Craignant que les projets à long terme d’Arc Express et du Grand Paris ne mobilisent toutes les lignes de crédit disponibles, la SNCF remonte au créneau pour souligner l’urgence : traiter les problèmes qui pourrissent le quotidien des banlieusards sur les RER C et D. Alors que les projets de Double Boucle et d’Arc Express mobilisent l’attention, Jean-Pierre Farandou, directeur général de SNCF Proximité, l’a une nouvelle fois martelé dans une interview au Parisien le 3 novembre : « beaucoup de lignes de banlieue sont en grande difficulté ». Et il serait illusoire de penser que les deux projets de métro automatique portés par la Région et l’État sont suffisants pour répondre aux problèmes des transports en Île-de-France. Donc, avant même de penser sur le long terme, « il y a urgence à s’occuper des lignes existantes, car elles sont saturées. »
Et d’enfoncer le clou : « Pour les RER C et D, on a besoin d’un milliard par ligne, à la fois pour améliorer la fiabilité et la capacité […]. Les décisions n’ont pas encore été prises, pourtant il faut beaucoup d’argent ». Certes, la priorité affichée d’une rapide et profonde modernisation des lignes C et D n’est pas nouvelle. Dans le plan de mobilisation pour les transports présentés par le conseil régional en mars 2009 figuraient, parmi les urgences, les schémas directeurs de ces RER. Toutefois, le chiffrage des travaux autour du milliard pour chaque ligne a un effet choc. Volontaire.
Pour la D, c’est parti…
Au lendemain de la publication de l’interview, Sophie Mougard, directrice générale du Stif, devant l’Association des journalistes ferroviaires, a rappelé « ses » chiffres : pour le RER D, 120 millions d’investissements sont prévus d’ici 2014, plus 70 pour les gares. Et pour la C, 370 millions en infrastructures d’ici 2017 plus 70 pour les gares. Soit les 630 millions annoncés à l’issue du conseil d’administration du 8 juillet 2009. Des sommes bien loin des deux milliards annoncés comme nécessaires par Jean-Pierre Farandou. Pourquoi ces différences ?
Comme le reconnaît Jean-Pierre Farandou, « nous sommes d’accord avec le Stif pour la phase 1, c’est avant tout une question de phasage. On se projette davantage dans le temps, c’est tout. » Ainsi les 190 millions (120 plus 70) évoqués par le Stif correspondent à la première phase de travaux liée au schéma directeur du RER D. Avec cela, il s’agit avant tout de gagner en régularité tout en offrant une desserte nettement renforcée. Et de revenir, au nord de la ligne, au passage à douze trains par heure en pointe, bien cadencés, après la période de « D 8 », avec la limitation à huit trains. Au sud, les travaux permettront l’arrêt systématique des trains en gare de Pompadour et le renforcement de la desserte du Val-de-Marne, avec notamment un arrêt supplémentaire à Maisons-Alfort et Alfortville par quart d’heure.
C’est donc bien parti. Le Stif s’est engagé. Le dossier est bouclé, la convention de financement approuvée. Les premiers travaux devraient débuter fin 2011 et s’achever fin 2013 en vue d’une profonde réorganisation de la desserte à partir de 2014.
… pour la C, pas encore
De phasage, il en est aussi question pour le schéma du RER C. La première tranche prévue correspond aux 370 millions d’infrastructures évoqués par le Stif à l’horizon 2017 pour, entre autres, reconfigurer le terminus de Brétigny, offrir une voie supplémentaire d’accès à Paris-Austerlitz… Parmi les objectifs essentiels, outre une meilleure régularité, un fort progrès de la desserte entre Paris-Austerlitz et Brétigny et entre Pont-de-Rungis et Massy-Palaiseau. Parallèlement, comme pour le D, une enveloppe de 70 millions est affectée aux gares.
Mais tout n’est pas si simple… Car si pour les gares, tout est calé, financé, il n’en va pas de même sur la première phase des travaux. Sophie Mougard précise : « on cherche un compromis pour la desserte du Val de Marne et de l’Essonne. » C’est-à-dire pour ceux qui viennent de loin et veulent le trajet le plus direct, et les voyageurs de Petite Couronne, soucieux d’une desserte la plus fine possible, multipliant les arrêts. L’enjeu, ce serait de « décroiser » le plus possible les circulations et de bénéficier de davantage d’arrêts sur Seine-Amont. Faute de pouvoir accorder les sensibilités départementales, un moratoire a été décidé, le temps de s’accorder sur une grille de dessertes. Et le Stif a demandé à la SNCF et à RFF de lui présenter « un éclairage » sur les perspectives à long terme.
« Pour la D, c’est enclenché. Pas pour la C, côté infrastructures, résume Jean-Pierre Farandou, le schéma est encore en discussion avec les collectivités. Il y a celles qui veulent un train plus direct, celles qui le veulent plus fréquent. » L’essentiel, pour la SNCF, c’est que les débats se concluent rapidement. De quoi « espérer » une mise en service des installations en 2017-2018.
Entre 630 millions d’euros… et deux milliards
En attendant, les exploitants de Transilien ne peuvent que souligner, avec de plus en plus de force, de plus en plus souvent, l’urgence. Car au-delà même des 630 millions annoncés en juillet 2008, ce sont deux milliards qu’il faut trouver pour assurer, dans les dix années à venir, le bon fonctionnement de ces deux lignes de RER (voir encadré). Avec, comme travaux majeurs préconisés pour la D, la mise à quatre voies du tronçon Grigny-Juvisy (500 millions) puis, à plus long terme, le déploiement de Next – Nouveau système d’exploitation Transilien – entre Villeneuve et Villiers-le-Bel (500 millions). Et, pour la C, la mise à six voies entre Bibliothèque-François-Mitterrand et Juvisy (700 à 800 millions) Soit plus de deux milliards en tout.
Du côté de RFF, interrogé sur ces chiffrages, on avance avec prudence, préférant pour la D fignoler les études avant de se prononcer « de façon officielle », même si le chiffre semble se situer dans la même échelle que celui de la SNCF. « Notre action s’inscrit dans la durée et il faut nous positionner avec des informations précises », dit une responsable de RFF. Une équipe dédiée travaille sur les projets à long terme, les appels d’offres, la préparation des chantiers et le planning des travaux. Pour la C, « on ne se prononce même pas », nous dit-on de même source. Trop tôt. Les appels d’offres vont seulement être lancés dans quelques semaines pour les études.
Quoi qu’il en soit, cette addition de plus de deux milliards ne comprend pas les très grands travaux susceptibles de transformer véritablement les lignes, comme le doublement du tunnel entre gare du Nord et Châtelet, où convergent les lignes B et D. Il y aurait donc urgence, d’autant que l’essentiel des attentions budgétaires se concentre actuellement sur les projets « phares » : Arc Express, fortement porté par la Région, le Grand Huit, symbolique de l’engagement de l’État à travers la Société du Grand Paris. Avec des coûts estimés à 6 milliards pour le premier, 22,7 milliards pour le second. Que restera-t-il pour les RER C et D ? D’où l’insistance à vouloir régler, avant tout, « l’urgence ». Avec la difficulté pour la SNCF de ménager les susceptibilités de l’État et de la Région. D’où ce commentaire de Jean-Pierre Farandou : « Les grands projets, nous n’avons rien contre. Mais je souhaite que l’on repense avant tout aux usagers. » Et la SNCF doit pouvoir enchaîner les diverses phases de travaux sans interruption préjudiciable du trafic. Avec sur ces deux lignes des flux de voyageurs supplémentaires que devrait apporter Arc Express à sa mise en service, prévue en 2017…
Certains élus ont repris au bond les propos de Jean-Pierre Farandou dans Le Parisien. Comme Michel Berson, président (PS) du conseil général de l’Essonne : « Cette position de la SNCF est une avancée considérable, car elle est la marque d’un consensus général sur cette question des RER alors que le débat se focalisait sur les nouvelles lignes Arc Express et le métro du Grand Paris qui, dans tous les cas, ne pourront être mis en service avant 2020-2025 […]. Nous continuerons à faire pression sur les pouvoirs publics tant que les moyens financiers nécessaires n’auront pas été débloqués. »