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Ewa

La SNCF n’anticipe pas assez le changement climatique, selon la Cour des comptes

Des rails en acier qui se déforment sous l’effet des fortes chaleurs, des caténaires qui se distendent et risquent l’arrachement, des gares en surchauffe. Quand le thermomètre monte, la SNCF doit ralentir la vitesse des certains trains. Selon le rapport annuel de la Cour des comptes publié le 12 mars, en 2022, les intempéries ont été à l’origine de 19% du temps des minutes perdues imputables à SNCF Réseau, gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire qui mène actuellement un énorme programme de rénovation du réseau.

Pour la première fois, les Sages de la rue Cambon ciblent tout particulièrement le sujet du dérèglement climatique et ses conséquences financières. Dans de nombreux secteurs, dont le transport ferroviaire.

Les aléas météorologiques sont de plus en plus intenses et fréquents et vont contraindre SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions à adapter leurs infrastructures, mais les magistrats financiers jugent que le groupe ferroviaire n’anticipe pas assez les effets du dérèglement climatique, ni pour rendre ses installations plus résilientes, ni pour évaluer le coûts des dégâts à venir. En clair, ils s’alarment de la vulnérabilité du réseau ferroviaire face à ces changements. Un risque accru par la vétusté du réseau, assènent-ils.

S’ils reconnaissent que SNCF Réseau a été « la première entité au sein du groupe à engager une réflexion sur les risques accrus par le changement climatique et à mener des études de vulnérabilité physique du réseau » [un comité stratégique sur le sujet se réunit deux fois par an et une étude de vulnérabilité est en cours chez SNCF Gares et connexions], ils estiment que le groupe ferroviaire a un train de retard sur le dérèglement du climat et ses conséquences financières.

Sur le sujet, lire notre dossier « Les gares au défi du changement climatique »

« Les conséquences opérationnelles et financières du changement climatique sont encore mal connues. Ces données sont pourtant essentielles à la mise en place des programmes d’investissements à venir. S’il est hors de portée financière et peu pertinent de mettre l’ensemble du réseau historique aux normes les plus exigeantes, l’investissement à consentir pour le régénérer et le moderniser doit être mis en regard des coûts qu’occasionnerait une absence d’adaptation au changement climatique », lit-on dans le rapport.

Voir le chapitre du rapport de la Cour des comptes consacré à l’adaptation du réseau ferroviaire au changement climatique : ici

N.A

Ewa

Adapter les gares aux risques climatiques

Avec + 4°C d’ici à la fin du siècle (scénario envisagé par le Conseil national de la transition écologique), et alors que le Sud Est de la France vient de connaitre des journées caniculaires, le pays sera plus touché que prévu par le réchauffement climatique. Montées des eaux, inondations, chaleurs extrêmes, mouvements de terrain, incendies… Les événements météorologiques extrêmes risquent de se multiplier et de détruire bâtiments et infrastructures. A quel point les gares sont-elles exposées aux risques climatiques physiques ?

L’agence de notation extra-financière EthiFinance (elle certifie les financements obligataires à partir de critères environnementaux et sociaux) a établi un classement en mai 2023. Dans le top 10 des gares exposées au risque de vagues de chaleur, celles d’Arles, Tarascon, Beaucaire, Mont-de-Marsan, Avignon centre et TGV. Au risque de tempêtes, rafales de vent, celles de Brest, Cherbourg, Roscoff, Modane, Landerneau. À la hausse du niveau de la mer, celles du Havre, du Verdon, de Batz-sur-Mer. Au risque d’inondations fluviales, la gare de Paris-Austerlitz. L’exercice basé sur des modèles climatiques, indices météorologiques de flux, fichiers d’alertes européennes, fait sourire Raphaël Ménard, patron d’Arep, agence pluridisciplinaire et internationale d’architecture des gares, filiale de SNCF Gares & Connexions : « Les gares, ça parle à tout le monde, et c’est un bon coup de pub pour cette agence de notation et de conseil », balaie l’architecte-ingénieur qui affirme « avoir une longueur d’avance sur la cartographie des vulnérabilités ». Gares & Connexions a confié à son agence une mission d’assistant à maîtrise d’ouvrage sur l’étude des vulnérabilités des gares au réchauffement climatique. Les résultats sont attendus fin 2023.

Sur demande de la Ville de Paris, Arep travaille déjà d’arrache-pied sur l’adaptation des six grandes gares parisiennes. Un « atlas bioclimatique » est sorti en début d’année pour dresser une trajectoire de la transition écologique d’ici à 2030, puis à 2050. Ce document d’une centaine de pages identifie les actions à mener pour réduire la consommation d’énergie – tout en produisant de l’énergie –, abaisser les émissions de CO2, retrouver de la biodiversité, et enfin, bannir les îlots de chaleur afin de diminuer les températures dans les gares et sur leurs parvis. 
Comment ? Avec de la végétalisation, des ombrières, des matières et de la colorimétrie qui jouent sur le niveau d’albédo. C’est-à-dire le niveau de réflexion de la lumière, lequel dépend directement de la couleur et de la matière des surfaces. D’énormes travaux d’adaptation sont nécessaires dans les gares parisiennes. Ils sont documentés dans l’atlas : solarisation avec la pose de panneaux photovoltaïques, végétalisation et cool roofing (revêtements anti-chaleur) « permettent de gagner plusieurs degrés à la baisse. Le Musée national des Beaux-Arts d’Anvers l’a fait, nous en discutons avec la Ville de Paris, par exemple pour la gare du Nord », explique Hiba Debouk, directrice déléguée territoires chez Arep.

Schéma d’éclaircissement

Pour faire baisser la température des rails, l’Italie et la Belgique avaient misé sur la peinture blanche, avant d’abandonner l’idée car cela coûte cher (il faut repeindre souvent), et rend la détection des fissures difficile. Repeindre les toits des gares en blanc pour faire baisser la température ? Raphaël Ménard milite pour « un schéma d’éclaircissement » des toitures pour combattre la chaleur dans les bâtiments. Le principal frein est patrimonial et esthétique. Surtout pour les gares classées ou inscrites au titre des monuments historiques: la France en compte une cinquantaine et les Architectes des bâtiments de France (ABF) veillent au grain. Si la gare d’Angoulême, site patrimonial, accueille des panneaux photovoltaïques sur son toit, avec la bénédiction des ABF, accepteront-ils un jour que le toit d’une gare parisienne soit de couleur blanche ? « Il y a au moins 50 nuances de clarté », tempère Raphaël Ménard. « Nous avons demandé l’aide de la Ville de Paris pour être accompagnés auprès des ABF, mais franchement, c’est compliqué », témoigne Hiba Debouk.

Quid des verrières des grandes halles voyageurs (GHV) en cours de réfection dans les gares de Lyon, Saint-Lazare et Austerlitz ? Objets patrimoniaux par excellence, les GHV font aussi l’objet de frictions avec les gardiens du temple : « Ils comprennent bien qu’il y a un sujet réchauffement, témoigne Emilie Hergott, directrice de l’ingénierie chez Arep. Sur les surfaces vitrées, on peut jouer sur des verres à couche avec des facteurs solaires plus ou moins élevés qui ne laissent passer que 25 à 30% de l’énergie solaire. ou bien avec des films pris dans le feuilletage du verre. Mais pour les GHV des gares parisiennes, en train d’être rénovées, c’est trop tard, le coup est parti », explique-t-elle. Le temps des projets n’est pas celui de l’urgence climatique…
« Bien sûr, on peut ventiler, brumiser, mais ce n’est pas la panacée. On peut aussi traiter le confort des espaces d’attente avec des voiles d’ombrage et du mobilier dont les matières libèrent un effet frais », détaille Emilie Hergott.

Quand la mer monte

Contre la montée des eaux, Gares & Connexions ne peut que garantir la poursuite des opérations ferroviaires : « Dès 2015, nous avons travaillé sur le plan de continuité d’activité en cas d’inondations, et toutes les gares ont été passées au crible pour analyser l’inondabilité et leur résistance au risque, notamment dans les régions les plus exposées », explique Alain Guiraud, directeur du management des risques chez SNCF Réseau, auquel est rattaché le gestionnaire des gares. La gare d’Austerlitz rattrapée par les flots de la Seine, il n’y croit pas : « Il s’agirait d’une montée des eaux lente, le plan de continuité d’activité prévoit un scénario de 24 h ou 48 h pour une mise sous cocon des installations critiques inondables : les éléments électriques notamment, explique-t-il. Le système ferroviaire est nativement exposé au risque inondation puisque les villes et leurs gares sont souvent installées dans les anciens lits des fleuves », poursuit le risk manager.

Le nouveau sujet, c’est le gonflement, puis le retrait de l’argile après de forts épisodes pluvieux, de type cévenol, suivis de périodes de sécheresse. « Avec des risques d’affaissement : cela peut arriver sur des piles de ponts, mais nous commençons à étudier les fondations des gares », ajoute Alain Guiraud.
La foudre, les orages comme ceux que connaît la France depuis mai ? « C’est du grand classique, nous avons des paratonnerres, des parafoudres ». Mi-juillet, ils ont été particulièrement sollicités sur le front Est de l’Hexagone, balayé par une tempête orageuse.

Nathalie Arensonas

Retrouver notre dossier sur les gares dans le numéro de rentrée de Ville, Rail & Transports

Ewa

Vers de nouvelles normes d’émissions de CO2 pour les camions, bus et autocars

A partir de 2030, les bus urbains neufs mis sur le marché dans l’UE devront être zéro émission. Dans sa proposition de règlement européen, l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot pousse pour la  « préférence européenne » sur le marché des camions, bus et autocars propres.

Yannick Jadot, rapporteur pour le Parlement sur le règlement relatif aux standards d’émission de CO2 pour les véhicules utilitaires lourds, pousse à la roue afin que 100% des flottes soient zéro émission d’ici à 2040. Et non pas 90%, comme l’envisagent les dernières moutures du texte de la commission européenne « sous la pression de certains constructeurs », selon l’eurodéputé du groupe des Verts qui veut aller plus loin devant le Parlement. Et pousse pour la « préférence européenne » dans la commercialisation des autobus électriques, afin de contrer la concurrence chinoise. Comment ? « En portant à 50% le critère de composants locaux », répond le rapporteur du projet de règlement.

Bruxelles a publié en février dernier sa proposition de mise à jour de ces standards, et revu à la baisse les ambitions de décarbonation des camions et autocars neufs, officiellement « en raison d’une moindre maturité technologique de la filière ». Le calendrier envisagé par la Commission est le suivant :

  • 45% de réduction des émissions à compter de 2030, mais les bus urbains neufs devront être zéro émission à compter de 2030.
  • 65% de réduction des émissions à compter de 2035
  • 90% de réduction des émissions à compter de 2040.

Avec quelques exemptions comme pour les véhicules utilisés dans les secteurs minier, agricole et sylvicole, les camions de pompiers, de police ou des soins médicaux urgents, et les bennes à ordures.

Dernière pièce du paquet « Fit for 55 »

La révision du règlement européen que Yannick Jadot veut plus ambitieux est la dernière pièce du paquet « Fit for 55 ». L’actuelle réglementation prévoit une réduction d’émissions des poids lourds, bus et autocars, de -15% d’ici à 2025, et de -30% d’ici à 2030, comparé à 2019. Objectifs devenus « obsolètes devant l’urgence climatique et les -55% de réduction net des émissions visés d’ici à 2030 pour l’ensemble de l’économie », estime Yannick Jadot qui présentait le 20 juin son rapport au Parlement.

« La plupart des constructeurs de camions ont investi dans la décarbonation et ont mis, ou vont très prochainement le faire, des véhicules zéro-émission sur le marché. De nombreuses collectivités locales ont pris l’engagement d’électrifier 100% de leur flotte de bus. La récente décision de la Californie, cinquième économie mondiale, de mettre fin aux ventes de véhicules lourds à combustion traditionnelle d’ici 2036 impactera également le marché européen », selon le rapporteur écologiste. Alors que les constructeurs européens sont leaders dans le secteur des véhicules lourds, ne pas renforcer, dès à présent, les standards CO2 fait prendre un grand risque à une industrie qui investit massivement pour devenir verte », plaide l’eurodéputé.

Les véhicules utilitaires lourds sont à l’origine de plus de 6% des émissions totales de gaz à effet de serre de l’Union européenne et de plus de 25% de celles du transport routier.

N.A

Ewa

Réchauffement climatique : « Le vrai enjeu, maintenant, c’est l’adaptation » prévient Yves Crozet

Yves Crozet

Alors que venait de paraître le dernier volet du rapport du GIEC — et en pleine période électorale — VR&T a rencontré l’économiste Yves Crozet. Les rapports successifs, estime-t-il, ne laissent plus de part au doute. Maintenir le réchauffement en deçà de 1,5° d’ici la fin du siècle est devenu tâche quasi impossible. Et tout l’arsenal de mesures évoquées jusqu’à présent pour entraver le réchauffement vont déjà se révéler utiles pour s’adapter à la vie selon la nouvelle donne climatique. Non sans douleur.

Ville, Rail & Transports : Le dernier volet du 6ème rapport du GIEC a été publié le 4 avril. Le GIEC nous dit : vous n’avez plus que trois ans pour agir, après, il sera trop tard. Comment recevez-vous cet avertissement ?
Yves Crozet : Les rapports sont de plus en plus alarmistes, à juste titre. Il y a dans le dernier rapport du GIEC plusieurs scénarios. Un seul est optimiste. Si on fait bien les choses, on se limite à un réchauffement de 1,5°. Les autres sont plus pessimistes, menant à +3° et au-delà. Or les dérèglements ont des impacts plus que proportionnels à la hausse des températures. Comme le scénario optimiste est de moins en moins probable, le réchauffement aura de graves impacts. Face à ces menaces, les mesures prises ne sont pas à la hauteur puisque les émissions continuent de croître à l’échelle mondiale. Même dans des régions qui font des efforts comme l’Union européenne, les émissions baissent trop lentement, notamment celles des transports. En France, les émissions du transport terrestre sont pratiquement revenues au niveau de 2019, nous dérivons de la trajectoire de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC).

VRT : Des mesures sont prises, tout de même…
Y. C : Oui mais elles ne sont pas à la hauteur des enjeux car elles ciblent surtout le cœur des agglomérations. Il en va ainsi des Zones à Faibles Emissions (ZFE). Elles vont réduire localement les émissions de polluants et de CO2. Les véhicules de livraison seront bientôt électriques. Mais l’impact général sera aussi modeste que le développement de l’usage du vélo, réel mais prenant essentiellement de la clientèle aux transports en commun et à la marche à pied. Or, la circulation automobile dans les centres des villes — là où il y a des vélos — représente peu de choses. Les données récemment publiées par l’Enquête Nationale Transports Déplacements (ENTD) montrent que les déplacements ayant pour origine et destination les communes au centre des villes ne représentent que 7% des passagers-km alors que 40% correspondent à des déplacements ayant pour origine ou destination la seule périphérie des agglomérations.

VRT : Peut-on rectifier le tir ?

Y. C : Ce sera difficile car il y a une erreur de communication en matière climatique. Comme l’ont montré les programmes électoraux, les projets des uns et des autres affirment qu’il y des solutions à portée de la main pour peu qu’on y mette l’argent nécessaire : on va vous aider à changer vos chaudières, à acheter une voiture électrique, à isoler vos logements… Tout ceci est nécessaire mais laisse croire que la transition écologique sera sans douleur, voire heureuse puisqu’on nous affirme que la « croissance verte » va créer des emplois. Mais c’est tout simplement faux. Lors de la conférence qu’il a donnée en janvier 2022 au Collège de France, mon collègue Christian Gollier a utilement rappelé qu’il serait plus juste d’annoncer la sueur le sang et les larmes. La transition, si elle a lieu, sera très douloureuse.

VRT : Moins douloureux tout de même que de ne rien faire…

Y. C : Certes, c’est ce qu’a indiqué récemment ma collègue Céline Guivarch, membre du Groupe International des Experts sur le Climat (GIEC). Elle a rappelé que le coût des efforts à consentir pour réduire les émissions est inférieur au coût de l’inaction et donc inférieur au coût des dommages provoqués par le changement climatique. Cette affirmation est juste mais elle est trompeuse car elle oublie de dire que compte tenu du coût extrêmement élevé des dommages, le coût de l’action contre le réchauffement sera certes plus faible, mais également très élevé. Un peu comme si on vous propose de vous couper les deux bras, pour éviter d’avoir la tête tranchée.
Or, face à la récente flambée des prix des carburants, les décideurs publics, partout en Europe, ont cherché à en réduire le coût pour les ménages et les entreprises, de transport routier entre autres. Personne n’était prêt à se couper un bras car, selon l’expression d’Alain Sauvant du CGEDD : le coût de la transition écologique en matière de mobilité représente pour beaucoup de ménages un « risque systémique ».
Si vous habitez à plusieurs dizaines de km de votre lieu de travail, qu’il en va de même pour votre conjoint, que votre famille et vos amis habitent loin, vous avez besoin d’une voiture, ou deux, pour vous déplacer. Le carburant à 2,50 ou 3 euros le litre est un risque systémique, tout comme l’achat d’une voiture électrique à 40 000 €.
Je suis donc très surpris qu’on continue de laisser croire à la transition heureuse. Il est vrai que nous sommes en période électorale mais je doute que les choses changent après les élections. En France comme en Europe, on va se polariser sur l’électrification du parc automobile. C’est nécessaire, mais la voiture électrique ce n’est pas la neutralité carbone, surtout si les batteries sont faites en Chine et que l’électricité utilisée pour les recharger est carbonée.

VRT : Il y a tout de même certaines avancées technologiques. Jusqu’à quel point peuvent-elles nous aider ?

Y. C :  Dans une perspective d’ingénieur, ce qui domine est le paradigme de la substitution : remplacer le pétrole par les agro-carburants (qu’il ne faut pas appeler biocarburants), les chaudières au fioul par des pompes à chaleur et les moteurs thermiques par des moteurs électriques. Ce n’est pas stupide, mais oublie les effets rebonds. En Allemagne des milliards ont été dépensés pour l’isolation des maisons, mais les ménages en ont profité pour accroître la température des logements. La consommation d’énergie a peu diminué.
Cet effet rebond est encore plus net en matière de mobilité. Ainsi, les progrès techniques dans l’automobile se sont traduits par un accroissement du poids et de la puissance des véhicules. La baisse tendancielle du coût de l’auto-mobilité s’est traduite par une baisse régulière du taux de remplissage des voitures. De nombreuses études ont montré que le télétravail se traduit in fine par une augmentation des distances parcourues car il libère du temps pour d’autres déplacements et incite à allonger la distance entre le domicile et le lieu de travail.
Le paradigme de la substitution rencontre donc de sérieuses limites ce qui donne du crédit à un autre paradigme, celui du rationnement et donc d’une action sur les quantités.
Dans les transports, d’ailleurs, chaque fois qu’on a eu un problème, l’action publique a recouru à certaines formes de rationnement : ceinture de sécurité, ronds-points, baisse des vitesses, normes pour les carburants et les moteurs etc. La mortalité routière n’a pas disparu, mais elle n’a pas été réduite en augmentant le coût de l’automobile, mais en limitant les vitesses et la consommation d’alcool.
La récente et brutale hausse des prix des carburants est venue nous rappeler, après les Gilets jaunes, que la baisse des émissions de gaz à effet de serre ne peut se faire par la seule action sur les prix. Mais l’action sur les quantités a aussi ses limites.

VRT : Agir sur la quantité, n’est-ce pas ce que propose le Forum Vies Mobiles (FVM) ?
Y. C : Oui, mais, comme quand on dit que l’action pour le climat est moins coûteuse que les impacts du réchauffement, le FVM laisse entendre qu’il est aisé de changer les modes de vie… Dans leur récent ouvrage, Pour en finir avec la vitesse, ils se polarisent sur la vitesse physique mais oublient le rôle clé de la vitesse économique. Avec une heure de travail, un Smicard peut s’offrir aujourd’hui, même à 2 euros le litre, 4 fois plus de distance en voiture qu’avant le premier choc pétrolier.
Les vitesses physiques porte-à-porte ont déjà beaucoup baissé sur les routes, et même pour les voyages aériens du fait des contrôles de sécurité, mais la demande pour le transport aérien a explosé depuis 30 ans (+ de 3% par an) parce que les prix ont fortement diminué et donc que le pouvoir d’acheter de la mobilité a augmenté.
Or le pouvoir d’achat a été un des thèmes majeurs de la campagne électorale. Est-on prêt à y toucher ? Pour résumer, je dirais que les questions climatiques nous forcent, si on veut les traiter, à prendre des mesures extrêmement rigoureuses, combinant action sur les prix et sur les quantités. On vient de voir depuis six mois que ces mesures, quand la conjoncture force à les prendre, posent des questions majeures d’acceptabilité, et donc qu’on n’y arrivera pas sans douleur.

VRT : Vous paraissez d’un pessimisme radical…

Y. C : Pessimisme sans nul doute car ce que nous dit implicitement le rapport du GIEC est que le vrai enjeu, maintenant, c’est l’adaptation. Le changement climatique sera une réalité, violente en certains endroits du globe, moindre dans d’autres. Mais partout il faut se préparer. Pas seulement en montrant des glaciers qui fondent ou des déserts qui progressent mais en expliquant ce qui va se passer concrètement. Je prends l’exemple de ma communauté de communes, entre la vallée de la Loire et les monts du Beaujolais. Il y a 50 ans, il y pleuvait beaucoup. Nous savons désormais qu’en 2030 – 2035, nous aurons le climat actuel d’Aubenas, en Ardèche. Depuis plusieurs étés déjà, la ressource en eau a été dans ma commune, pourtant très verte (bois et prairies), proche de la rupture. Cela implique de nouvelles missions pour les collectivités territoriales et de nouvelles contraintes pour les ménages. Comme c’est désormais évident pour tout le monde, ces changements sont entrés dans les mœurs.

VRT : Mais si l’objectif devient l’adaptation plutôt que l’atténuation, la liste des mesures qu’on avance aujourd’hui — développer la marche, le vélo, le co-voiturage, le véhicule électrique, les transports en commun, densifier la ville — cette liste ne doit-elle pas être revue ?

Y. C : Non car ces moyens sont ceux qui vont s’imposer quand progressivement, au vu des effets évidents du réchauffement, l’acceptabilité des mesures contraignantes sera plus largement partagée. Ces solutions sont aussi celles qu’il faut adopter face à un monde où l’énergie coûtera plus cher, où la mobilité aura quitté le monde du toujours plus.
Il est fréquent aujourd’hui de dire que nous entrons dans un monde fini. Cela ne signifie pas que ce qui nous attend est au mieux le statu quo et au pire une régression vers le mode de vie des Amish. Le progrès technique va se poursuivre, mes petits-enfants, qui connaîtront le XXIIème siècle, auront à leur disposition des outils et activités que je ne peux pas imaginer. La vie va rester une affaire très stimulante. Mais cela se fera dans un monde plus contraint par le simple fait du nombre et de la richesse. Des milliards d’humains disposant de revenus plus élevés seront soumis à une hausse des prix relatifs de tout ce qui est gourmand en énergie et notamment en énergie fossile.
Etre cohérent avec nos engagements climatiques, c’est renoncer à promettre une hausse continue et multidimensionnelle du pouvoir d’achat comme cela a été le cas pendant la campagne électorale. C’est se préparer à des changements de nos habitudes, notamment en matière de mobilité, de programmes d’activités, de localisations et de déplacements.

VRT : Dans nos colonnes, dernièrement encore, André Broto défendait l’idée de services autocars sur voies réservés. Sans en attendre des miracles, n’est-ce pas là une bonne idée ?
Y. C : André Broto a raison de dire qu’on pourrait faire plus et pour de faibles coûts avec les autocars. La route étant le vecteur de plus de 80% des déplacements, c’est sur la route que les changements les plus importants sont à attendre. Non pas sous la forme d’un hypothétique report modal vers le ferroviaire mais via la création de nouveaux services routiers. Il faut néanmoins ajouter que cela va se traduire par des contraintes. On connaît déjà les limitations de vitesse, les voies réservées et les incitations au covoiturage, mais il faudra aller plus loin, du côté aussi de la tarification. Le financement des mobilités ne peut pas seulement reposer sur la fiscalité et la dette comme c’est le cas actuellement.

VRT : Le ferroviaire ne pourrait-il pas être une solution pour réduire les émissions de CO2 ?
Y. C : En 2020, pendant la pandémie, la fréquentation du train a perdu plus de 40% en Europe et la voiture 20% seulement. Aujourd’hui, la voiture est revenue au niveau de 2019. En Suisse, pays modèle du ferroviaire, le trafic en décembre 2021 était de 25% inférieur à celui de décembre 2019 ! En deux ans le taux de remplissage des trains est passé en Suisse de 28 à 18%. Les dirigeants des Chemins de Fer Fédéraux (CFF) n’hésitent pas à dire que les passagers perdus ne reviendront pas de sitôt.
En France, la SNCF veut accroître son offre avec les « Ouigo classiques » mais le risque est que les taux de remplissage soient modestes et que les passagers viennent du TGV, INOUI ou OUIGO.

VRT : Le dernier rapport du GIEC a été précédé, en France, de rapports officiels sur les transports et le climat. En quoi sont-ils différents, compatibles ?
Y.C : Le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) a, pour l’heure, fait la liste des demandes qui lui ont été transmises. Le résultat est qu’il faudrait mettre deux fois plus d’argent dans les infrastructures. C’est ce que l’on appelle une « liste de courses » comme on en a connu en 2009 avec le Schéma National des Infrastructures de transport (SNIT).
Le rapport CGEDD – France Stratégie (j’ai participé à la composante voyageurs) a un double intérêt. Il est d’abord plus réaliste sur le calcul des émissions en les mesurant du puits à la roue et pas seulement du réservoir à la roue. Il est aussi plus réaliste sur la capacité à atteindre les objectifs. L’un de ses scénarios est très interventionniste, très exigeant. On arrive à -30% d’émissions en 2030, comme le veut la Stratégie nationale bas carbone, mais c’est par construction, c’est le scénario dit « pari sociétal », l’un des deux en backcasting. Dans les cinq scénarios en forecasting, certains arrivent à baisser les émissions de 30%, mais au mieux en 2040, 10 ans plus tard que dans la Stratégie nationale bas carbone. Or cette dernière est déjà moins ambitieuse que le « Fit for 55 » de l’Union européenne qui vise – 55% pour les émissions par rapport à 1990. Le rapport CGEDD – France Stratégie nous dit, mezzo voce, que pour le transport on n’y arrivera pas.

Propos recueillis par François Dumont

Ewa

« Le réchauffement climatique n’est pas pris en considération dans la conception des projets de transport »

Pascal Rey

Toute une dimension du changement climatique n’est pas -ou rarement- prise en compte : la résilience des infrastructures. Si les entreprises mesurent leur empreinte carbone et cherchent à l’atténuer (voire à la compenser), peu cherchent en effet à rendre résilientes leurs infrastructures. Or les pics de chaleur, les inondations ou les incendies qui se sont multipliés cet été devraient leur donner à réfléchir.

Côté SNCF, les patrons des 5 SA viennent seulement d’en prendre conscience si l’on en croit les équipes qui travaillent sur le sujet, puisque le premier comité stratégique sur l’adaptation des infrastructures vient seulement de se tenir fin novembre.

Dans le cadre d’un dossier publié ce mois-ci, Ville, Rail & Transports a interrogé des experts sur ce thème qui devrait prendre de plus en plus d’importance car il nécessite des millions et des millions d’euros pour se préparer. Faute de quoi, les assurances pourraient refuser de prendre en charge certains dommages…

Docteur en géographie du développement et ingénieur en agroéconomie, Pascal Rey, PDG du bureau d’études Insuco, spécialisé en sciences et ingénierie sociales, présent dans plus de 40 pays, pointe les risques. Pascal Rey est également chercheur associé à l’IFSRA et enseignant vacataire à l’école des Mines et à Agro Paris Tech.

Ville, Rail & Transports. Que vous enseignent les chantiers à l’étranger sur lesquels vous avez récemment travaillé ?

Pascal Rey. Au Gabon, où nous avons travaillé sur le train transgabonais, on observe ces dernières années une très forte hausse des précipitations. Et des inondations qui n’existaient pas avant, ce qui entraîne notamment une érosion des talus, des éboulements… Sur le train qui relie Djibouti à Addis-Abeba en Ethiopie, construit par des entreprises chinoises avec des normes beaucoup moins contraignantes que celles que nous devrions appliquer, le tracé est soumis à des températures qui sont souvent au-delà de 45°. Ce qui impacte la symétrie des voies, avec des effets de dilatation, alors que le chantier a été livré il y a seulement quatre ans. Dans les deux cas comme ailleurs, les travaux ne prennent pas en compte les effets à venir du réchauffement climatique.

VRT. Que voulez-vous dire ?

P. R. Le réchauffement climatique, c’est pour tout de suite. Mais alors qu’il existe de nombreuses études réalisées par le monde, y compris en Afrique, on assiste à un manque de communication entre ceux qui recueillent les données et les décideurs politiques. On sait que le niveau de la mer augmente, qu’il va falloir revoir les digues, les tracés, mais aussi prendre en compte les migrations liées à une augmentation du niveau de la mer. A quoi bon réparer ou entretenir les infrastructures actuelles si, dans quelques années seulement, plus personne n’habite ici, quand la montée du niveau de la mer obligera les populations à fuir vers l’intérieur des terres ? C’est d’abord là qu’il y aura besoin de routes ou de voies de chemin de fer. Il faudrait vite revoir les cartes en fonction non seulement de l’eau qui va commencer à chatouiller les voies de communication mais aussi des impacts directs qu’auront les mouvements de populations.

Ville, Rail & Transports. Quels effets sur le transport observez-vous qui soient déjà dus au réchauffement climatique ?

P. R. Les fortes chaleurs impliquent un dysfonctionnement du câblage, avec des systèmes de signalisation qui sautent, les systèmes électriques étant soumis à de trop fortes chaleurs. Les risques d’incendie se multiplient. En zone de montagne, on assiste à des éboulements, à des conséquences de l’érosion. En bord de mer, on assiste à des phénomènes d’érosion côtière.

« ON SAIT QUE LE NIVEAU DE LA MER AUGMENTE, QU’IL VA FALLOIR REVOIR LES DIGUES, LES TRACÉS, MAIS AUSSI PRENDRE EN COMPTE LES MIGRATIONS LIÉES À CE CHANGEMENT CLIMATIQUE. A QUOI BON RÉPARER OU ENTRETENIR LES INFRASTRUCTURES ACTUELLES SI, DANS QUELQUES ANNÉES SEULEMENT, PLUS PERSONNE N’HABITE ICI ? »

VRT. Que faudrait-il faire ?

P. R. Il faut prendre en compte ce qu’on voit et s’interroger sur comment, si les températures augmentent dans quelques dizaines d’années, les matériaux actuels résisteront à ces nouvelles contraintes. La solution, c’est que les constructeurs et les investisseurs comprennent que réparer au fur et à mesure coûtera beaucoup plus cher que de fixer d’ores et déjà des normes internationales drastiques, de les respecter et d’anticiper les risques. Plutôt que de rattraper au fur et à mesure, voire de tout refaire.

Or la notion de réchauffement climatique n’est pas prise en considération dans la conception des projets : on s’intéresse aux impacts du projet sur le réchauffement climatique mais pas à l’inverse. Dans les plans quinquennaux d’aménagement du territoire, les projections ne sont pas là. On reste dans le maintenant, sans être capable de se projeter dans 30 ans et de prendre en compte les risques climatiques à venir.

VRT. Pourquoi ce manque d’anticipation ?

P. R. Cela augmenterait considérablement le coût des chantiers.

Si on prend l’exemple des sociétés chinoises, l’approche est de tout faire le plus vite possible, au moindre coût, notamment les routes en Afrique où rien n’est anticipé. On manque aussi parfois de données. Que sait-on de ce que sera un pays comme la Guinée dans 20 ou 30 ans ?

Mais, encore une fois, le coût à venir sera bien plus grand encore. Il faut faire de gros progrès par rapport aux normes internationales, pour y intégrer plus de précisions, une plus grande prise en charge des populations qui sont déjà impactées, et la préservation des écosystèmes. Il faut faire évoluer ces normes auprès des grandes institutions internationales. Il faudrait d’ores et déjà être plus dans le concret, inventer un aménagement du territoire qui planifie, qui anticipe la résilience des infrastructures.

VRT. Des pays montrent-ils l’exemple ?

P. R. La République Dominicaine a pris les problèmes à bras-le-corps. Le Canada ou les Pays-Bas, aussi, savent repenser l’aménagement du territoire.

Ailleurs, on reste dans des normes à sens unique, qui posent la question de l’impact actuel des chantiers sur le réchauffement climatique. Mais qui n’anticipent pas que le réchauffement est déjà là et demandent comment on va faire face aux conséquences inéluctables à venir. Sachant que l’un ne doit pas empêcher l’autre.

Propos recueillis par Alexandre Duyck

Retrouvez notre dossier complet sur « les transports face au réchauffement climatique », dans le numéro de décembre de Ville, Rail & Transports. 

Ewa

Le coup de tonnerre du rapport du GIEC

Nous ne l’apprendrons pas à nos lecteurs, mais il nous semble utile de le rappeler : le 9 août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié le premier volet de son sixième rapport. Ce volet — The Physical Science Basis — présente la synthèse des données scientifiques les plus récentes sur l’évolution du climat. Selon le GIEC, « à moins de réductions immédiates, rapides et massives des émissions de gaz à effet de serre, la limitation du réchauffement aux alentours de 1,5 °C, ou même à 2 °C, sera hors de portée ».

Sa publication a été précédée, accompagnée ou suivie de gigantesques feux de forêts en Sibérie, en Grèce, en Algérie, en Turquie, et en France, dans le Var, de canicules records au Canada ou aux Etats-Unis, d’inondations catastrophiques en Allemagne, en Chine ou dernièrement dans le Tennessee. Le 13 août, on apprenait que, selon l’Agence nationale océanique et atmosphérique américaine (NOAA), le mois de juillet 2021 a été le plus chaud jamais enregistré. Records de l’été : 38,0 °C enregistrés à Verkhoyansk, au nord de la Sibérie, au-delà du cercle polaire, le 20 juin ; 49,6 °C atteints à Lytton, au Canada (Colombie-Britannique), le 29 juin ; 48,8 °C enregistrés par une station météorologique de Syracuse le 11 août.

Le deuxième volet du rapport du GIEC, Impacts, Adaptation, and Vulnerability, doit être publié en février 2022, le troisième, Mitigation of Climate Change, en mars, et la synthèse en septembre. Le 26e sommet sur le climat (COP 26) se sera auparavant tenu à Glasgow, du 1er au 12 novembre prochain. Rappelons en deux mots les enjeux, selon le dernier document du GIEC : « certains phénomènes déjà en cours — comme l’élévation continue du niveau de la mer — sont irréversibles sur des centaines ou des milliers d’années. Toutefois des réductions fortes et soutenues des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre limiteraient le changement climatique. Alors que la qualité de l’air en bénéficierait rapidement, la stabilisation des températures mondiales pourrait prendre 20 à 30 ans. » Pas de temps à perdre.

Lire : « AR6 Climate Change 2021: The Physical Science Basis »

Ewa

Vitesse vs ralentissement. En finir avec la recherche du temps perdu

Yves Crozet

Pour respecter nos engagements climatiques, l’électrification des véhicules ne suffira pas. La vitesse et les gains de temps jouent contre le climat, et la sobriété doit s’imposer. Il faudra une façon ou d’une autre réduire les distances parcourues. Par quel moyen ? Jouer sur la vitesse physique n’est pas le plus prometteur. Reste la vitesse économique, par les quotas ou la forte hausse des prix. Mais le peut-on ? Le veut-on ?

Par Yves Crozet

La vitesse routière a mauvaise presse. Les radars sont devenus d’exigeants et nécessaires compagnons de route, mais la sécurité n’est pas la seule origine de cette offensive. La réduction de la congestion, du bruit et de la pollution expliquent aussi, un peu partout, l’abaissement des vitesses autorisées. Des urbanistes et géographes comme Marc Wiel1 ou Cyrille Genre-Grandpierre2 ont aussi pointé du doigt les effets négatifs de la « métrique accélérante » de la route. Un objet mythologique se répand dans les villes et les villages où il a remplacé la DS Citroën de Roland Barthes : le ralentisseur !

Ralentir. Le thème est à la mode et pas seulement sur les routes, au point que le confinement, voire le virus lui-même, ont pu être vus comme une « bonne surprise ». Hartmut Rosa n’a-t-il pas déclaré3 : C’est « un miracle sociologique que de ralentir ainsi le monde (…). C’est une expérience collective d’auto-efficacité absolument incroyable : oui, nous pouvons contrôler ou du moins arrêter le monde » ! Miracle ? Le mot semble déplacé face aux dégâts humains, économiques et sociaux de la pandémie.

Il s’explique par le fait que le sociologue dénonce depuis plusieurs années l’accélération du monde. Mais, comme nous allons le voir, ce qui devrait être qualifié d’intensification a peu de choses à voir avec la vitesse physique de nos déplacements, mais est par contre très lié à ce que nous appelons « vitesse économique ».

Ne pas confondre accélération et intensification

Le thème de l’accélération est ancien. Jules Michelet, en 1872, écrivait : « l’allure du temps a tout à fait changé. Il a doublé le pas d’une manière étrange ». En 1948, Daniel Halévy publiait un essai sur l’accélération de l’histoire. Ces formules littéraires sont évocatrices, mais relèvent d’un effet d’optique. Le temps physique s’écoule toujours au même rythme, comme le montrent les horloges astronomiques. Ce qui change, c’est le temps vécu, les événements survenus dans une unité de temps. Ce n’est pas le temps qui double le pas, mais notre appétit qui s’aiguise, ou s’essouffle, avec la variété du menu et la hausse du pouvoir d’achat.

 

LA VITESSE N’A PAS FAIT GAGNER DU TEMPS, ELLE A SIMPLEMENT AUGMENTÉ LA PORTÉE DE NOS DÉPLACEMENTS, UNE RÉALITÉ À L’ORIGINE D’UNE FRUSTRATION…

Pour comprendre le monde moderne, il est plus juste de parler d’intensification que d’accélération, car le temps vécu est une grandeur relative et non pas absolue. Dans notre rapport au temps, ce qui change n’est pas le dénominateur (les heures, les minutes), mais le numérateur. Gary Becker l’a formulé ainsi lors de la réception du prix Nobel d’économie en 1992 : « the most fundamental constraint is limited time. Economic and medical progress have greatly increased length of life, but not the physical flow of time itself, which always restricts everyone to twenty-four hours per day. So while goods and services have expended enormously in rich countries, the total time available to consume has not4».

Le sentiment d’accélération provient d’une intensification des programmes d’activités. La hausse des revenus s’est traduite, chaque jour, par la multiplication des activités accessibles, parfois obligatoires. Le confinement n’a pas fait disparaître cette charge mentale. L’impératif catégorique de l’intensification s’est invité à la maison. Il est vrai que nous avons redécouvert le plaisir de cuisiner et quelques livres trop longtemps négligés. Mais nous avons aussi accru le temps passé au téléphone et devant les écrans. Avons-nous pour autant ralenti ? Est-ce ralentir que de combiner télétravail et garde des enfants à domicile ? Est-ce ralentir que de rattraper son retard de séries télé ? Avant, pendant et après le confinement, le manque de temps est une constante. La société du temps libre (Jean Viard5) est d’abord celle du temps rare.

La vitesse et les gains de temps contre le climat

Les ressources monétaires et le temps disponibles sont des quantités finies. La contrainte budgétaire peut être assouplie par la hausse des revenus, mais pas la contrainte temporelle. Il est vrai que l’espérance de vie a augmenté. Mais ce qui n’a pas changé est la contrainte des 24 heures journalières. La hausse du revenu ne permet pas d’acheter des journées plus longues. Par contre, il est possible d’acheter de la vitesse et donc, selon la formule en usage, de gagner du temps !

 

EN 1980, IL FALLAIT 784 HEURES DE SMIC POUR UN VOL A-R ENTRE PARIS ET SINGAPOUR, SOIT UNE VITESSE ECONOMIQUE DE 30 KM/H. EN 2019, 78 HEURES, SOIT 300 KM/H

Depuis l’avènement du chemin de fer, les modes de vie ont été transformés par l’accélération des vitesses moyennes de déplacement. Les Français ont franchi quotidiennement en 2019 une distance de 40 km, et huit de plus avec les transports internationaux6. Cette formidable accélération a élargi les horizons et enrichi la palette des options disponibles pour les loisirs et les lieux de résidence ou de travail. Elle a donc accru le numérateur de notre rapport au temps, mais pas le dénominateur dont la rareté relative a été au contraire attisée. C’est la raison pour laquelle notre budget temps de transport quotidien n’a pas diminué. Selon l’Enquête sur la Mobilité des Personnes 2018-20197, il a même légèrement augmenté au cours des dix dernières années.

La vitesse n’a pas fait gagner du temps, elle a simplement étendu la portée de nos déplacements, une réalité à l’origine d’une frustration, voire d’une aliénation, selon Hartmut Rosa. « Une idée extrêmement puissante s’est infiltrée jusque dans les pores les plus fins de notre vie psychique et émotionnelle : l’idée selon laquelle la clé d’une vie bonne, d’une vie meilleure, réside dans l’extension de notre accès au monde. »8 On ne saurait mieux dire puisque même l’usage du vélo en ville est présenté par ses défenseurs comme un moyen de gagner du temps. Tout comme l’est le slogan de « la ville du quart d’heure », celle qui offre aux piétons et cyclistes un maximum d’aménités. Réduire les vitesses de déplacement, et pourquoi pas celle des connexions numériques (cf. la 5G), ne serait-il pas un moyen de traiter à la fois l’aliénation individuelle et les défis collectifs du dérèglement climatique ?

Les émissions de gaz à effet de serre des transports ne sont pas alignées avec les engagements climatiques de la France. En 2019, elles dépassaient de 36 % l’objectif fixé dans le protocole de Kyoto pour l’année 2020. Il n’est donc pas surprenant qu’une des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat soit de réduire la vitesse maximale sur les autoroutes. Comme l’a montré Aurélien Bigo, dans une remarquable thèse soutenue le 23 novembre à Polytechnique9, cela s’inscrit dans une tendance apparue au début des années 2000. Quel que soit le type de voirie, les vitesses routières moyennes ont baissé, parfois de façon significative (figure 1). Cette contrainte physique est peut-être à l’origine du « peak-car » (voir Réservoir MOB, septembre 2020) mais pas d’un « peak-travel » car si, en passagers-km, les distances franchies en voiture et en train plafonnent, ce n’est pas le cas pour l’avion (figure 2). La multiplication par 2,5 en 30 ans des km parcourus en avion provient bien sûr de sa vitesse. Elle rend accessibles des destinations souvent hors d’atteinte pour les autres modes. Pourtant, depuis les attentats et la massification des flux, la vitesse porte-à-porte du transport aérien a baissé au fur et à mesure qu’augmentaient les délais de précaution et les contrôles de sécurité.

Figure 1

graphique route
Figure 1 – Variation des vitesses par type de voirie. Les vitesses routières s’inscrivent à la baisse depuis le début des années 2000, comme l’a montré Aurélien Bigot dans sa thèse.

Figure 2

graphique mobilité
Figure 2-Distances annuelles par habitant et par mode. Si, en passagers-km, les distances franchies en voiture et en train plafonnent, ce n’est pas le cas pour l’avion.

 

Engagements climatiques et vitesse économique

Mais, jusqu’à la pandémie, cela n’a pas affecté la croissance du trafic aérien car sa vitesse économique a progressé de façon continue. Par vitesse économique, nous entendons le temps de travail nécessaire pour acheter un déplacement. Référons-nous, pour simplifier, au salaire horaire minimum. En 1980, il fallait 784 heures de SMIC pour embarquer dans un vol AR entre Paris et Singapour, soit une vitesse économique de 30 km/h. Pour New York, 140 heures suffisaient, soit une vitesse économique de 85 km/h. En 2019, les chiffres étaient respectivement : pour Singapour, environ 78 heures de travail, soit 300 km/h ; pour New York, 50 heures de travail, soit 240 km/h. Au même moment, un voyage en TGV correspondait pour un smicard à une vitesse économique de 80 km/h, mais 200 km/h pour un Ouigo, ce qui explique le succès de cette offre, au risque de la voir cannibaliser l’offre Inoui. La SNCF devait réagir, coûte que coûte, à la concurrence de BlaBlaCar et des services d’autocar à longue distance, sans oublier les liaisons aériennes domestiques low-cost.

Comme nous l’a appris depuis 60 ans la notion de coût généralisé, le choix d’un mode de transport se réalise en effet en fonction de sa vitesse physique mais aussi de son coût, ou de son inverse, la vitesse économique. Avec elle, s’éclaire un petit mystère de l’économie des transports. Toutes choses égales par ailleurs, une hausse de la valeur du temps fait mécaniquement croître le coût généralisé. La hausse des revenus, et donc de la valeur du temps, devrait se traduire par une tendance à réduire le temps de transport puisqu’il devient plus coûteux. Or ce n’est pas le cas, car la hausse des revenus c’est aussi la hausse de la vitesse économique et donc enrichir le temps vécu via ce que les économistes appellent la préférence pour la variété.

Ce constat est redoutable dans la perspective des mesures à prendre pour respecter nos engagements climatiques. Pour réduire de 40 % à l’horizon 2030 les émissions de GES des transports, l’électrification du parc automobile, même accélérée, ne suffira pas. Il faudra d’une façon ou d’une autre réduire les distances parcourues. Un simple calcul montre que même si, d’ici à 2030, les émissions unitaires moyennes du parc automobile baissaient de 165 à 120 gr (-27,5 %), dans la même proportion que de 1992 à 2018, l’objectif ne serait atteint que si le trafic baissait aussi de 17,5 %. Comment y parvenir ? La baisse des vitesses physiques peut jouer un rôle, mais les marges de manœuvre sont limitées. Le sont-elles plus pour la vitesse économique ? Ce n’est pas évident dans la mesure où elle a déjà été réduite depuis le début du siècle comme le montre le tableau (ci-dessous). Il évalue l’évolution de la vitesse économique de la voiture pour un smicard, sur la base de son coût marginal défini par le prix du litre d’essence ou de diesel et de la consommation unitaire.

 

Tableau

Tableau carburant
Ce tableau fait apparaître l’évolution de la vitesse économique de la voiture pour un smicard, sur la base de son coût marginal défini par le prix du litre d’essence ou de diesel et de la consommation unitaire. Après avoir fortement augmenté au cours des années, la vitesse économique du diesel diminue, puis plafonne.

De 1970 à 1990, la vitesse économique a doublé pour les véhicules à essence, mais, avec le passage au diesel, elle a été multipliée par quatre. Elle continue à progresser ensuite pour les véhicules à essence, mais diminue puis plafonne pour le diesel. Les légères baisses des vitesses économique et physique ont donc été simultanées, comme en novembre 2018 lorsque les Gilets jaunes ont dénoncé à la fois le passage au 80 km/h et la hausse des prix des carburants. A cette date, pour un smicard, une hausse de 10 centimes du litre de diesel (taxes + prix du pétrole) représentait une baisse de 10 % de la vitesse économique. Le passage à un véhicule essence la faisait baisser de 20%. C’est une des raisons d’une colère qui a brutalement interrogé les ambitions de réduction des émissions de CO2 des transports. Pourtant, comme l’explique Aurélien Bigo dans sa thèse, le progrès technique ne suffira pas à atteindre les objectifs. Une logique de sobriété doit s’imposer. Le problème est qu’il y a peu à gagner avec la baisse des vitesses physiques. Celle des avions ne changera pas et celle des voitures ne se modifiera qu’à la marge. Reste alors une action résolue pour réduire drastiquement les vitesses économiques, par le rationnement (quotas carbone) et/ou par une forte hausse des prix. Le peut-on et plus précisément le veut-on car il y a un prix à payer pour une telle évolution qui revient à ne plus chercher à gagner du temps vécu, celui qui provient principalement de la hausse du pouvoir d’achat ? Si, dans la société d’abondance, la sobriété se définit comme le « droit au temps » rappelons que cela correspond, pour paraphraser Hartmut Rosa à « réduire notre accès au monde ».

Evitons cependant de prôner la sobriété pour les autres. Jean Giono, merveilleux romancier mais piètre moralisateur, le fait dans un de ses derniers textes publiés10. Il y fustige le consumérisme, le besoin des ouvriers de s’acheter un poste de télévision. Il leur oppose la simplicité, le plaisir de la promenade, il évoque son père, « l’homme qui plantait des arbres », rappelle l’intérêt de maîtriser les besoins. Le lecteur adhère volontiers mais, à la suite de ces belles envolées, il apprend que notre homme revient de ses vacances à l’Ile d’Elbe et qu’il a été à Madrid pour dédicacer ses ouvrages. Sa propre préférence pour la variété nous informe sur la vitesse économique de ses droits d’auteur.

1. Wiel M., 1999, La transition urbaine, ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée, Edition architecture et recherches / Mardaga, 149 pages.
2. Genre-Grandpierre C., 2007, Changer de métrique des réseaux routiers pour réguler la dépendance automobile : les « réseaux lents », Les cahiers scientifiques du transport, n ° 52, pp. 45 – 66.
3. Rosa H., 2020, https://cutt.ly/whbevZo
4. Becker G.S., The economic way of looking at life, Nobel Lecture, December 9, 1992, Department of Economics, University of Chicago, Chicago, IL. 60637, USA.
5. Viard J., 2003, Le sacre du temps libre, Editions de l’Aube, 212 pages.
6. Crozet Y., 2019, https://cutt.ly/ihbezAK
7. https://cutt.ly/Xhbexj4
8. Rosa H., 2019, Rendre le monde indisponible, La Découverte, 144 pages.
9. Bigo A., Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement. https://cutt.ly/ShbelFq
10. Giono J., 1976, Les terrasses de l’Ile d’Elbe, Gallimard, 196 pages.

Ewa

« Les politiques publiques ne sont pas à la hauteur des objectifs pour lutter contre le réchauffement climatique »

Aurélien Bigo

Alors que le texte du projet de loi Climat vient d’être envoyé au Conseil d’Etat pour lecture, reprenant une cinquantaine des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, dont certaines liées aux transports, nous avons demandé à Aurélien Bigo, expert de la transition énergétique dans les transports, d’évaluer les politiques actuellement mises en œuvre dans ce domaine. L’enjeu est de parvenir à limiter la hausse des températures conformément à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Pour l’heure, on en est loin, nous explique cet ingénieur en géologie, diplômé d’un master en économie de l’environnement (EDDEE), qui vient de soutenir une thèse intitulée « Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement » (Elle est disponible sur ce lien de téléchargement,)

Ville, Rail & Transports. Les politiques transport actuelles permettent-elles de tenir nos objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre ?

Aurélien Bigo. Si la question est : est-ce qu’on en fait assez ? La réponse est non. Nous avons beaucoup de retard par rapport à ce qui est prévu dans la Stratégie nationale bas-carbone.

Dans le passé, nous avons déjà dû réduire nos ambitions dans les budgets carbone. La première version de la Stratégie nationale bas-carbone publiée en 2015 pour la période 2015-2018 a été largement dépassée par les transports et on a dû revoir à la hausse le budget carbone.

VRT. Quels sont les modes de transport les plus en retard de ce point de vue ?

A. B. Les principales émissions proviennent du transport routier, aussi bien du côté des voyageurs que des marchandises. Mais je ne pense pas que le routier soit le seul mode à montrer du doigt. On pourrait tout aussi bien dire que les mauvais élèves, ce sont ceux qui n’ont pas réussi à attirer suffisamment de voyageurs ou de marchandises.

De plus, le trafic aérien international n’est pas pris en compte dans les budgets carbone concernant les transports. Les calculs sont donc faussés à ce jour même s’il est prévu que, dans la prochaine révision, les transports aériens soient inclus. On ne prend donc en compte actuellement que les émissions de CO2 du transport aérien intérieur alors que les traînées de condensation des avions et les émissions de NOx ont aussi des effets sur le réchauffement.

Le risque est grand de dépasser encore les prochains budgets carbone, sauf pour 2020 car c’est une année exceptionnelle du fait de la baisse de la demande liée à la crise sanitaire.

VRT. Comment, selon vous, faut-il agir pour respecter la trajectoire de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ?

A.B. Il y a cinq principaux leviers pour baisser les émissions de CO2 : ce sont la modération de la demande, le report modal, le meilleur remplissage des véhicules, l’efficacité énergétique des véhicules et le facteur intensité carbone de l’énergie. Ce dernier facteur est aussi appelé décarbonation, c’est-à-dire passer du pétrole qui représente 90 % de l’énergie des transports à des énergies décarbonées comme l’électricité, le biogaz, le biocarburant, l’hydrogène (à condition qu’ils soient produits de façon durable), ainsi que tous les carburants synthétiques mais qui sont encore très peu développés.

Pour le transport de voyageurs, les progrès attendus passent surtout à court terme par les gains d’efficacité énergétique des véhicules. C’était le principal levier attendu par la SNCB pour la période 2015-2020 et ce sera encore le cas sur la période 2020-2025.

Or, on a vu que les émissions de véhicules neufs ont eu au contraire tendance à stagner jusqu’à 2019. Cela s’explique par le fait que les consommateurs se sont détournés du diesel et ont acheté des véhicules plus lourds. En particulier, des SUV (sport utility vehicle, ndlr), qui connaissent un très fort succès mais sont très lourds.

Idéalement, il aurait fallu mettre des incitations plus fortes pour qu’on atteigne les objectifs. Comme des interdictions sur les véhicules les plus lourds, ou des incitations fiscales type bonus-malus liées au poids des véhicules, ou encore des normes plus élevées sur les émissions.

Se reposer sur les progrès technologiques des véhicules pose un autre problème : le renouvellement du parc se fait lentement. Tout cela renforce notre incapacité à atteindre les objectifs.

Il existe pourtant d’autres moyens pour améliorer l’efficacité énergétique : on peut limiter la vitesse de circulation maximale à 110 km/h. Mais cette mesure, qui faisait partie des points les plus controversés au sein même de la Convention citoyenne, n’a pas été reprise.

On peut citer une autre mesure possible : fabriquer des véhicules moins puissants. En effet, la vitesse maximale des véhicules neufs sur le marché est en moyenne de 185 km/h alors que la vitesse maximale sur le réseau est fixée à 130 km/h. On pourrait très bien imaginer un bridage, comme cela existe dans le ferroviaire ou pour les poids lourds équipés d’un boîtier pour limiter leur vitesse.

VRT. Que prévoient les futurs objectifs bas carbone ? Sont-ils vraiment impossibles à atteindre ?

A.B. La nouvelle Stratégie nationale bas-carbone (fixée pour les voyageurs et le fret) est prévue pour les périodes 2019-2023 ; 2024-2028 : 2029-2033.

Ces budgets carbone sont définis de manière indicative. Puis ils sont validés.

Il n’est pas dit qu’on ne pourra pas atteindre la neutralité carbone attendue pour 2050, mais aujourd’hui on ne met pas en place les politiques adéquates pour y parvenir.

La Stratégie nationale bas-carbone fixe une trajectoire. Plus on attend, plus ce sera compliqué. Ce qui est important pour le climat, c’est l’ensemble des émissions émises dans l’atmosphère sur toute la période.

Sur quoi faut-il agir ? Sur l’ensemble, les cinq principaux leviers de décarbonation de façon simultanée. La complémentarité entre ces leviers est fondamentale. Or, actuellement, la Stratégie bas-carbone repose surtout sur les progrès technologiques. Ils représentent certes un outil complètement indispensable mais pas une solution miracle.

Sortir du pétrole par le développement des nouvelles motorisations est nécessaire mais il faut aussi absolument modérer la demande et mettre en place une mobilité plus sobre en énergie (avec des véhicules moins lourds par exemple et qui vont moins vite). Les politiques publiques ne sont donc pas à la hauteur des objectifs.

VRT. Comment modérer la demande ?

A.B. Les politiques publiques telles qu’elles sont pensées depuis des décennies consistent toujours à faire augmenter la demande, donc à proposer toujours plus de mobilité, en augmentant les infrastructures de transport mises à disposition. On pense qu’augmenter ces chiffres est positif pour l’économie.

Quand la demande augmente, les émissions augmentent. Il ne faut pas toujours vouloir faire croître la demande, du moins pour les transports les plus polluants. En particulier les poids lourds, le transport aérien et même les voitures.

La demande évolue aussi en fonction de facteurs exogènes liés aux politiques publiques, comme l’évolution du PIB, le prix du pétrole, l’évolution des vitesses. Il faut plus de volontarisme.

VRT. La solution ne peut-elle pas venir d’un parc de véhicules convertis à l’électricité comme semblent le penser bon nombre d’élus ?

A.B. Il faut se tourner vers l’électrique, au moins en partie car il n’y a pas de solution technologique magique. Cette technologie est nécessaire mais pas parfaite. Les véhicules électriques émettent moins de CO2, en particulier en France où l’électricité est peu carbonée : ils en émettent deux à trois fois moins que les véhicules thermiques sur leur cycle de vie.

Mais si on veut vraiment profiter de l’apport des véhicules électriques, il faut que le parc soit le plus réduit possible, afin d’avoir un nombre de batteries le moins élevé possible, dont la production pose problème C’est le nombre de véhicules vendus qui conditionnera l’impact sur l’environnement et non plus le nombre de kilomètres comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut aussi agir sur la taille des batteries.

Le véhicule électrique n’est donc pas totalement écologique. Il a aussi des impacts négatifs sur l’environnement et n’évite pas toutes les nuisances du véhicule thermique, comme l’espace consommé ou l’accidentologie. Mais en profitant de ses faiblesses (son autonomie limitée), on pourrait toutefois revoir notre mobilité en allant vers plus de sobriété.

On pourrait ainsi développer de petits véhicules urbains, comme la Twizy de Renault et le Citroën Ami, ou des modes intermédiaires entre vélo et voitures électriques comme le vélomobile (sorte de vélo couché caréné) ou les vélos cargos.

VRT. Que penser de l’hydrogène que le gouvernement veut développer ?

A.B. Ce n’est pas non plus la solution miracle : pour l’heure, seulement 5 % de l’hydrogène en France et dans le monde est produit avec de l’électricité. C’est alors effectivement la meilleure solution pour avoir une consommation bas-carbone si l’électricité est elle-même décarbonée.

Mais aujourd’hui, 95 % de l’hydrogène est produit avec de l’énergie fossile. L’avantage par rapport aux véhicules électriques, c’est que ça permet de se passer de la contrainte de la batterie. Mais l’hydrogène nécessite 2,5 fois plus d’électricité que l’utilisation d’un véhicule électrique.

Pour certains véhicules qui peuvent difficilement passer à la mobilité électrique, comme le poids lourd par exemple, l’hydrogène peut être plus adapté. Cela pourrait aussi être le cas du ferroviaire sur les lignes non électrifiées.

VRT. Peut-on aussi tabler sur l’avion « propre » ?

A.B. L’avion « propre » n’existera pas avant un bon moment. Même si l’avion hydrogène arrive en 2035 comme c’est prévu, c’est trop loin.

En 2035, il y aura peut-être le premier avion commercial à hydrogène mais il sera plutôt adapté à du court ou du moyen-courrier. Or, c’est sur ce type de trajet que le train peut le plus facilement se substituer à l’avion.

De plus, il faudra du temps pour renouveler toute la flotte aérienne, les compagnies devront être prêtes à investir. Il faudra une contrainte extrêmement forte pour qu’elles le fassent car la solution hydrogène sera plus coûteuse.

Il n’y a donc pas de solution de décarbonation facile pour les avions dans les années, voire les décennies à venir. Il y aura des solutions mais qui resteront au stade de niche ou seront assez imparfaites.

On est clairement devant une grosse incohérence : on reconnaît les erreurs du passé mais on continue à soutenir la demande pour tous les modes de transport, y compris ceux pour lesquels il n’y a pas de solutions en vue de leur décarbonation.

VRT. Faut-il agir sur la demande de déplacements en avion ?

A.B. Il faut avant tout changer d’objectifs. Aujourd’hui, l’objectif consiste à faire croître le transport aérien. On le voit avec le plan de relance et on le voit avec les infrastructures puisqu’il y a toujours des projets d’agrandissement des aéroports.

Après les débats de la Convention citoyenne, on n’a pas vu de signal politique clair, qui aurait pu consister à planifier les trajets substituables par le train, faire des offres ferroviaires adaptées… contribuant à diminuer l’offre aérienne.

La Convention citoyenne a demandé que les trajets réalisables en train en quatre heures ou moins soient interdits en avion. C’est facilement réalisable mais on voit déjà à quel point c’est compliqué.

Les politiques publiques peuvent aussi agir sur le prix, en particulier sur la taxation sur le kérosène qui n’est pas pris en compte.

D’autres politiques sont possibles et pourraient s’inspirer par exemple des propositions faites par l’équivalent du Haut Conseil pour le Climat en Grande-Bretagne, qui suggère une taxe progressive en fonction du nombre de vols que l’on prend. De son côté, la Convention citoyenne a proposé l’idée de taxer les vols en jets privés. Mettre en place de tels dispositifs aurait l’avantage de ne pas pénaliser les plus pauvres, ceux qui prennent peu l’avion.

VRT. Vous critiquez aussi la faiblesse des politiques de report modal…

A.B. La volonté de faire croître la part du transport ferroviaire est souvent exprimée. Mais il n’y a pas de réelles politiques de report modal pour l’accompagner. Une vraie politique de report modal implique que, si on augmente le transport ferroviaire, on diminue un autre mode. Ce n’est pas le cas quand de nouveaux investissements sont réalisés en faveur du transport ferroviaire même si l’objectif annoncé est le report modal.

Si on pensait le ferroviaire comme un outil de report modal, on n’aurait pas abandonné les trains de nuit il y a quelques années. Aujourd’hui, on commence à évoquer la relance des trains de nuit, mais il n’y a aucune volonté dans le même temps de baisser l’offre aérienne. Si on ne le fait pas, on ne diminuera pas les émissions. Il faut aussi agir sur un autre levier : l’intermodalité entre le vélo et le train, en favorisant notamment le stationnement en gare. Une étude de l’Ademe montre que pour 8 usagers de consignes à vélo créées en gare, on gagne un usager du train. En effet, le vélo permet d’avoir une zone de chalandise plus élevée que la marche. Le vélo et le train sont très complémentaires et sont les deux modes les plus écologiques. A l’avenir, il faut repenser la complémentarité entre le ferroviaire et le vélo.

VRT. Vous ne croyez donc pas à l’objectif de doublement du trafic de fret ferroviaire…

A.B. L’objectif de doubler la part du fret ferroviaire d’ici à 2030 est énorme ! Mais les politiques publiques annoncées paraissent complètement insuffisantes pour y parvenir.

Développer le fret ferroviaire sans toucher au transport routier me paraît en effet impossible. C’est exactement la même chose pour les voyageurs. Il y a pourtant des leviers financiers possibles, que ce soit une taxe sur l’énergie ou encore une taxe sur la contribution kilométrique…

Enfin, toutes les politiques doivent être pensées comme des outils d’aménagement du territoire et, inversement, l’aménagement du territoire devrait être réalisé de manière à favoriser les mobilités sobres en énergie et bas carbone.

Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt

 

Loin du compte…

Selon Aurélien Bigo, aujourd’hui, le constat est clair : au niveau mondial, on est loin de respecter l’objectif de limitation de l’augmentation des températures globales moyennes à + 2 degrés d’ici à 2050. Pour y parvenir, il faut baisser de 2,7 % chaque année les émissions de CO2au niveau mondial(ce qui veut dire que l’effort doit être encore plus élevé pour les pays développés comme la France ). Et si on veut respecter un objectif de hausse des températures limitées à +1,5 degré, il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de – 7,6 % par an. C’est ce qu’on a obtenu en 2020 mais de façon involontaire puisque c’était lié à la crise sanitaire.


Rappel : La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) décrit la feuille de route de la France pour conduire la politique d’atténuation du changement climatique. Elle donne des orientations pour mettre en œuvre la transition vers une économie bas-carbone dans tous les secteurs d’activités.

Elle définit des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la France à court/moyen terme – les budgetscarbone1 – et a l’objectif d’atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire zéro émissions nettes2, à l’horizon 2050 (objectif introduit par le plan climat de juillet 2017 et inscrit dans la loi).