Les difficultés s’accumulent pour le groupe RATP, les coups pleuvent de toutes parts. Tout d’abord, la hausse des salaires de 5,7% consentie début 2023 par le nouveau pdg, Jean Castex, est sous-compensée dans le contrat avec Ile-de-France Mobilités (IDFM), son donneur d’ordres. Ensuite, la flambée des prix de l’énergie et le coût des grèves contre la réforme des retraites. Enfin, les émeutes urbaines donnent le coup de grâce : à elles seules, elles vont coûter sept millions d’euros au transporteur public. Fin juin, le groupe enregistrait des pertes de 129 millions, après une année noire en 2022.
Globalement, la bonne performance des filiales du groupe qui enregistrent une progression de 55 millions de chiffre d’affaires au premier semestre 2023 (à 883 M€) est absorbée par la mauvaise passe de l’Epic en charge des bus, métros, tramways et RER de Paris et sa petite couronne. Et si RATP Dev remporte des marchés à l’international et en France (dernière victoire en date, l’exploitation de la future ligne 15 du métro du Grand Paris), la filiale est confrontée à un foyer de pertes sur ses contrats de bus à Londres. Au point de chercher à s’en défaire. « Une réflexion stratégique est en cours« , commente sobrement la RATP. Au final, le chiffre d’affaires global ne progresse que de 2,4%, à 3,2 milliards d’euros.
« Des résultats assez compliqués, résume avec euphémisme Jean-Yves Leclercq, le directeur financier. Compliqués « mais contrastés« , ajoute t-il, puisque d’un côté, l’offre de transport métro et bus en Ile-de-France se rapproche (péniblement) de ce qui est prévu dans le contrat avec IDFM pour s’établir à 84%, contre 75% au premier semestre 2022. Elle est revenue à son niveau d’avant-Covid, « sauf sur les lignes 4, 6 et 11 du métro parisien« , en cours d’automatisation ou de travaux. La fréquentation suit avec une nouvelle poussée de 6% au premier semestre (sauf dans les bus), après +21% sur l’année 2022. Elle est encore en retard de 15% par rapport à la situation avant Covid, mais à – 8% en juin.
Le rétablissement de la qualité de service était l’une des priorités de Jean Castex lorsqu’il a pris les commandes de la RATP en novembre 2022. Le recrutement de conducteurs en était une deuxième, et les embauches sont allées bon train avec 2250 CDI signés au premier semestre. La paix sociale était aussi un impératif pour le nouveau PDG alors que se profilait la réforme des retraites, l’ouverture à la concurrence des bus parisiens et les Jeux olympiques. En janvier 2023, il a concédé une hausse générale des salaires de 5,7%. « C’était de notre responsabilité de le faire dans le contexte de l’inflation et des forts enjeux de pénurie de personnel », justifie Jean-Yves Leclercq.
« La situation n’est plus tenable »
Problème, le contrat de l’Epic RATP signé avec IDFM, l’autorité organisatrice des transports présidée par Valérie Pécresse, prend en charge une augmentation maximum de 1,5% des salaires en 2023. « Quand nous avions négocié le contrat, en 2021, l’inflation était inférieure à 1% par an. Puis, il y a eu la guerre en Ukraine... », rappelle le directeur financier. Autre écart qui pèse d’ailleurs sur les comptes de l’entreprise publique, l‘indice Insee du prix de l’électricité qui ne couvre que 40% de la facture de la RATP. « Nous avons demandé à IDFM une adaptation des clauses contractuelles car la situation n’est plus tenable, on ne pourra pas exploiter durablement le réseau de transports franciliens à pertes« , commente le transporteur. D’autant que le contrat avec son donneur d’ordre court jusqu’à fin 2024.
Cumulés, les plafonnements de l’inflation sur les coûts salariaux, les prix de l’électricité et les autres charges externes ont coûté 127 millions à la RATP, en six mois. Déficit auquel s’ajoutent les 26 millions d’euros de remboursement à IDFM des kilomètres non réalisés (« réfactions kilométriques »), les 10 millions de manque à gagner pendant les grèves contre la réforme nationale des retraites. Et, n’en jetez plus, le coût des dégradations de bus, tramways et dépôts, déjà évalué à six millions d’euros et qui pourrait en atteindre sept au total !
Conséquence, le résultat opérationnel (EBIT) est en recul de cinq millions d’euros, il était à 130 M€ proforma en juin 2022. La capacité d’autofinancement cède le pas à 347 millions, contre 580 millions un an auparavant.
Malgré ces vents contraires, la RATP a maintenu 884 millions d’euros d’investissements en Ile-de-France sur le premier semestre, dont 149 pour le prolongement de la ligne de métro 14 vers l’aéroport d’Orly pour être au rendez-vous des JO de juillet 2024, si le matériel roulant est livré à temps. Et 963 millions d’investissements au niveau groupe, même si ce dernier n’est plus en mesure d’accompagner financièrement sa filiale d’ingénierie Systra (codétenue avec la SNCF) dans ses conquêtes internationales. « Elle doit maintenant voler de ses propres ailes« , prévient Jean-Yves Leclercq. La RATP a besoin d’éponger ses pertes.
Nathalie Arensonas