Pour la première fois depuis que sa commission des sanctions existe (2016), l’Autorité de régulation des transports s’est décidée à la saisir. En cause, l’absence d’information et de justification fournies par SNCF Réseau quand elle n’accorde pas les sillons demandés par les opérateurs ferroviaires. Cinq entreprises de fret avaient interpelé le gendarme du rail sur le sujet.
Hasard du calendrier : dans un tout récent rapport sur l’Autorité de régulation des transports (ART) publié fin novembre, la Cour des comptes soulignait le fait que le gendarme des transports n’avait encore jamais saisi sa commission des sanctions, créée après la première réforme ferroviaire de 2014.
Eh bien, c’est chose faite : l’ART l’a saisie le 6 décembre dernier d’un grief contre SNCF Réseau. Cinq opérateurs de fret s’étaient plaints auprès du régulateur des conditions d’accès au réseau ferré national : Euro Cargo Rail (devenu DB Cargo, filiale de la Deutsche Bahn), Lineas, Régiorail, T3M et VFLI (devenu Captrain, filiale de la SNCF).
Ils avaient saisi en juin 2019 le gendarme du rail car ils reprochaient à SNCF Réseau de ne pas respecter les décisions et injonctions prononcées par le régulateur sur ces fameuses conditions d’accès. En mai 2020, l’ART avait mis en demeure le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire de se mettre en conformité avec les règles de transparence d’informations dans le processus d’allocation des sillons, c’est-à-dire les créneaux de circulation accordés aux entreprises ferroviaires pour faire rouler leurs trains de fret ou de voyageurs.
Tant l’opérateur historique SNCF que ses challengers doivent bénéficier du même traitement pour garantir la libre concurrence sur le marché ferroviaire.
En octobre 2022, l’ART a fini par clore la procédure pour trois des quatre griefs reprochés à SNCF Réseau : l’information et les délais dans lesquels le gestionnaire des voies prévient les entreprises ferroviaires en cas de modification, suppression ou « affermissement » des sillons (sillons définitivement accordés).
Restait un dernier grief, l’information des opérateurs sur les raisons pour lesquelles un sillon ne leur est pas alloué. Autrement dit, SNCF Réseau est tenu d’expliquer aux entreprises pourquoi il n’est pas en mesure de leur trouver un créneau sur ses voies. Et c’est sur ce point précis que le gendarme du rail s’est décidé à saisir sa Commission des sanctions.
Composée d’un membre du Conseil d’État (Mathieu le Coq), d’un magistrat de la Cour de cassation (Ingrid Andrich) et d’une conseillère de la Cour des comptes (Catherine Renondin), cette commission indépendante peut prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre d’une entreprise régulée en cas de manquement à ses obligations. Au terme d’une procédure contradictoire.
La sanction peut aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise (celui de SNCF Réseau s’élevait à 7,6 Mds d’euros en 2021, alimenté à 86% par les péages acquittés par les opérateurs ferroviaires). Assortie d’une interdiction d’accès au réseau ferré.
Nathalie Arensonas
Sidérant… En plein procès de la catastrophe de Brétigny, alors que l’accusation – qui défend les intérêts de la collectivité nationale, donc de l’Etat-, se demande si la SNCF n’a pas fauté par manque de maintenance, on apprend que l’Etat a signé, en catimini et juste avant l’élection présidentielle, le contrat de performance de SNCF Réseau. Un document essentiel puisqu’il fixe les objectifs du gestionnaire des infrastructures pour les dix ans à venir et précise, noir sur blanc, les moyens qui lui seront alloués pour moderniser ses voies, ses caténaires et son réseau électrique.
La faiblesse des moyens financiers accordés à SNCF Réseau dans le texte soumis à la consultation avant signature (et crucial pour la robustesse du réseau et donc la régularité des trains) a été critiquée de tous côtés. Experts, députés, sénateurs, associations, syndicats, ils ont publiquement demandé la réécriture du projet, qui allie vue courte, absence d’ambition et stupéfiantes impasses, comme le report à plus tard de la modernisation des postes d’aiguillage, une des clés du système.
L’Etat n’en a eu cure. SNCF Réseau ne pourra donc pas moderniser ses installations ni régénérer suffisamment vite les voies ferrées, dont la moyenne d’âge tourne autour de 30 ans, quand les voies allemandes ont en moyenne 15 ans.
Cette façon d’agir sur un sujet aussi important n’est pas démocratique. Le contrat a été signé en toute discrétion le 6 avril, à quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, un moment où la campagne électorale doit être l’occasion de débats sur des sujets majeurs.
Cette victoire de Bercy, sans cesse à la recherche d’économies, témoigne de la difficile compréhension des enjeux ferroviaires par beaucoup.
Que le gouvernement ait caché sa signature pendant deux mois, le temps de passer l’élection présidentielle et d’éviter la bronca, indique qu’ il n’en est pas vraiment fier. Mais la SNCF, de son côté, a dû signer sans broncher. Certes, avec son capital 100 % public et son président nommé en conseil des ministres, elle aurait eu du mal à se rebeller frontalement, mais sa faiblesse n’aide pas le ferroviaire.
Quelle mauvaise nouvelle pour l’environnement, pour la planète… et pour le budget des Français. Comment les attirer vers le rail si le rail n’est pas plus séduisant? Comment tenir nos engagements en matière de réduction des gaz à effets de serre puisque les vrais experts ne laissent aucun doute sur l’insuffisance de la voiture électrique pour faire baisser les émissions globales du secteur?
Quand on est obligé d’avaler de telles couleuvres, on peut être tenté d’aller voir ailleurs… C’est peut-être l’une des explications aux départs tout récemment annoncés de deux hauts dirigeants de SNCF Réseau, Matthieu Chabanel et Guillaume Marbach, très compétents, passionnés, reconnus, mais sans avenir dans le groupe SNCF et probablement déçus.
Faisons un voeu. Nous avons un nouveau gouvernement pour une nouvelle mandature avec une nouvelle ambition, nous dit-on. Ce gouvernement doit-il se sentir lié par ce qui a été signé avant sa formation? Les acteurs du ferroviaire et les futurs députés peuvent-ils se mobiliser pour demander que cet accord soit réécrit avec des moyens à la hauteur des enjeux? La lutte contre le changement climatique l’exige, la sécurité ferroviaire aussi.
Marie-Hélène Poingt
Contrat de performance qui se fait attendre, départ de deux hauts dirigeants, velléités de la SGP d’intervenir sur le réseau ferré… Le gestionnaire des infrastructures ferroviaires est bousculé. Les engagements de l’Etat seront regardés de près. Le salon européen de la mobilité (EuroMoExpo) qui se tiendra du 7 au 9 juin Porte de Versailles à Paris, sera-t-il l’occasion d’annonces en faveur du transport public?
Coup sur coup, deux nouvelles ont surpris au sein de SNCF Réseau. C’est d’abord l’annonce inattendue du départ, dès le 1er juillet, de deux de ses dirigeants, dont celui de Matthieu Chabanel, le numéro deux du gestionnaire des infrastructures dont les compétences et le sens relationnel étaient unanimement appréciés. C’est, quelques jours plus tard, le 12 mai, la décision de la Société du Grand Paris de créer une filiale « pour conduire des études en vue de la réalisation d’autres projets d’infrastructures, soit d’extensions potentielles du Grand Paris Express, soit sur des projets se situant au-delà de la maîtrise d’ouvrage du GPE ».
Autrement dit, l’établissement public créé par une loi en 2010 pour réaliser le Grand Paris Express envisage de se voir confier la maîtrise d’ouvrage travaux des projets dont elle aurait conduit les études préalables, notamment sur le réseau ferré national. Cela permettrait de lui donner de nouvelles perspectives, justifiées par la SGP par « la concentration de compétences dont elle s’est dotée dans tous les domaines touchant à la construction d’une ligne nouvelle de métro ». Dans un communiqué, la SGP explique que « l’ensemble de ces compétences a donc désormais vocation à servir l’intérêt général au-delà du Grand Paris Express« .
Pour le moment, il s’agit simplement d’autoriser la création d’une filiale pour réaliser des études et des travaux, modère un porte-parole. Selon lui, la loi de 2010 sur le Grand Paris prévoit ce cas de figure en indiquant que « la SGP puisse se mobiliser pour réaliser des études sur d’autres projets mais en tant que maître d’ouvrage« . Le conseil de surveillance a donc mis en place un groupe de travail sur les modalités « d’extension des compétences, sur les obstacles à lever et les enjeux ». C’est aussi une façon de se préparer à l’avenir en se donnant une nouvelle raison d’être : dans 8 ans, la mission de la Société du Grand Paris (SGP) devrait être remplie avec la construction de 200 kilomètres de ligne de métro automatique (et 68 gares) autour de Paris.
Interrogée sur ces velléités de développement, Valérie Pécresse se dit favorable à l’extension des champs de compétence de la SGP et à sa sortie des frontières. Mais sous condition : qu’elle ne le fasse pas avec les recettes versées par les contribuables franciliens. Or, actuellement, la SGP tire une grande partie de ses recettes de taxes sur les bureaux, sur les locaux commerciaux et de stockage ainsi que sur des surfaces de stationnement en ile-de-France. La présidente de la région Ile-de-France, qui cite « la demande des Hauts-de-France à la SGP de réaliser des études sur Lille-Hénin-Beaumont », estime que cela « ne peut pas se faire avec des ressources franciliennes ». L’élue, qui s’exprimait en marge d’une conférence de presse sur l’ouverture à la concurrence des bus en grande et moyenne couronne, a également fait part de ses souhaits : elle demande que « la SGP finance des études d’extensions de lignes comme Versailles-Nanterre ou Orly-Montegereau ou la T8 à l’Est , ou encore l’interconnexion de la ligne H à Pleyel« .
Mais ces perspectives suscitent des inquiétudes en interne, sur une possible fin du monopole de SNCF Réseau sur les infrastructures ferroviaires. Fanny Arav, administratrice Unsa de SNCF Réseau, s’interroge : « Est-ce l’ère de la découpe? Cette création suscite beaucoup de questions« . Selon elle, « Il y a quelques années, on a réuni RFF et l’Infra après s’être rendu compte que séparer la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’ouvrage délégué était dangereux car cela ne responsabilise pas le concepteur« . Or, rappelle-t-elle, » SNCF Réseau a beaucoup de difficultés à trouver des financements alors que le monopole du réseau est sa raison d’être ». Selon elle, l’Etat ne se donne pas les moyens d’une politique affirmée en faveur du ferroviaire avec des moyens financiers à la hauteur. « On le voit avec le contrat de performance qui est un contrat d’attrition », dit-elle. Conséquence, poursuit-elle, « l’Etat veut faire monter en puissance un autre organisme, la SGP, qui est une société de financement qui fonctionne avec un système de financement bien fichu. On a l’impression qu’une bascule peut se produire. » Et de s’interroger : »n’est-ce pas un moyen de tuer dans le temps SNCF Réseau?«
De son côté, SNCF Réseau se contente de rappeler que ses équipes travaillent déjà sur le réseau ferroviaire avec d’autres entreprises ou dans le cadre de PPP (partenariat public-privé). Il faudra aussi attendre les prochaines annonces pour comprendre le positionnement des pouvoirs publics vis-à-vis du gestionnaire du réseau.
Marie-Hélène Poingt
Mauvaise nouvelle pour SNCF Réseau avec le départ prochain de deux dirigeants de haut niveau, reconnus pour leurs compétences : Matthieu Chabanel et Guillaume Marbach. Le premier rejoindra fin août La Poste, tandis que le second va partir diriger le projet de RER de Toronto, remporté par le consortium Aecon- Alstom- DB- FCC Construccion, indique Mobilettre qui a dévoilé hier l’information.
Matthieu Chabanel, 46 ans, était le numéro deux du gestionnaire d’infrastructures ferroviaires, depuis que Luc Lallemand, son PDG, l’avait nommé, en juin 2020, directeur général délégué Projets, Maintenance et Exploitation. Diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole des Ponts et Chaussées, Matthieu Chabanel avait rejoint en avril 2012 Réseau Ferré de France, au poste de directeur général adjoint en charge du pôle Commercialisation et Planification, après avoir occupé plusieurs postes notamment au sein du groupe Suez, à la sous-direction des Ports ou encore au cabinet du Premier ministre (François Fillon à l’époque). Il était unanimement reconnu au sein du groupe SNCF, tant sur le plan humain que sur le plan des compétences.
Mais après avoir été candidat (malheureux) à la présidence de SNCF Réseau, et après avoir travaillé main dans la main avec Luc Lallemand pendant plus de deux ans, il avait envie d’accéder à de nouvelles responsabilités. Etant mandataire social, la législation lui interdit d’évoluer à un poste de dirigeant au sein du groupe SNCF, pour éviter tout conflit d’intérêt. Il a donc du chercher un poste ailleurs, mais toujours pour un groupe avec une mission de service public.
Il sera remplacé par Olivier Bancel, actuel directeur général des Opérations et Production, précise Mobilettre.
Egalement diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole des Ponts et Chaussées, Guillaume Marbach avait rejoint en 2007 la SNCF après avoir débuté sa carrière en 2002 au ministère de l’Équipement et des Transports en tant que responsable d’un service de grands travaux routiers, en Isère. A la SNCF, il a commencé par diriger deux établissements chargés de la maintenance et des travaux sur le réseau ferré national, dans les régions Alpes et Rhône Alpes, puis a été nommé, en 2012, délégué général de Fer de France, un organisme de promotion de la filière ferroviaire. Il avait ensuite été directeur industriel du Matériel, au sein de SNCF Mobilités, avant d’être chargé à l’été 2017, par Guillaume Pepy et Patrick Jeantet, de la direction du programme Robustesse. Il dirige la direction générale Île de France de SNCF Réseau depuis le 2 mai 2018.
Il sera remplacé par Séverine Lepère, directrice Développement et Modernisation de SNCF Réseau depuis juillet 2020. Auparavant, cette diplômée de l’Ecole CentraleSupelec a travaillé pendant huit ans sur les questions franciliennes (notamment directrice financière et directrice au contrat Transilien) après avoir été plus de deux ans directrice de la Stratégie branche Proximités.
L’ancien PDG de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, aujourd’hui senior adviser pour le fonds d’investissement Vauban Infrastructure Partners (groupe Natixis) était l’invité du Club VRT le 6 avril dernier. Au cours de cette rencontre, il a estimé les besoins de régénération annuelle du réseau ferroviaire à plus de 3,5 milliards d’euros. Et critiqué le contrat de performance Etat-Réseau en cours de négociation. « S’il est signé, il consistera à réduire les investissements. En effet, il fixe la somme de plus de 2 milliards d’euros par an pour la rénovation, mais sans prendre en compte l’inflation. Or, avec une inflation de l’ordre de 4%, l’effort de régénération sera réduite de 12% en trois ans», a-t-il expliqué.
Outre cet effort accru, il faut, selon lui, pour que le réseau ferroviaire progresse en productivité, davantage recourir à la digitalisation, déployer le système de signalisation ERTMS ainsi que la commande centralisée des postes d’aiguillage. Il se prononce aussi pour l’indépendance du gestionnaire de l’infrastructure actuellement dans le giron du groupe SNCF car « les nouveaux entrants ont besoin d’un climat de confiance qui pourrait être malmené par des liens trop étroits avec l’opérateur historique ». Il balaie l’argument selon lequel un groupe unifié permet d’être plus efficace et réactif. Et critique aussi l’hyper-centralisation de la SNCF et les strates administratives « loin du terrain » que cela suppose.
V.C.
Retrouvez l’intégralité des propos tenus par Patrick Jeantet lors de ce Club VRT dans le numéro de mai de Ville, Rail & Transports
« Une occasion manquée. » C’est le jugement de Bernard Roman, le président de l’Autorité de régulation des transports (ART), à propos du projet de contrat de performance Etat-SNCF Réseau. Ce verdict, formulé lors de son audition ce matin devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, reflète bien sûr l’avis présenté la veille par l’ART, saisie sur le sujet le 8 octobre dernier conformément à la procédure.
« C’est un contrat d’assainissement financier : on demande à SNCF Réseau d’arriver à un « cash flow » positif en 2024. Il y a de grandes ambitions affichées, mais pas les moyens pour y arriver pendant les dix ans que couvrira ce contrat. La logique financière a prévalu sans accompagnement industriel », explique le patron de l’ART.
Et de citer un exemple : la loi Climat et Résilience fixe l’objectif de doubler la part modale du fret ferroviaire et même de tripler la part du transport combiné dans les dix ans. « Ces objectifs sont également affichés dans le contrat de performance. Mais quand on va jusqu’au bout de ce document, en termes de volumes et de recettes, on arrive à une hausse du fret de 20 % en 2030. » Loin des objectifs affichés.
Les indicateurs retenus par le contrat ne sont pas non plus satisfaisants, estime le président du gendarme du ferroviaire. « 1,9 milliard d’euros d’économies sont attendues de la part de SNCF Réseau entre 2017 et 2030. C’est en valeur absolue. Si Réseau n’y arrive pas, il faudra en faire moins pour faire des économies », précise Bernard Roman, avant d’ajouter : « Ce ne sera pas au bénéfice du transport ferroviaire ».
Or, l’effort en faveur de la régénération du réseau ferré est déjà nettement insuffisant. Le contrat de performance prévoit 2,8 milliards d’euros annuels. Mais cette somme ne sera affectée que sur le réseau structurant national, explique le patron de l’ART. « Rien n’est prévu pour le réseau structurant régional, c’est-à-dire les lignes UIC 5 à 6, ni pour les dessertes fines du territoire, les lignes UIC 7 à 9. » Le financement est à la charge des collectivités via des accords avec l’Etat, rappelle-t-il. « Cela signifie qu’on prévoit une dégradation du niveau de ces lignes. Ce n’est pas ce qu’on appelle un contrat de performance. »
Par ailleurs, rien n’est prévu pour la modernisation des postes d’aiguillages, ni pour le déploiement de l’ERTMS. Deux axes extrêmement efficaces pour moderniser un réseau. « L’Allemagne a décidé de développer l’ERTMS sur tout son réseau d’ici à 2030. La France le prévoit seulement sur la ligne Paris – Lyon en 2025… », ajoute-t-il.
Et d’enfoncer le clou à propos des péages : « Nous sommes perplexes sur les ressources financières apportées par les péages », affirme-t-il. Sur la durée du contrat, la hausse des recettes liées aux péages devrait progresser de 50 %, une partie grâce à l’augmentation du nombre des circulations, une autre grâce à l’augmentation nominale des redevances d’utilisation des infrastructures. Or, observe l’ancien député socialiste du Nord, le paiement par les opérateurs ferroviaires du coût complet des infrastructures ne correspond pas à une obligation européenne. L’Europe demande au minimum de faire payer le coût d’usage, qui représente environ 20 % du coût complet.
Pour Bernard Roman, le contrat de performance déborde de son champ de compétences. « Ce n’est pas au contrat de performance de fixer les tarifs. C’est l’ART qui les valide. S’ils ne sont pas soutenables, l’ART ne les validera pas », prévient-il. « Cela demande un vrai travail de SNCF Réseau : les péages doivent être adaptés structurellement à la capacité des opérateurs ferroviaires à payer. » Selon Bernard Roman, les péages représentent, pour les opérateurs ferroviaires français, entre 15 et 40 % de leurs coûts de circulation. « Si les péages sont trop élevés, on finira par décourager les entreprises ferroviaires. »
Pour le régulateur, il est urgent de « tenir compte du marché et sortir du malthusianisme ferroviaire français ». Un monopole public doit fournir un accès à l’infrastructure dans les meilleures conditions et aux meilleurs coûts, conclut-il.
Réagissant à cette analyse, la commission sénatoriale a indiqué faire « siennes les réserves de l’ART » et a invité « le gouvernement et SNCF Réseau à revoir ce projet de contrat dans les meilleurs délais avant sa transmission au Parlement ». Pour le président de la commission, « ce projet fait l’unanimité contre lui. Le contrat de performance est un document stratégique pour l’avenir du système ferroviaire. Une révision s’impose pour tenir compte de l’avis de l’ART ».
Marie-Hélène Poingt
Après avoir repris 25 milliards d’euros de dettes à SNCF Réseau en janvier 2020, l’Etat a de nouveau soulagé les comptes du gestionnaire d’infrastructures ferroviaires de dix milliards de dettes comme prévu dans le cadre de la réforme ferroviaire. Ce qui lui permettra de réduire ses frais financiers d’environ 300 millions d’euros annuels supplémentaires. L’économie totale de frais financiers induite par la reprise de dettes atteindra ainsi à terme 1 milliard d’euros annuels, selon SNCF Réseau.
Un ballon d’oxygène alors que la crise sanitaire a pesé sur ses résultats pour un montant estimé à près de 1,6 milliard d’euros en deux ans, essentiellement en raison de la baisse de chiffre d’affaires induite par la réduction des trafics ferroviaires, explique le groupe. « Le soutien de l’Etat et du Groupe SNCF, notamment à travers le plan de relance du ferroviaire, a permis à SNCF Réseau de poursuivre ses missions et ses investissements sur le réseau ferré, sans grever sa dette« , précise-t-il. Le montant de la dette était de 30 milliards d’euros à fin 2021, avant l’effacement de 10 milliards au 1er janvier 2022.
Malgré la crise sanitaire, le programme des chantiers de régénération du réseau a été exécuté sans encombre en 2021, selon Matthieu Chabanel. Le directeur général délégué chargé des Projets, de la Maintenance, et de l’Exploitation à SNCF Réseau dresse un bilan sur l’année passée et esquisse les projets pour 2022, alors que le contrat de performance élaboré avec l’Etat est en cours de consultation.
Ville, Rail & Transports. Que retenir de 2021 ?
Matthieu Chabanel. Après une année 2020 perturbée par la crise du Covid-19, 2021 a été une année réussie pour SNCF Réseau. Cette année, en matière de régénération, nous sommes revenus à un rythme conforme à ce qui était prévu dans le budget. C’est une vraie satisfaction puisque la crise sanitaire avait impacté notre production en 2020. Le budget de régénération s’élève à 2,820 milliards d’euros, rapporté à un budget d’investissement total de 5 milliards d’euros.
Les investissements sont stables, avec naturellement des petits écarts d’une spécialité à l’autre : un peu plus de voies et un peu moins d’ouvrages d’art, par exemple, mais dans des proportions relativement faibles.
Le budget pour la régénération atteindra même 2,850 milliards d’euros en 2022 – un budget sans commune mesure avec celui d’il y a 15 ans, quand nous tournions autour de 1 milliard d’euros.
VRT. Les retards liés au Covid se font-ils toujours ressentir ?
M. C. Nous avons rattrapé rapidement les écarts causés par la crise l’année dernière. Certaines mises en service de projets spécifiques, décalées l’année dernière du fait de la crise sanitaire, ont pu se réaliser cette année. C’est notamment le cas pour la ligne Serqueux – Gisors, opérationnelle depuis le printemps dernier.
En parallèle, la régénération du réseau a été comme chaque année un chantier permanent. Ces travaux se déroulent sur le réseau exploité et ils doivent être programmés longtemps à l’avance pour limiter leurs conséquences sur la circulation des trains. En 2021, nous avons dû non seulement réaliser le programme annuel planifié mais aussi des reliquats d’opérations initialement programmées en 2020.
VRT. Quelles ont été les principales entreprises partenaires qui ont travaillé avec vous en 2021 ?
M. C. Notre panel de fournisseurs de travaux regroupe près de 400 entreprises. Certains font des travaux très précis. Pour les chantiers de plus gros volume, nous pouvons citer Colas Rail, Eiffage rail, ETF ou TSO. Concernant les marchés de suites rapides, Transalp Renouvellement est également à pied d’œuvre à nos côtés.
En réalité, SNCF Réseau travaille avec un tissu d’entreprises diversifié, aussi bien des gros groupes que des PME ou des ETI. Notre objectif est d’ailleurs d’animer un écosystème industriel complet et synchrone qui ne se limite pas aux grands groupes. En complément des activités sur les voies, un gros travail de signalisation est réalisé par des entreprises comme Alstom, Thalès, Hitachi et Siemens.
VRT. Quelles sont les difficultés rencontrées ?
M. C. Plus de 1 500 chantiers sont réalisés chaque année sur l’ensemble du territoire par les équipes de SNCF Réseau. Je tiens à souligner le travail remarquable de nos collaborateurs, qui résolvent chaque jour de multiples problématiques techniques dans le cadre de la régénération du réseau. C’est un défi industriel du quotidien, d’autant que ces travaux ont lieu en plein air, la plupart du temps de nuit, dans des conditions météorologiques parfois extrêmes. Ces chantiers doivent, qui plus est, s’intégrer parmi les circulations qui se poursuivent sur le réseau ferroviaire. L’un de nos enjeux à l’heure actuelle est de réaliser des travaux les moins perturbants possible pour la circulation des trains de nos clients.
Un autre enjeu majeur pour SNCF Réseau et ses partenaires industriels est le recrutement, et notamment le « sourcing » de personnel formé dans un certain nombre de spécialités techniques. Le groupe SNCF mène une politique très active autour du recrutement et de la formation mais le sujet demeure.
Le contrat de performance qui va être signé entre SNCF Réseau et l’Etat va contribuer à le résoudre car il donnera de la visibilité à nos partenaires industriels sur leur chiffre d’affaires des années suivantes, et leur permettra donc d’investir en recrutement et en formation. Dans une approche gagnant-gagnant, ils s’appuieront sur la visibilité que nous aurons nous-mêmes.
VRT. Quelles sont les dernières innovations technologiques ?
M. C. SNCF Réseau a réalisé cette année de gros efforts pour le renouvellement des installations caténaires, concrètement des armements et des poteaux, au nombre de 600 000 le long du réseau. Nous avons créé, avec nos partenaires, des trains-usines caténaires, à l’image de ce qui est mis en œuvre sur les chantiers de modernisation de la voie ; c’est inédit en Europe. Côté renouvellement de voie, le développement de trains spécifiques pour des zones denses, comme l’Ile-de-France, nous a fait gagner en efficacité.
Nous avons aussi sensiblement progressé dans l’organisation des chantiers. Certains process nous permettent par exemple de gagner du temps dans l’installation des travaux.
VRT. Qu’est-ce qui changera avec le futur contrat de performance que vous allez signer avec l’Etat ?
M. C. Ce contrat de performance inscrira dans la durée, jusqu’à 2030, l’effort d’investissement dans la rénovation du réseau à un niveau élevé et stable. C’est-à-dire un montant d’au moins 2,8 milliards d’euros par an pour renouveler le réseau, pour nous donner de la visibilité et nous permettre de mobiliser les moyens adéquats.
Le gestionnaire d’infrastructures que nous sommes a besoin de planifier très en amont sa stratégie industrielle et donc d’inscrire les actions associées dans la durée, ce contrat avec l’Etat nous le permet.
VRT. Dans combien de temps les efforts de régénération pourront-ils faire baisser l’âge moyen du réseau ferré français ?
M. C. Notre réseau ferré français est très particulier : il s’agit du 2e réseau européen en taille et son âge moyen est élevé, entre 29 et 30 ans pour la voie.
Malgré cela, son niveau de sécurité figure parmi les meilleurs standards européens et nous disposons d’un taux de défaillance de l’actif relativement faible. C’est grâce aux efforts de régénération permis par le contrat de performance mais aussi à l’importance accordée à l’entretien du réseau au quotidien par les équipes de SNCF Réseau.
Propos recueillis par Antoine Irrien
Retrouvez cette interview et notre dossier spécial sur les grands projets de rénovation du réseau ferré français dans le numéro de janvier de Ville, Rail & Transports.