Après la presse, c’est au tour du secteur des transports de se faire « cannibaliser » par les réseaux sociaux.?Particulièrement en matière d’info-voyageurs. Où les voyageurs technophiles sont le plus souvent très en avance sur l’info distillée par les exploitants. «Trafic coupé entre La Fourche et Saint-Denis/Asnières, ce matin, suite à un problème de train, grosses perturbations sur toute la ligne : ) » Le 15 janvier 2010, à 12h54, un certain Seesmic alerte par un message twitter ses comparses, usagers de la ligne 13. Cette communauté autofédérée des 200 abonnés du tweet de la ligne 13 ne rend aucun compte à la RATP. Bien au contraire, c’est elle qui en demande !
Comme dans le secteur de la presse, les réseaux sociaux des transports viennent bousculer les canaux d’information installés. Mais quelle mouche a piqué les usagers ? Ils ne sont plus ces individus, isolés, amorphes et captifs, les voilà maintenant qui s’organisent. La raison, selon Gabriel Plassat, ingénieur au département transport et mobilités de l’Ademe, en est toute simple : « Les nouvelles technologies réduisent l’asymétrie d’information entre celui qui vend le transport et celui qui l’achète. Et puis, par le biais du Net, les consommateurs ont la capacité à se grouper, à se fédérer, presque instantanément », poursuit-il. Les usagers des transports font leur « coming out », comme l’écrit le sociologue Bruno Marzloff, directeur du groupe Chronos. Ils redeviennent des consommateurs et ne sont plus prêts à s’en laisser conter. En témoigne l’apparition d’applications pour smartphones comme MétroEclaireur ou Checkmymetro, qui permettent de consulter l’état des transports en commun en temps réel, mais surtout d’enrichir, voire de corriger les données fournies par la SNCF et la RATP. « Et si l’info la plus pertinente venait des voyageurs ? », proclame le site de MétroEclaireur. Un peu dans l’esprit des cibistes qui s’avertissaient des radars dans les années 90, le site permet également aux utilisateurs de localiser la présence de contrôleurs dans les gares et stations. « Je croise un homme en uniforme, illico, je le géolocalise. Ainsi, les autres usagers fraudeurs éviteront le contrôle. » Pour les AO et l’exploitant, c’est bien naturel, le premier réflexe est de chercher à interdire. Mais est-ce la bonne réponse ? « Ce nouveau phénomène implique pour les AOT et les transporteurs de savoir écouter, se remettre en cause et d’être plus transparents », estime au contraire Gabriel Plassat. Pas si simple. Car qui dit transparence dit ouverture et mise à disposition des bases de données. Face à ce foisonnement d’idées venues de la société civile, faut-il le faire ? Et si oui, comment le faire ? Les villes (Rennes, Bordeaux ou Paris) ont tranché, elles commencent à ouvrir le robinet des données publiques. Les opérateurs, eux, restent encore figés dans une approche très cloisonnée. Les études leur disent que l’avenir est au partage, mais aucun ne veut se lancer le premier.
Pour Bruno Marzloff, « cette résistance vient de leur culture du client captif. Il faut au contraire faire éclore la notion de “suite servicielle” dans laquelle l’usager passe d’un fournisseur à un autre de manière transparente ». Le risque, en proposant des applications monomaniaques et cloisonnées, est de se trouver marginalisé le jour ou un autre réussira à mettre les données en cohérence. Et puis, combien de temps tiendra le glacis face à la menace Google, qui sait si bien ingurgiter les données pour les livrer ensuite en pâture à la créativité des usagers. La plupart des spécialistes prévoient que ce mouvement, qui ne touche encore que la partie la plus avancée technologiquement des usagers, va petit à petit se propager à l’ensemble d’entre eux. Les utilisateurs mettront au point des outils de plus en plus simples, et ils auront toujours un coup d’avance. Bientôt, ils pourront juger la qualité de leur ligne, la comparer aux autres, sortir les performances en temps réel. Ils vont construire eux-mêmes les indicateurs. « On en est à la phase du bricolage, cela va s’organiser, on aura bientôt des citoyens professionnels », estime même Gabriel Plassat. « On en est au balbutiement », confirme le très porté sur le numérique président de la CUB, Vincent Feltesse : « Pour un peu que l’on accepte le principe de la géolocalisation sur son smartphone, le covoiturage et les services mobiles vont changer de dimension » Il n’est en effet plus seulement question de déplacement de l’information, mais également de l’activité de transport en elle-même. Celle-ci s’échappe comme une poignée de sable dans la main des opérateurs installés. De plus en plus, les particuliers souhaiteront être acteurs de leur propre transport quand ils ne l’opéreront pas eux-mêmes. Les citoyens commencent à louer une partie de leur coffre (Carpoolcargo) et concurrencent la messagerie. Ils proposent les sièges vides de leur voiture (covoiturage) et concurrencent opérateurs de transport et constructeurs automobiles. Ils partagent leurs taxis (Taxi Partage), revendent en direct leurs billets de trains (Zepass) et se mettent à affréter ensemble leurs bus (Yourbus-Deinbus).
Cette optimisation de moyens par et pour les utilisateurs se fait aux dépens d’une économie « installée » classique qui tarde à s’adapter au nouveau contexte. Quel sera l’impact de ces nouvelles formes de transport ? Les spécialistes du transport vont-ils être marginalisés par cette génération spontanée ? Sans doute pas. Ils vont surtout devoir apprendre à trouver leur place dans ce nouveau système et surtout trouver le modèle économique qui va avec. Peut-être que l’enjeu sera – comme on l’a vu dans l’univers de la musique avec Itunes – de s’arroger le rôle de passerelle en profitant de capacités de développement et de design inaccessible au commun des usagers. Car les systèmes intelligents qui permettront de passer d’un train à un bus puis à un vélo de manière très fluide et simplifiée, avec un paiement sécurisé et des informations fiables, restent à inventer.