Beaucoup de collectivités travaillent sur la mise à disposition de leurs données de transport ou de voirie, mais toujours en les verrouillant dans leurs applications mobiles. Rennes estime au contraire qu'il faut libérer les données. Cela se passe à Rennes, et c’est le premier acte d’une révolution numérique pour les collectivités locales. La ville et la communauté d’agglomération ont rendu libre, le 1er octobre, l’accès à une série de données publiques concernant le transport, la voirie et les équipements publics. But de l’opération : susciter une inspiration qui permette de créer de nouveaux services passant par des applications mobiles sur smartphone. « Ce n’est plus l’institution qui du haut de son piédestal dit voilà comment je comprends vos besoins et voilà le service que je mets en face. C’est l’usager qui va potentiellement créer le service public dont il aura besoin en matière de mobilité. On démultiplie la possibilité de développement de ces services liés à l’usage de la ville », s’enthousiasme Xavier Crouan, directeur de l’information et de l’innovation numérique de Rennes.
Suite à l’ouverture en mars des données du vélo en libre-service, il existe déjà une dizaine d’applications à Rennes. Un balbutiement. Car ce qui est intéressant n’est pas la donnée isolée, mais le croisement des données. A la base de toutes les applications mobiles évoluées, il y a une géolocalisation, une cartographie et des données contextuelles plus ou moins étoffées et interactives. On disposera sans doute bientôt à Rennes d’une application permettant de calculer en temps réel le meilleur itinéraire intermodal, en prenant en compte la disponibilité des vélos en libre- service, la cartographie des pistes cyclables, les horaires des transports en commun, l’accessibilité des stations, le fonctionnement des escalators et autres ascenseurs.
Un simple gadget pour geeks et autres accros à la technologie ? Pas si l’on considère que d’ici à 2012 la moitié des téléphones mobiles français permettront l’accès à l’Internet mobile et que 80 % de l’usage de l’accès à l’Internet devraient se faire par téléphone mobile d’ici à 2015. « C’est une tendance lourde, on cherche des informations de plus en plus géolocalisées dans un contexte de mobilité », indique Xavier Crouan.
La libération des données part également du constat que les créateurs d’applications prennent les données là où elles se trouvent. « Imaginons que quelqu’un décide de créer une application à partir des données du Vélo Star en les récupérant sur le site de Keolis. Si le site change de format, cette appli ne marchera plus et, quelque part, on sera tenus pour responsables car il s’agit de nos données », souligne Noël Philippe, directeur général des services urbains de Rennes Métropole. En proposant sa propre base de données (son « entrepôt »), Rennes garantit de donner une information pérenne sous un format informatique stable. Pour accélérer le processus de création de services, la ville a lancé le 1er octobre un concours doté de 50 000 euros récompensant les meilleurs services développés à partir de ces bases de données (cinq prix différents décernés). Rennes cherche maintenant a entraîner dans son sillage d’autres partenaires institutionnels, à commencer par la région (pour les horaires des TER et SIG) et le conseil général (bus Illenoo). Les gestionnaires de parkings (Citédia) et de l’info-circulation (Dor Breizh) sont également dans la ligne de mire, ainsi que toutes les entreprises de réseau (la Poste, EDF…). Mais tous ne vont pas au même rythme dans cette ouverture numérique.
Car derrière tout cela se pose la question centrale, angoissante pour les collectivités, du devenir de ces données lâchées dans la nature. Première règle, qui est également une loi : les données personnelles n’ont pas vocation à être libérées. Deuxième règle, une autre série de données ne peut être libérée pour des raisons de sécurité. « On ne va évidemment pas donner les plans des canalisations de gaz ou d’eau », assure Xavier Crouan. Enfin, un certain nombre de données, actuellement vendues, si elles étaient libérées, seraient aspirées par les moteurs de recherche, déstabilisant au passage des professions qui en font le commerce, les géomètres par exemple. Il y a par ailleurs le débat presque philosophique sur l’enrichissement des bases de données. Faut-il, dans l’esprit d’Open Street Map, autoriser l’ajout de couches d’information aux données cartographiques ? Les porteurs du projet rennais d’ouverture sont évidemment pour. Les services techniques seront peut-être plus mesurés.
Guillaume LEBORGNE