodologie groupée en une seule opération », explique Christian Boscher, directeur France chez TSO.
Spécialisée en travaux de voies, la société suisse Scheuchzer possédait un train similaire depuis une quinzaine d’années. Dans le cadre d’un partenariat avec TSO, elle l’a mis en œuvre une première fois en France sur la LGV Sud-Est pour remplacer des rails presque trentenaires. L’attribution par RFF à ce groupement du marché pluriannuel 2009-2014 (environ 120 millions d’euros) de remplacement des rails sur les deux lignes à grande vitesse aboutit en 2008 à la construction chez Scheuchzer d’un « BOA » de deuxième génération. « Nous avions déjà l’avantage de connaître le fonctionnement d’un tel train puisqu’il travaille régulièrement en Suisse. Le principe de celui-ci est identique au premier, mais avec une technologie plus récente », explique Matthias Paris, l’un des cinq machinistes de Scheuchzer affectés au train. Ses collègues surveillent différents postes cruciaux, prêts à signaler le moindre problème, lui est au poste de commande générale. Un poste très sophistiqué où tous les paramètres sont réglables et où des écrans visualisent diverses opérations. Caméras qui détectent les écrous d’attache du rail et délivrent au groupe de tirefonnage les ordres de commande de desserrage à l’avant et de serrage à l’arrière, température du rail neuf en sortie des fours à induction qui vont l’amener à 25° au moment de sa pose et de sa fixation sur les traverses, vitesse d’avancement du train de l’ordre de 250 m/heure…
Les intérêts de cette méthode mécanisée à grande vitesse sont multiples. Les rails neufs arrivent directement sur rames commerciales depuis les aciéries en barres élémentaires de 80 à 120 m et sont insérés dans le train bloc juste avant leur mise en œuvre. Le convoi, qui est scindé en plusieurs parties dès son arrivée sur le chantier, regroupe les machines permettant toutes les opérations. « En Suisse, il ne réalise que le soudage et la substitution, le déchargement et le rechargement des rails sont effectués par les CFF, précise Charles Bousquet, conducteur de travaux chez TSO. Ce concept de train bloc n’existe qu’ici et a été créé spécialement pour ce marché. Nous l’avons aussi amélioré sur le plan sécurité de façon à travailler sans avoir la voie contiguë et sans consignation caténaire. » Lors de son intervention sur l’Atlantique, le « BOA » a remplacé les rails sur 34 km de la voie impaire. Cette mission achevée, début janvier, il devait démarrer une campagne similaire sur la LGV Sud-Est où 94 km de la voie 1 doivent être changés d’ici fin juin 2011. Mi-septembre, il reviendra à nouveau sur la LGV Atlantique pour substituer deux fois 37 km de rails.
LE REMPLACEMENT DE LA VOIE, PHASE PAR PHASE
Le déchargement des rails
Installées sur des wagons spéciaux au départ directement intégrés au train bloc, les barres neuves de 120 m provenant des aciéries sont déchargées à l’avancement en une dizaine de minutes par un portique Silad, un système de goulottes de guidage et une rampe toboggan qui amortit leur chute. Placés au milieu de la voie à remplacer, les rails neufs sont posés sur des rouleaux permettant leur dilatation libre.
La soudure électrique
À l’arrière, la partie « BOA » 812 règle dans un établi spécial au 1/10 de millimètre près la continuité des rails entre eux et sa tête mobile Schlatter les soude électriquement par étincelage-forgeage pour former les LRS (longs rails soudés) des deux files. Le cycle complet de l’opération, semblable à celui pratiqué dans les ateliers spécialisés, dure à peine une vingtaine de minutes. La nuit suivante, un soudeur effectue un meulage de finition et une vérification des soudures. Chaque semaine, selon les normes européennes, un coupon test est envoyé dans un laboratoire pour contrôler la conformité de la soudure électrique.
La substitution
La partie principale du convoi, le « BOA » 822 accompagné de son wagon de petits matériels neufs (selles placées sur les traverses, pièces des attaches de rails Nabla), assure les opérations de substitution et de libération. L’avant du train, qui roule encore sur les vieux rails, les écarte et les dispose sur les têtes de traverses dans des « pièces L ». Les pièces d’attaches anciennes sont posées sur un convoyeur à bandes qui sépare le métal du plastique et le place dans des conteneurs. Dans le même temps, les rails neufs sont mis en place et fixés définitivement à la température recherchée de 25° – c’est la libération – acquise lors d’un passage dans trois fours à induction. Et l’arrière du train roule aussitôt dessus…
Le rechargement
À l’arrière, un portique VIA CAR avec bras de préhension recharge les rails anciens sur une rame TSO et les évacue sur la base où ils seront transbordés de jour sur une rame SNCF. Les ultimes opérations nocturnes consistent à assurer un bourrage mécanique lourd et un régalage pour reconstituer le profil de la banquette du ballast. À l’issue de la nuit, le chantier est propre et les TGV peuvent à nouveau circuler. Ils sont cependant limités à 160 km/h, sur une distance maximale de 14 km, jusqu’au moment où le relevé des enregistrements après bourrage mécanique lourd permettra de rendre à 300 km/h. Ce chantier offre également la possibilité de rendre la voie à vitesse normale sans limitation temporaire de vitesse (LTV), en assurant toutes les opérations la même nuit avec un contrôle de la géométrie avant reddition de la voie. Cette option sera effective sur la LGV Paris-Sud-Est une semaine en février avec un rendement atteint de l’ordre de 450 m par nuit.
Tronc commun de la LGV Atlantique : 183 TGV par jour
Depuis sa mise en service en 1989, le tronc commun de la LGV Atlantique a supporté plus de 400 millions de tonnes par voie. Le tronc commun de la LGV Atlantique (groupe UIC 3) est en service depuis 1989, date de l’ouverture de la branche vers l’ouest, suivi l’année suivante de celle vers le sud-ouest. En moyenne, il voit passer au quotidien 89 TGV sur la voie 1, soit 66 606 t, et 94 sur la voie 2, soit 66 195 t. Des données 2009 qui devraient être sensiblement équivalentes sur l’année suivante. Fin 2010, le tonnage cumulé est d’environ 405 millions de tonnes par voie. Or, selon les estimations de la direction « rénovation du réseau » de RFF, la fin de vie des rails de type UIC 60 (60 kg/m) de la LGV se situe dans une fourchette large de 400 à 550 millions de t, seuil haut qui devrait être atteint en 2013-2014. Quelques zones ont déjà été renouvelées en 2004 et 2006, mais c’est surtout depuis 2008 que les rails du tronc commun sont peu à peu remplacés et ils le seront intégralement d’ici 2014. En fait, après leur dépose, les rails entament une seconde vie sur les lignes classiques…