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Ewa

Concurrence. Comment la SNCF veut attirer les « meilleurs » salariés

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La compétition qui s’ouvrira à partir de janvier 2020 pour l’exploitation des TER et des Intercités ne se gagnera pas seulement sur le terrain des appels d’offres. Elle se mènera aussi sur la capacité à disposer de moyens humains suffisants pour faire fonctionner la complexe machine ferroviaire et faire circuler des trains. Avec un défi particulier du côté des conducteurs qui vont être de plus en plus demandés dès lors qu’ils auront suivi de longues et coûteuses formations. Une fois ces salariés recrutés et formés, il faudra aussi savoir les garder. Ce métier devrait donc voir sa côte s’élever singulièrement sur le marché de l’emploi. D’où l’idée de la SNCF de profiter des intenses négociations qui s’ouvrent cet automne avec les organisations syndicales pour remettre à plat son socle social. D’une part pour devenir une entreprise plus productive, d’autre part pour être plus attractive et fidéliser ses salariés.

« Nous nous battrons avec nos concurrents pour recruter les meilleurs candidats», résume ainsi Guillaume Pepy. « Nous partons du principe que le pacte social est un investissement. Le pire serait de former des salariés pour les voir ensuite partir à la concurrence », ajoute le Président du directoire de la SNCF.

La loi, qui a prévu la fin des embauches au statut à partir du 1er janvier prochain, oblige la SNCF à revoir l’ensemble des règles régissant ses contractuels (aujourd’hui 20 % de ses effectifs).
La SNCF planche donc depuis de longs mois sur son nouveau pacte social. Trois tables rondes inaugurales sont prévues avec les organisations syndicales, une le 4 septembre sur l’unité sociale du groupe et l’organisation du dialogue social, une le 5 septembre sur le contrat de travail et une le 11 septembre sur l’emploi et la carrière, qui donneront le coup d’envoi aux négociations. Passage en revue des grands chapitres à venir.

Plus que cent métiers au lieu de 500

La nouvelle convention collective du ferroviaire, actuellement négociée au sein de l’UTP (Union des transports publics), va s’appliquer à la SNCF. Parmi les sujets les plus avancés, la classification qui définit les emplois va permettre à l’entreprise ferroviaire une vaste simplification : au lieu des 500 emplois types et des 250 grades actuels, symbole de la complexité et de l’émiettement des fonctions à la SNCF, il n’y aura plus qu’une centaine d’emplois recensés. Ces définitions plus larges des métiers vont simplifier la grille salariale et les évolutions de carrière tout en facilitant la poly-compétence, estime la SNCF qui plaide de longue date pour cette évolution. Ces classifications s’appliqueront à tous, contractuels et statutaires.

Liberté salariale

C’est aussi au niveau de la branche que seront définies les rémunérations minimales. Du moins pour les nouveaux embauchés. Là encore, la SNCF va sortir d’un carcan qui lui impose un salaire d’embauche fixe, puis une augmentation quasiment automatique (+ 7 % tous les 3 ans selon la direction) et l’interdiction de recruter par exemple un tractionnaire qui aurait plus que le BAC.

Pour la SNCF, c’est l’occasion de retrouver la liberté d’embauche, de se mettre au niveau des salaires du marché, et de voir comment faire évoluer sa politique salariale. En clair, les rémunérations à l’embauches devraient être plus élevées à l’avenir, mais ensuite augmenter plus progressivement au cours de la carrière et non plus de manière mécanique. Ce qui permettrait à l’entreprise de contenir ses coûts salariaux sur le long terme.

La politique salariale pourrait être déclinée au cas par cas, de façon décentralisée au niveau de chacune des cinq sociétés qui verront le jour à partir du 1er janvier prochain (voir encadré Des négociations décentralisées… ou pas ci-dessous). « Celles-ci auront une marge de manœuvre à l’intérieur d’une fourchette. Nous aurons à juger de la cohérence avec l’ensemble », indique Benjamin Raigneau, le directeur des ressources humaines du Groupe Public Ferroviaire (GPF qui va devenir Groupe Public Unifié ou GPU en janvier).

L’entreprise n’exclut pas de proposer des salaires plus élevés dans les régions où elle constate des tensions et où le coût de la vie est plus élevé qu’ailleurs, comme c’est le cas en Ile-de-France ou dans des régions transfrontalières.

Les salaires des statutaires ne sont pas concernés. Du moins dans un premier temps. Mais l’entreprise espère à terme pouvoir « moderniser » aussi la politique salariale des statutaires.

Mobilité intersociétés

70 % des agents de maîtrise sont issus de la promotion interne, ainsi que 60 % des cadres, rappelle la direction qui souhaite maintenir cette mobilité sociale. La SNCF veut aussi favoriser la mobilité inter-sociétés, qui peut lui permettre de garder au sein du groupe des salariés déjà formés. D’où l’idée d’établir des contrats de travail société par société mais valables pour toutes les sociétés du groupe, avec maintien de l’ancienneté et autres droits.

Des clauses seront également prévus dans les contrats pour limiter les départs vers l’extérieur, comme les clauses de non concurrence et de dédit de formation.

Une complémentaire santé pour tous

Les différences de traitement entre contractuels et statutaires se retrouvant aussi dans le domaine de la santé, la SNCF a décidé de mettre ce sujet sur la table des négociations. Aujourd’hui, les cheminots au statut disposent d’un accès privilégié aux soins par le biais de consultations de médecins généralistes SNCF mais ne bénéficient pas d’une complémentaire santé financée par l’entreprise. Inversement, les contractuels ont une complémentaire financée, mais pas le droit à la médecine SNCF. L’entreprise suggère de cofinancer une complémentaire pour tous et d’ouvrir l’accès aux soins SNCF aux contractuels. Le groupe envisage par ailleurs de mettre progressivement la pédale douce sur la médecine généraliste et de s’ouvrir aux spécialistes. « L’idée est de maintenir un accès privilégié à la médecine spécialisée pour tous. On trouve que c’est une plus-value pour la SNCF », souligne Guillaume Pepy.

Autant de projets qui, s’ils aboutissent à l’issue des négociations, devraient peser dans le budget. La complémentaire santé coûterait par exemple quelque 75 millions d’euros annuels à l’entreprise. Mais la direction en attend des contreparties : attirer les talents, favoriser la polyvalence et gagner en productivité.

Autre risque : la mise sur pied d’une entreprise à deux vitesses. « Si les statutaires demandent des adaptations, nous serons prêts à négocier avec les organisations syndicales », indique la direction qui rappelle avoir toujours pensé qu’il faudrait envisager de « moderniser » le statut des cheminots. « Mais attendons d’abord de construire le système des contractuels. Nous verrons bien sur quels sujets nous aurons des demandes de la part des statutaires », précise Guillaume Pepy. La « modernisation » du statut n’est pas envisagé avant 2021 et 2022.

Marie-Hélène Poingt


Des négociations décentralisées.. ou pas

Aujourd’hui, toutes les négociations sociales se font au niveau du groupe sauf pour l’intéressement. Demain, il faudra décider de ce qu’on veut négocier dans chacune des cinq société qui naîtront en 2020 (*une société de tête, une société Réseau, une société Gares & Connexions, une Voyageurs et une société Fret) et au niveau du groupe.

Le principe directeur devrait être le suivant : lorsque les sujets seront corrélés à l’organisation des métiers et du business, ils devront être discutés de manière décentralisée. Ce sera le cas par exemple pour les négociations salariales ou la formation. Mais le RSE ou la politique logement, la protection sociale ou la mobilité intersociétés devraient être discutés au niveau du groupe.


L’atelier de transformation sociale veille

Alors que l’entreprise est en pleine phase de transformation sociale, et après plusieurs alertes d’organisations syndicales sur les risques psycho-sociaux au travail, la SNCF a créé au printemps dernier un observatoire de la transformation baptisé les Ateliers de la transformation qui « ont carte blanche dans l’entreprise », affirme Guillaume Pepy.

Cette structure, indépendante, est dirigée par Bruno Mettling, auteur d’un rapport sur la transformation numérique et la vie au travail, Carole Couvert, ex-présidente de la CFE-CGC, Bénédicte Tilloy et Olivier Marembaud, ces deux derniers étant des anciens de la SNCF .

Après un premier exposé effectué le 4 juillet, la direction a décidé de rendre public leurs recommandations et de les suivre. Le montant pour « l’accompagnement en compétences » est évalué à un milliard d’euros sur trois ans.

Ewa

Pourquoi les voitures-bars ont fait la grève du casse-croûte

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Début juillet, il vous est peut-être arrivé cette mésaventure : un voyage en train, affamé. Suite à un mouvement social du personnel de restauration, le comptoir des voitures bar des TGV InOui, Eurostar, Thalys, Lyria et des Intercités étaient désespérément vides. En cause, le rattachement envisagé des salariés de Newrest, de sa filiale Facilit’Rail, du groupe Cremonini ou encore LSG à la convention collective de la restauration collective. Une mesure qui a mis le feu aux poudres.

Aujourd’hui, ces personnels dépendent d’un cadre social spécifique – la convention collective de la restauration ferroviaire – amené à disparaitre avec la restructuration des branches professionnelles du rail suite à la réforme ferroviaire de juin 2018. Pourtant, à cette date, et au sortir de trois mois de grève perlée, la ministre des Transports Elisabeth Borne avait pris l’engagement que tous les sujets liés à la restructuration des branches ne seraient examinés qu’après la construction de la nouvelle convention collective nationale (CCN) du transport ferroviaire. Autant dire, qu’on avait le temps de s’avaler quelques sandwichs…

La pomme de discorde

Patatras, un décret publié au Journal officiel du 7 avril envisage de fusionner les agents de restauration de bord à ceux de la restauration collective. Une mesure que les syndicats CGT, SUD-Rail, CFDT et FO de la restauration ferroviaire ont du mal à digérer. Depuis le printemps et jusqu’à début juillet, ils ont appelé le personnel des entreprises du secteur à faire grève ponctuellement pour obtenir leur rattachement à la CCN du transport ferroviaire. « L’activité de la restauration ferroviaire est adossée à celle des trains et suit le même parcours que les agents roulants de la SNCF (…) avec des horaires décalés, une activité sept jours sur sept (…) un temps de travail journalier dérogatoire permettant des journées de 18 heures d’amplitude », etc., soulignent les syndicats dans un communiqué commun.

« La seule convention adaptée à notre activité est la CCN de la branche ferroviaire, c’est la seule qui peut prendre en compte les spécificités de notre profession, reprend Laurent Barroo, salarié de Momentum (Cremonini), prestataire restauration d’Eurostar. Nous sommes formés à la sécurité dans le tunnel sous le Manche, nous faisons du contrôle de billets à l’entrée du train en 1ère classe, etc. , avance pour exemple le cégétiste. Aujourd’hui, avec 20 ans d’ancienneté, je bénéficie d’une prime de 20 % sur mon salaire de base, avec la convention de la restauration collective, elle n’est que de 4 % et je n’aurais pas de 13e mois », ajoute Laurent Borloo. Sa crainte, le risque de dumping social « Les contrats de restauration ferroviaire font l’objet d’appels d’offres, la bataille entre les concurrents va se jouer sur le dos des salariés », prédit le syndicaliste.

Même discours du côté des organisations représentatives de la branche ferroviaire (CGT, Unsa, SUD-Rail, CFDT et FO) : « L’activité restauration ferroviaire est indissociable de l’activité ferroviaire tant économiquement que socialement, tributaire intégralement des plans de circulation des trains et soumise à un plan de prévention sécurité ».

Pas du goût de l’UTP

L’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), ne goûte pas à cette idée : « Certes, en termes d’organisation du travail, le monde ferroviaire est proche de celui des personnels de restauration à bord des trains, mais malgré tout, ce ne sont pas du tout les mêmes missions et les mêmes métiers », estime Soazic Sarazain, directrice des affaires sociales de l’organisation patronale.

Derrière leur comptoir des voitures-bars, les serveurs sont ballotés. Ni cheminots, ni restaurateurs, qui sont-ils ? « Il suffirait de rédiger une annexe à la convention collective de la restauration (celles des hôtels-cafés-restaurants, de la restauration rapide ou collective), pour prendre en compte la spécificité de leur métier, comme c’est le cas par exemple dans le transport routier avec les ambulanciers ou les déménageurs dont le métier n’a rien à voir avec celui des conducteurs de poids lourds et sont pourtant dans la même convention collective« , suggère Soazic Sarazain.

Renvoyé aux calendes grecques

Mi-juillet, la Direction générale du travail a finalement reçu les organisations syndicales et décidé de renvoyer le sujet à l’issue de la CCN de la branche ferroviaire. « Si cela est confirmé, c’est beaucoup plus sage; la CCN est une ossature, rien ne sert de précipiter les choses », réagit l’UTP qui milite depuis le départ pour le renvoi de la question du cadre social des agents de restauration de bord après la signature de la convention collective ferroviaire dont il reste encore à négocier des chapitres cruciaux. Notamment la définition des métiers ou le dossier de la prévoyance. Autant dire que ça prendra plusieurs années. On ne devrait donc plus crier famine dans les trains pendant un petit moment.

Nathalie Arensonas

Ewa

« C’est aux concurrents de s’adapter aux garanties sociales des salariés de la RATP »

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Zivka Park, députée LREM du Val-d’Oise, est corapporteure de la loi Mobilités (LOM). Elle s’occupe notamment de l’article 39 du projet de loi, dossier explosif sur les conditions sociales de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus franciliens. Les amendements du gouvernement, soufflés par la RATP, sont passés comme une lettre à la poste au Sénat, l’Assemblée nationale a-t-elle pris la mesure des enjeux pour les futurs concurrents ? Interview.

 

Ville, Rail & Transports. Avec l’ouverture prochaine à la concurrence des transports par bus en Ile-de-France, quelle position allez-vous défendre pour le transfert des personnels de la RATP ?

Zivka Park. Il est essentiel de défendre le transfert automatique du personnel RATP afin de préserver la continuité du service public. Les lignes de bus RATP basculeront à la même date, l’ensemble des machinistes et personnel de maintenance seront impactés par ce transfert, sans période transitoire permettant de les affecter à des activités non ouvertes à la concurrence. Ils exercent des métiers polyvalents, transversaux, ne pas les transférer constituerait une vraie difficulté pour la continuité du service. Enfin, la RATP n’a pas la même capacité que la SNCF pour repositionner ses salariés qui refuseraient leur transfert : 19 000 salariés, conducteurs et en charge de l’entretien des bus, sont concernés sur les 45 000 salariés du groupe. Cette situation rend peu envisageable la possibilité d’absorber les refus de transfert.

 

VRT. S’ils refusent d’être transférés, qui paiera leur licenciement ?

Z. P. Actuellement, telle que la disposition est inscrite dans la loi, les salariés ont le droit de refuser leur transfert et de percevoir des indemnités de licenciements payées par le repreneur. Et dans la foulée, ils auront le droit de se faire réembaucher par une entreprise de transport, d’autant que le secteur connaît une pénurie de conducteurs. Nous sommes encore en train de travailler sur des amendements pour éviter ce biais-là, nous réfléchissons à des solutions pour mettre en place un projet le plus juste possible vis-à-vis de toutes les parties prenantes : les salariés, les nouveaux entrants et la RATP. J’ai rendez-vous avec les services d’Elisabeth Borne sur ce sujet début mai, je suis en train de mûrir des propositions. Nous avons encore trois semaines devant nous pour y travailler avant le débat en commission le 14 mai, puis en séance.

 

VRT. Ne doit-on pas accorder le même transfert automatique aux conducteurs du réseau Optile ?

Z. P. Les conducteurs de bus de la petite couronne et de la grande couronne n’ont pas les mêmes conditions de travail que ceux de la RATP. Cela fait encore partie des négociations et des points qui restent à préciser dans la loi, je viens de terminer les auditions des parties prenantes, et j’ai bien entendu le point de vue des uns et des autres. Je veux faire ce qu’il y a de mieux pour tous les salariés, et en particulier pour ceux qui vont être soumis à la concurrence et qui avaient jusqu’à présent le droit à des dispositions particulières.

 

VRT. Le gouvernement va très loin dans les garanties apportées aux salariés de la RATP en cas d’alternance d’opérateur, le sac à dos social va peser lourd pour les nouveaux entrants : cela ne risque-t-il pas de constituer une barrière à l’entrée sur ce nouveau marché ?

Z. P. Il y a cinq fois plus de voyages réalisés en bus à Paris dans la petite couronne que partout ailleurs en France, l’existence d’un sac à dos social est tout à fait légitime : c’est aux nouveaux entrants de s’adapter, et pas l’inverse. Le Parlement a vocation à protéger les salariés avant de protéger l’entreprise. Les conditions d’exercice du métier des conducteurs de bus de la RATP (congestion, vitesse commerciale lente, stress, insécurité) ont des répercussions sur les salariés. Face à ces contraintes, il est important d’avoir un cadre social de haut niveau. C’est une contrainte supplémentaire pour le repreneur mais nous devons maintenir le sac à dos social. A mon sens, il n’y a pas de débat sur ce sujet.

 

VRT. Les futurs concurrents de la Régie sont inquiets, cela pourrait même les dissuader de se lancer dans la bataille concurrentielle.

Z. P. C’est pour cela qu’il faut peser tous les éléments pour être en capacité d’apporter le plus juste des équilibres dans le processus d’ouverture à la concurrence.

 

VRT. Les prestations de sûreté dans les bus et le métro sont assurées par le GPSR, un service interne de la RATP. Dans quelles conditions les nouveaux entrants vont-ils devoir acheter ces prestations ?

Z. P. S’il y a des concurrents, la RATP gardera son monopole sur le GPSR, c’est ce que dit l’article 33 de la LOM pour les nouvelles lignes du Grand Paris Express par exemple. Les agents du GPSR sont formés, armés, assermentés, je pense qu’il est essentiel qu’ils gardent cette fonction régalienne, ils ont la connaissance du réseau que les nouveaux entrants n’ont pas. La RATP produira un document de référence tarifé pour ses prestations et les tarifs seront validés par le régulateur, l’Arafer, qui émettra un avis contraignant.

Propos recueillis par Nathalie Arensonas

Ewa

IBM, la SNCF et le lanceur d’alerte, une affaire qui n’en finit plus

Denis Breteau, 53 ans, est sans doute le dernier cheminot licencié de 2018, « radié des cadres » (l’équivalent du licenciement pour faute dans le secteur public), après 19 ans dans l’entreprise dont 14 au service des achats. Le 26 décembre 2018, l’ingénieur de e.SNCF, direction numérique logée à l’Epic de tête SNCF, recevait sa lettre de radiation signée de Benoit Tiers, directeur général de e.SNCF. Assortie d’une notification de sanction. Raison officielle du licenciement, « son refus répété d’accepter les postes proposés par sa hiérarchie, depuis sa mutation des achats vers e.SNCF ». En réalité, les relations étaient très tendues depuis 2010 entre l’ex-acheteur de la SNCF et sa hiérarchie, depuis qu’il avait alerté, puis dénoncé, ses supérieurs sur la manière dont étaient passés certains contrats informatiques.

« Denis Breteau avait quitté en avril 2016 la direction des achats contre laquelle il avait porté des accusations de harcèlement, pour être rattaché aux services informatiques (…) Responsable d’un projet de développement d’une application destinée à la gestion RH, il a bénéficié à l’occasion de cette affectation d’une promotion (…) Il a toujours refusé de s’impliquer dans ce processus de reclassement », indique la SNCF que nous avons interrogée. Denis Breteau, lui, a vécu les choses très différemment : « J’ai été nommé responsable d’une application de gestion des contrats d’intérim, « BAPS », abandonnée trois mois après mon arrivée. Je n’avais plus rien à faire, j’étais au placard, on brisait ma carrière ».

Renvoi d’ascenseur à IBM ?

A partir de juillet 2017, il n’avait plus aucune mission, à tel point qu’il restait chez lui. La direction l’oriente alors à l’Espace initiatives mobilité (EIM), cellule de reclassement interne. « Un Pôle Emploi interne à la SNCF, un mouroir !, selon Jean-René Delepine, du syndicat Sud Rail, membre du conseil d’administration de SNCF Réseau et défenseur de Denis Breteau. Il y a des milliers de cheminots à l’EIM, des pauvres hères qui ne sont plus employables ! », ajoute le syndicaliste. « Entre juillet 2017 et août 2018, quatre propositions de postes ont été faites à M. Breteau : deux sur Lyon, deux sur Paris avec des possibilités de télétravail (il habite Valence, NDLR). Il a refusé toutes ces propositions », indique un porte-parole de l’entreprise dans une réponse écrite à nos questions. « A Paris, on me proposait de m’occuper de la mise en cohérence de la politique RH, alors que je suis ingénieur informaticien. Quant aux deux postes à Lyon, ils étaient à la direction des achats, sous les ordres de ceux dont j’avais dénoncés les agissements dans l’affaire IBM, il y avait risque de harcèlement« , rétorque Denis Breteau. Ce que SNCF conteste.

L’affaire IBM ? Selon l’ancien acheteur, père de cinq enfants, il paierait le fait d’avoir dénoncé certaines passations de contrats ou des appels d’offres qu’il jugeait biaisés, car « saucissonnés », et dont aurait bénéficié le groupe informatique IBM. C’est à ce moment là que les ennuis commencent pour Denis Breteau. Une affaire complexe qui remonte à 2010, et pour laquelle la direction de la SNCF dément tout lien direct avec le licenciement de son agent. En résumé, la SNCF réfute toute volonté de représailles, et conteste les faits allégués.

Rappel des faits. En 2010, la SNCF avait créé une filiale, Stelsia, qui passait certains contrats de prestations informatiques de gré à gré avec IBM. La SNCF est pourtant soumise aux procédures de la commande publique qui l’oblige à organiser des appels d’offres, et interdit le « saucissonnage », qui consiste à ficeler des contrats d’un montant inférieur à 1,5 million d’euros, seuil au-delà duquel tout marché doit faire l’objet d’un appel d’offres. « Ces pratiques existaient, quant à Stelsia, il s’agissait d’une société écran pour détourner les règles européennes des marchés publics », indique Denis Breteau. « L’ensemble des marchés avec IBM, qui remontent à plus de dix ans, est en règle. Tant les contrôles indépendants, externe (mission de contrôle de Bercy dirigée à l’époque par Noël de Saint-Pulgent, NDLR) et interne, que la Commission des marchés de SNCF n’ont relevé aucune irrégularité », se défend la SNCF pour qui Stelsia était une « petite » filiale (558 M€ de chiffre d’affaires en 2016, source Infogreffe), dissoute en 2017 et « qui ne représentait qu’une part infime des achats de SNCF » (14 milliards d’euros, dont environ un milliard pour les produits et services informatiques, selon une source proche du dossier). Denis Breteau avait porté plainte contre X en 2012 devant le Parquet de Lyon pour infraction financière et pour harcèlement. Classement sans suite, les juges estiment que M. Breteau n’avait pas d’intérêt personnel à agir.

Sans suite, c’est aussi comme cela que ses supérieurs hiérarchiques lui auraient demandé de classer un certain nombre d’appels d’offres informatiques, « pour ensuite passer des marchés de gré à gré avec IBM pour du matériel ou des services dont on n’avait pas forcément besoin ou que l’on payait deux à trois fois plus cher que celui qui aurait été obtenu par appel d’offres », assure le lanceur d’alerte. Un renvoi d’ascenseur suite à l’énorme marché logistique d’un milliard d’euros lancé par IBM et remporté en 2008 par Geodis ? C’est ce que confirment certaines sources syndicales, c’est la conviction de Denis Breteau.

Lanceur d’alerte ou pas ?

« Toute entreprise, même publique, prend quelques libertés pour les achats en urgence, mais dans le cas d’IBM, il s’agissait de malversations qui s’apparentent à de la corruption », estime t-il. J’ai alerté très tôt mes supérieurs hiérarchiques qui m’ont répondu que tout était légal. A mon sens, il s’agissait de malversations moralement inacceptables pour une entreprise publique, j’ai décidé de dénoncer ces pratiques », raconte le lanceur d’alerte. Un statut reconnu et protégé depuis la loi Sapin II de décembre 2016 qu’il ne se voit pas accordé par sa direction : « Denis Breteau n’est aucunement un lanceur d’alerte au sens de la loi (1) car il ne correspond pas à sa définition, et les faits dénoncés n’ont reçu à aucun moment le moindre commencement de preuve », indique la SNCF pour qui « il est indispensable de séparer clairement les deux sujets : l’instruction en cours du parquet financier (qui s’est saisi du dossier SNCF-IBM en 2017 NDLR)) et l’affaire Denis Breteau ».

Lanceur d’alerte ou pas, les salariés du secteur public ou privé peuvent pourtant dénoncer tout «fait de corruption» sans risquer de perdre leur poste, selon le Code du travail.

A l’époque, la seule à réagir, c’est la Commission européenne : saisie par Denis Breteau en 2015, elle met en demeure la SNCF de mettre fin fin aux activités de Stelsia , estimant qu »i s’agit « d’une construction artificielle (…) contraire au droit européen de la commande publique ». Sans appel ! SNCF considère « qu’il s’agit d’une divergence d’interprétation du droit des marchés publics : Stelsia, en tant que filiale (privée, NDLR), était-elle soumise ou non à la réglementation européenne ? Cette question juridique n’a jamais été résolue et la Commission européenne n’a pas ouvert de procédure contentieuse sur ce point », nous répond la SNCF. En effet, le recours de Bruxelles s’est éteint puisqu’en 2017, Florence Parly, alors directrice générale stratégies et finances de SNCF (aujourd’hui ministre des Armées) engage la dissolution de la filiale incriminée. Sommée par le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, de mettre de l’ordre dans les procédures d’achats, Florence Parly règle la question, mais le problème dénoncé par le lanceur d’alerte a bel et existé. Depuis 2017, tous les achats du groupe ferroviaire public sont revenus dans le giron de la direction des achats, mutualisée aux trois entités : SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau.

Echec de la rupture conventionnelle

Une autre zone d’ombre plane sur le différend qui oppose le lanceur d’alerte à son entreprise et lui a coûté son poste : une négociation en vue d’une rupture conventionnelle aurait été tentée en 2017 pour finalement échouer, les deux parties ne réussissant pas à se mettre d’accord sur le montant du chèque de départ. Interrogée, la SNCF n’a pas répondu à cette question précise. De son côté, Denis Breteau affirme que début 2017,  cherchant à mettre fin à ce conflit interminable (changements d’affectation, refus de postes, mises à pieds), le DRH de e.SNCF, Stéphane Feriaut, lui aurait proposé un deal de départ : dix années de salaires. « La proposition était moralement acceptable : je ne perdais ni ne gagnait d’argent par rapport aux années qui me séparaient de l’âge de la retraite (j’avais alors 52 ans), on ne pouvait donc pas m’accuser d’avoir lancé l’alerte pour m’enrichir », analyse Denis Breteau. Des discussions en vue de ce départ négocié se seraient alors engagées avec Marie Savinas, DRH de l’Epic de tête SNCF. Elle aurait proposé 350 000 euros, D. Breteau aurait surenchéri à 450 000 euros, « la somme que j’aurais touché à la SNCF jusqu’à mon départ à la retraite », calcule-t-il. La DRH aurait jugé la demande « démesurée », et aurait finalement proposé 250 000 euros. Fin de la négociation, et un doute qui s’installe : Denis Breteau est-il un lanceur d’alerte désintéressé ? Ou a-t-il été piégé par sa direction ?

Il sera finalement licencié fin 2018 et a saisi début 2019 les Prud’hommes en référé, pour demander l’annulation de la sanction et sa réintégration à la SNCF. « A l’évidence, ce licenciement est l’aboutissement du harcèlement discriminatoire engagé contre lui, pour son rôle de lanceur d’alerte relative à des pratiques contraires aux règles de la commande publique », jugent Julien Troccaz, Eric Santinelli et Jean-René Delepine, représentants Sud Rail aux conseils de surveillance et d’administration des trois entités du groupe SNCF, dans un courrier adressé mi-janvier aux dirigeants,  Frédéric Saint-Geours, Guillaume Pepy et Patrick Jeantet.

Le dossier des contrats IBM/SNCF est sur le bureau du Parquet national financier (PNF) qui s’est saisi de l’affaire en février 2017 et a ouvert une enquête préliminaire. « J’ai transmis les pièces apportant les preuves de mes allégations », expose le lanceur d’alerte qui a de nouveau été entendu début 2019, ainsi qu’un autre témoin, par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, suite à la parution d’un article de nos confrères du Parisien. Le bureau français de Transparency international s’intéresse aussi au dossier et Anticor a récemment envoyé un courrier au chef de la Mission de contrôle économique et financier des transports, rattachée à Bercy. Sans réponse, elle compte se constituer partie civile. L’affaire SNCF-IBM est loin d’être terminée. La lanceur d’alerte, lui, est au chômage.

Nathalie Arensonas

(1) la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II,  apporte une définition claire : «Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.

 

Ewa

Le temps de conduite des chauffeurs VTC en question

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Onze heures par jour (comme pour les taxis parisiens), 60 heures par semaine, voici les temps de conduite maximum des voitures de transport avec chauffeur (VTC) préconisés dans le rapport remis le 31 janvier 2019 au gouvernement, par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).

Ces mesures concerneraient Paris et 80 communes environnantes. Objectif, éviter les accidents et les effets sur la santé induits par des durées de travail excessives. Les données confidentielles des assurances sur les accidents de la route font ressortir une « probable » sursinistralité des chauffeurs de VTC, précisent les auteurs du rapport.

Ils recommandent aussi un repos hebdomadaire minimum de 24 heures consécutives, quel que soit le jour de la semaine pour tous les chauffeurs VTC en France. Difficile d’en connaître le nombre puisqu’ils travaillent pour différentes plateformes numériques (Uber, Chauffeur privé, LeCab, etc.), mais dans l’exercice de transparence auquel s’est récemment livré Uber, on apprend que 28 000 conducteurs travaillent à partir de la plateforme du mastodonte du secteur. Pour mémoire, le 10 janvier 2019, la cour d’appel de Paris a estimé qu’un plaignant était lié à Uber par un « contrat de travail », ouvrant la voie à une requalification en masse, une décision qui fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Le temps de conduite est défini par le temps d’approche (temps pour aller chercher le client une fois la commande acceptée), la course avec le passager et le forfait (temps de repositionnement vers un stationnement). Comment comptabiliser le temps de travail des VTC, à 95 % des indépendants « embauchés » par ces plateformes numériques ? En « obligeant ces centrales de réservation à suivre le temps de conduite de chaque chauffeur et à adresser les données à un organisme totalisateur » et en lançant une étude pour la mise en place d’un contrôle électronique embarqué, préconise le rapport.

Tarif minimum des VTC ?

Selon leurs auteurs, il « n’est pas possible juridiquement d’instaurer un tarif minimum des VTC [une revendication des intéressés qui peuvent, au mieux, refuser la course s’ils contestent le tarif imposé, NDLR] ». Ils recommandent de lancer « un processus de concertation, sous l’égide de l’Etat, sur le prix décent de la prestation des chauffeurs » et proposent la création d’un fonds de soutien aux chauffeurs VTC en difficulté, qui serait financé par les centrales de réservation.

Un registre officiel de ces centrales pourrait être mis en place avec un « net relèvement des sanctions » en cas de non-respect de leurs obligations. Ils préconisent également que ces centrales soient soumises à un « régime d’autorisation préalable ».

En cas d’échec, le gouvernement pourrait imposer par la loi un tarif minimum, comme le fait la ville de New York. Les courses à Manhattan ont récemment augmenté de 2,50 dollars pour les taxis jaunes et de 2,75 dollars pour les VTC. Et les sociétés de VTC doivent en plus verser un salaire minimum à leurs chauffeurs.

Sur la base du rapport, « le gouvernement engagera une concertation sur toutes les questions relatives à la régulation du secteur », précise le communiqué des ministères du Travail et des Transports.

Le secteur des VTC a connu pas moins de trois lois en moins de dix ans (loi Novelli en 2009, loi Thévenoud en 2014, loi Grandguillaume en 2016) sans réussir à réguler l’irruption des plateformes numériques, comme dans d’autres secteurs de l’économie. La loi d’orientation des mobilités (LOM) qui sera devant le Sénat à partir de mars est chargée de transformer l’essai pour accompagner le développement du secteur et la régulation des plateformes (gestion, analyse, protection des données). Restera la question du temps de travail.

Nathalie Arensonas

 


1 617 euros par mois pour un chauffeur Uber

D’après les chiffres fournis par la plateforme fin janvier 2019, une fois la commission de 25 % d’Uber déduite du prix acquitté par le client, un chauffeur perçoit un revenu horaire brut médian de 24,81 euros. Il faut ensuite déduire les charges de location ou d’amortissement du véhicule, le carburant, les taxes, l’entretien et les charges sociales. Le revenu net horaire médian est de 9,15 euros de l’heure.

Sur l’hypothèse retenue par Uber d’un temps de connexion à l’application de 45,3 heures par semaine (temps de travail moyen des non-salariés) et 5,2 semaines de congés (moyenne constatée chez les non-salariés), le VTCiste aboutit à un revenu net mensuel de 1 617 euros. Uber n’a toutefois pas communiqué de chiffres moyens, correspondent-ils à celui des chauffeurs VTC qui travaillent en réalité plus longtemps, puisqu’ils sont souvent multiplateformes ?

N. A.

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Ewa

Réforme ferroviaire : l’avertissement de la CGT

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Alors que le rapport Duron sur les infrastructures est attendu le 31 janvier et celui de Jean-Cyril Spinetta sur la réforme du modèle ferroviaire et l’ouverture à la concurrence est prévu la semaine suivante,  Laurent Brun, secrétaire général de la Fédération CGT des Cheminots, a expliqué à Ville, Rail & Transports quelles sont les positions de sa fédération sur ces thèmes.

 

Ville, Rail & Transports. Vous avez rencontré, la semaine dernière, Jean-Cyril Spinetta qui prépare un rapport sur l’ouverture à la concurrence et des propositions sur un nouveau modèle pour le ferroviaire. Qu’en est-il ressorti ?

Laurent Brun. C’était la deuxième rencontre (la première avait eu lieu en décembre avec la fédération cheminots) et celle-ci concernait la confédération.

Le but de ces réunions est surtout d’échanger. Ce qui nous inquiète, c’est le risque d’une politique antiferroviaire du gouvernement. Il y a une volonté de passer d’une politique de volume à une politique de marge, que ce soit dans le cadre du projet d’ouverture à la concurrence ou sur la définition d’un périmètre pertinent pour le ferroviaire, ce qui sous-entend que le train ne serait pertinent que dans les zones denses.

Le travail du conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron, va dans le même sens puisqu’il considère que le routier est le mode ultime et que, compte tenu de la rareté de l’argent disponible, il faut investir avant tout dans le mode routier et, quand il s’agit du ferroviaire, uniquement sur les grands axes. Jean-Cyril Spinetta nous a d’ailleurs avoué qu’il pensait que le mode ferroviaire était en déclin. Nous lui avons au contraire montré qu’il avait progressé de 7 à 10 % en dix ans. La décentralisation des TER et les énormes investissements qui ont été consacrés aux infrastructures, notamment les nouvelles LGV, ont eu en effet des effets très positifs sur l’attractivité du ferroviaire.

Cette petite musique sur le déclin du ferroviaire est inquiétante. Mais malheureusement, Jean-Cyril Spinetta n’a pas beaucoup de marges de manœuvre : la ministre des Transports lui a fixé une feuille de route très cadrée en lui demandant de plancher sur le modèle de pertinence du ferroviaire, sur le modèle économique sans hausse de la contribution publique et sur l’ouverture à la concurrence.

VR&T. Vous rejetez le principe d’une ouverture à la concurrence ?

L. B. Au-delà de notre opposition de principe à la concurrence – car nous ne pensons pas que cela permettra d’améliorer le service –, nous pointons les risques.

Le réseau est déjà dans un état catastrophique. Il va falloir entre 15 et 20 ans de travaux intensifs pour le remettre à niveau. En plus de cela, on a complexifié le système. On voit bien que lorsque des incidents se produisent (je pense par exemple à la panne de Montparnasse), l’impact sur les usagers est dramatique. Si on ajoute des intervenants supplémentaires avec lesquels il faudra se coordonner, la complexité sera encore plus grande.

En interne, on a désorganisé les services pour faciliter l’ouverture à la concurrence et pouvoir demain répondre à des appels d’offres. Or, nous considérons qu’il faut renforcer le service public pour répondre aux besoins des usagers, qui demandent avant tout l’amélioration de la qualité de service.

Cette année, on va supprimer plus de 2 050 emplois à SNCF Mobilités. On en avait supprimé autant l’année dernière. Ces suppressions de postes répondent à l’objectif de l’Etat d’un maintien des marges opérationnelles.

Côté SNCF Réseau, alors qu’il était envisagé la création de l’équivalent de 800 emplois pleins, le budget a d’abord prévu la création de 150 emplois avant que la tutelle intervienne pour décider que ce serait zéro. Cela ne veut pas dire que SNCF Réseau n’embauchera pas mais que les charges de travail telles qu’elles avaient été évaluées ne pourront pas être tenues…

VR&T. Quelle est votre position sur la dette ?

L. B. Jean-Cyril Spinetta ne nous a pas fait part de ses intentions, mais à chaque fois, on nous pose la même question : seriez-vous prêts à faire des efforts si la dette est reprise ? Cela n’a rien à voir avec les cheminots car l’endettement est lié essentiellement aux réalisations infrastructures, tout particulièrement les LGV. Nous souhaitons un vrai audit qui montrera d’où vient l’endettement.

Sur la cinquantaine de milliards d’euros de dette (qui augmente chaque année de deux à trois milliards) deux milliards sont financés par l’Etat et deux milliards par des excédents de la SNCF, autrement dit par le travail et les efforts des cheminots. Les cheminots contribuent donc à la même hauteur que l’Etat. De même le régime spécial des cheminots n’a rien à voir avec la dette.

VR&T. Avez-vous également rencontré Philippe Duron ?

L. B. Non, mais nous avons lu son prérapport. C’est catastrophique ! C’est un véritable lobbying routier. Il propose d’augmenter chaque année de 200 à 300 millions d’euros les investissements sur le réseau routier pour qu’il ne se retrouve pas dans la situation du ferroviaire.

On comprend aussi qu’il suggère d’abandonner les petites lignes ferroviaires avec possibilité de les transférer aux régions.

L’idée selon laquelle supprimer un train n’aurait pas d’effet sur la consistance du réseau est totalement fausse. Quand on supprime une ligne, cela a des répercussions énormes sur une grande partie des voyageurs qui se reportent sur leur voiture.

On entend la même petite musique partout : le trafic est faible sur telle ou telle ligne, ou encore on n’a compté qu’un seul passager dans tel train ou tel train. Mais on ne se pose pas la question de savoir pourquoi. La seule logique est comptable : il faut faire des économies.

VR&T. Etes-vous prêts à vous mobiliser contre ces projets ?

L. B. Nous prévoyons une manifestation nationale le 8 février. Notre slogan : « La SNCF, certains veulent la descendre, nous, on veut la défendre ! »

C’est une manifestation purement SNCF mais elle sera probablement rejointe par d’autres rassemblements comme celui prévu par EDF par exemple.

VR&T. Il n’y a pas d’union syndicale sur le sujet ?

L. B. C’est un appel de la CGT car nos appréciations sont différentes avec les autres fédérations.

Mais bien sûr, tout le monde peut venir. Nous considérons que les cheminots seront majoritairement de notre côté.

Tout le monde a bien mesuré en interne qu’il y a un mécontentement très fort, même s’il ne s’exprime pas encore. Y compris dans l’encadrement. La direction SNCF évalue régulièrement le risque de décrochage managérial, et pour la première fois cette année, il y a un risque de décrochage.

Les cheminots ont l’impression qu’on leur en veut particulièrement (il suffit de voir la tonalité des médias par exemple). Et en plus, au quotidien, ils voient le résultat final de leur travail qui n’est pas bon, du fait de la désorganisation des services.

Toutefois, nous constatons déjà des évolutions dans le discours des autres organisations syndicales, notamment sur le transfert obligatoire des cheminots en cas de gain d’un contrat par un autre opérateur que la SNCF. L’Unsa et la CFDT par exemple commencent à se dire qu’il vaudrait mieux que le principe du volontariat s’applique.

VR&T. 2018 risque donc d’être socialement très agitée ?

L. B. On s’y prépare. Nous sommes persuadés que nous allons au conflit si le gouvernement maintient ses intentions.

Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt

Ewa

Année record pour l’emploi dans les transports

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S’il est trop tôt pour connaître les chiffres de l’emploi en 2017 dans les transports, on estime que l’année 2016 pourrait être marquée par un record, avec le dépassement du seuil des 700 000 salariés employés dans la branche.

Déjà, en 2016, l’OPTL (Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique) a constaté une très forte croissance des créations d’emplois : +50 % entre 2015 et 2016, avec 19 100 emplois créés l’an dernier. Au total, on compte actuellement 686 100 salariés dans le secteur, en progression de 2,9 % comparé à 2015.

« Tous les secteurs de la branche sont créateurs d’emplois, en particulier le transport sanitaire (+3,8 %), le déménagement (+3,7 % après -1,4 % l’année précédente) et les prestataires logistiques (+3,5 %) », souligne Denis Schirm, le président de l’OPTL, qui a présenté le 10 janvier son rapport annuel. « On peut toutefois noter que du côté du transport routier de voyageurs, la croissance ralentit : les créations d’emplois n’ont augmenté que de 2,4 % après +3,2 % en 2015. Nous ne savons pas expliquer ce ralentissement », ajoute-t-il.

Le secteur compte plus de salariés, mais aussi plus d’indépendants (+9 %). Le développement des livraisons à domicile, lié à l’explosion des achats sur Internet, génère de nouveaux besoins sur le marché de la logistique et favorise l’arrivée de nouveaux acteurs, note l’OPTL. Toutefois, précise l’organisme « sur cette période, le volume des défaillances d’entreprises a été multiplié par 1,4 et 8 fois sur dix, elles ont lieu dans le transport routier de marchandises ».

Mais la grosse ombre à ce tableau tient avant tout aux difficultés à attirer des candidats à l’embauche puisque, malgré l’embellie, 30 000 postes restent à pourvoir. La proportion des entreprises déclarant avoir du mal à recruter s’accroît ainsi de 8 points : elles sont désormais un tiers dans cette situation, et même 53 % dans le secteur routier de voyageurs. « Le transport routier de voyageurs est celui qui rencontre le plus de difficultés à recruter, précise Denis Schirm. Le phénomène n’est pas nouveau, il dure depuis plusieurs années. Du coup, on observe des stratégies d’optimisation : les employeurs essaient d’allonger la durée de travail et de rationaliser les lignes desservies ».

D’où la nécessité de travailler sur l’attractivité du secteur, mais aussi de renforcer les efforts en matière de formation. « On voit bien que les entreprises veulent que leurs salariés soient mieux préparés, note encore Denis Schirm. Elles recourent à des formations diplômantes et qualifiantes. On constate une forte hausse des titres professionnels : +27 %. Les diplômes d’Etat progressent plus lentement. »

Les formations proposées visent aussi les demandeurs d’emploi. Avec parfois des promesses d’embauche à la clé. « Les organismes de formation nous disent qu’ils se mobilisent pour faire face aux besoins », assure Denis Schirm, en citant notamment les deux principaux organismes, l’Aftral et Promotrans.

Un impératif d’autant plus urgent que la population employée dans le secteur vieillit : l’âge moyen tous métiers confondus est de 44 ans. En 2016, plus de la moitié des salariés sont âgés d’au moins 45 ans. En 2006, la moitié avait moins de 40 ans. « La pyramide des âges commence à poser problème dans le secteur. Dans les cinq ans à venir, il faudra remplacer le tiers du personnel », commente Denis Schirm. En 2016, les entreprises ont publié 63 000 offres d’emploi. Cette année, on estime déjà qu’il faudra recruter 45 000 nouveaux conducteurs.

Marie-Hélène Poingt

Ewa

La SNCF est revenue dans le vert en 2016

Après avoir affiché plus de 12 milliards d’euros de pertes en 2015 (mais principalement dues à des dépréciations d’actifs), la SNCF fait son retour dans le vert… class= »western rtejustify » style= »margin-bottom: 0cm; line-height: 150% »>
en enregistrant un résultat net de plus de 567 millions d’euros en 2016. Pourtant, l’année a été difficile, marquée par un rude contexte économique, les grèves, les attentats, les inondations et une crise dans l’acier et les céréales, qui ont plombé l’activité à hauteur de 700 millions d’euros, rappelle la SNCF.

La marge opérationnelle à 4,1 milliards d’euros a reculé du fait de « la baisse de la rentabilité des activités ferroviaires voyageurs ». Pour résister à la concurrence et se mettre au diapason du low cost qui s’est diffusé dans les transports, la SNCF a en effet décidé de maintenir sa politique de petits prix.

Pour rester dans les clous, le groupe ferroviaire affirme avoir réalisé 825 millions d’euros de gains de productivité. Notamment via des économies dans la politique d’achat ou des serrages de vis dans la production. « Grâce à une forte réactivité sur le plan commercial et à une maîtrise exemplaire de nos charges, nous affichons un résultat positif », commente Guillaume Pepy, le président du directoire de SNCF.

Le chiffre d’affaires atteint lui 32,3 milliards d’euros en hausse de 2,8 % (mais en régression de 1,5 % à périmètre et change constants). Le trafic TGV a fortement souffert à l'international : Eurostar recule de 8,9 % et Thalys de 8,2 %. En revanche, le trafic domestique augmente de 1,9 % hors effets des grèves. "Les prévisions 2017 tablent sur un redémarrage de 2,5 à 3 %", assure Guillaume Pepy. Côté gares, le revenu de concessions commerciales affiche une hausse de plus de 8 %.

Un tiers du chiffre d’affaires est désormais réalisé à l’international. L’activité est tirée par SNCF Logistics qui se développe notamment en Europe (et représente désormais 30 % du chiffre d'affaires du groupe) et par Keolis, qui a renforcé ses positions en Allemagne, Angleterre ou encore en Australie

12 400 recrutements ont été effectués en 2016 par le groupe, mais au final les effectifs sont restés stables, affirme la SNCF, puisque, si 2200 emplois ont été supprimés au sein du GPF, plus de 2000 ont été créés dans les filiales. 

Durant toute l’année 2016, les investissements se sont poursuivis à un niveau très élevé (8,6 milliards d’euros), dont 93 % en France et 83 % dans le ferroviaire. Le seul programme de renouvellement a atteint 2,8 milliards avec près de 1100 km de voies renouvelées. En 2017, il est prévu de porter les investissements à 9 milliards. Le groupe veut accélérer son offre porte-à-porte, amplifier les innovations digitales et poursuivre son développement à l’international en augmentant sa part dans le chiffre d’affaires de 2 à 3 points.

L’avenir s’annonce toutefois compliqué à anticiper, entre les incertitudes sur l’évolution des péages ferroviaires (l’Arafer vient de rejeter les propositions de SNCF Réseau pour 2018) et sur l’exploitation des futures lignes à grande vitesse, Tours-Bordeaux et Bretagne-Pays-de-Loire (qui vont générer des pertes de 90 millions d'euros entre juillet, date de leur mise en service, et fin décembre, essentiellement sur la ligne nouvelle Tours-Bordeaux).

 

Côté positif, il faudra aussi prendre en compte la baisse de la CST (Contribution sociale territoriale) qui pèse sur l’activité TGV et qui est appelé à diminuer de 250 millions d’euros cette année (et 420 millions sur six ans). Et l’avenir dira si c’est positif ou négatif, il faudra aussi faire avec la concurrence qui va bientôt pointer son nez dans le transport régional et peut-être aussi prochainement dans les Intercités. 

 

MHP

 

Un départ sur 3 n’est pas remplacé

12 400 contrats de travail ont été signés avec la SNCF l’an dernier. La moitié dans la branche ferroviaire (dont un peu plus de 3000 avec SNCF Réseau, environ 3000 à SNCF Mobilités). L’autre moitié des embauches a été réalisée pour les autres activités du groupe.

Dans le groupe ferroviaire, on compte 1800 à 2000 départs non remplacés. Soit un départ sur 3 pas remplacé.
Du fait des résultats positifs présentés par l’entreprise, 350 à 400 euros seront versés par agent dans le cadre de l’intéressement.

 

Quelques chiffres

13,5 millions de voyageurs transportés quotidiennement en France et partout dans le monde

8,3 milliards d’investissements dont plus de 90 % en France et dont plus de 80 % pour les activités ferroviaires

16,4 milliards d’achats auprès de 31000 fournisseurs dont les 3 quarts sont des petites et très petites entreprises, permettant de créer ou maintenir 164 000 emplois chez ces fournisseurs

La sécurité a progressé selon la SNCF qui insiste sur le fait que le nombre d’ESR (Evénement remarquable de sécurité) a reculé de 21 %, « soit la plus forte baisse depuis 15 ans ».

Le nombre colis suspects a doublé entre 2014 et 2016, faisant perdre 275 000 minutes.

Ewa

Laurent Brun, la carte « jeunes » de la CGT Cheminots

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« Il n’a pas besoin d’un micro pour se faire entendre. » Pour un des participants aux débats de Saint-Malo, la voix charismatique qui sort de cette grande baraque de 1,90 m porte loin. Laurent Brun, qui vient d’être élu vendredi matin 20 janvier, nouveau secrétaire général de la CGT Cheminots à l’issue du 43e congrès de la fédération, n’a que 37 ans. « Je dirais qu’il a un sacré dynamisme. Et même de l’aplomb », poursuit notre commentateur.

Remplaçant un Gilbert Garrel plus rond de corps et de parole, en poste depuis 2010, Laurent brun est un ancien agent d’exploitation. Inscrit au PC, c’est un fils et petit-fils de cheminot. Il a été élu à l’unanimité par les 200 membres du conseil national. Auparavant secrétaire fédéral du secteur de Lyon, « Laurent a la pratique concrète du contact avec les militants, l’expérience du terrain. Comme Gilbert Garrel », tient à souligner notre congressiste. Mais il a aussi clairement pour mission de « faire entendre les jeunes dans l’entreprise ». Parce qu’« aujourd’hui, même si le recrutement est insuffisant ils sont de plus en plus nombreux au fil des départs en retraite ».

Laurent Brun est lui-même entré à la SNCF en 2000 à la faveur de la vague de 26 000 jeunes embauchés permise par les 35 heures. La CGT cheminote affiche encore 34,33 % au dernier scrutin professionnel et elle reste le premier syndicat représentatif de l’entreprise. Mais son audience s’effrite depuis 15 ans. Elle était à 39,2 % de représentativité en 2000. Pour Laurent Brun, qui a notamment dénoncé à la tribune « les dysfonctionnements du réseau », il sera impératif d’intéresser les nouveaux cheminots aux combats du syndicat contestataire : l’emploi, le statut, l’externalisation de certaines tâches, la sécurité mais aussi la concurrence dans les TER, le désengagement de l’Etat, la dette de l’entreprise. « L’enjeu des années à venir, avant les prochaines élections professionnelles de 2018, sera de mobiliser les jeunes. Mais aussi les femmes. Et les agents de maîtrise et cadres », précise Cédric Robert, chargé de la Communication.

La CGT vient d’ailleurs de remonter au créneau sur la question du forfait jours, ce nouveau rythme de jours de travail et de repos qui concerne directement les quelque 30 000 agents de ces collèges. Elle a déposé une demande de concertation immédiate auprès de la direction. L’Unsa aussi. De son côté. SUD Rail du sien. Et SUD Rail ne s’est pas associé non plus au préavis de grève déposé par la CGT pour le 2 février prochain. Autant dire que l’unité syndicale est loin d’être prête à refleurir. Même si, assure Cédric Robert, sur le terrain, en régions, les salariés, eux, se mobilisent souvent unitairement, le dernier printemps social et ses embrouilles a laissé des traces toujours vives au sein des fédérations.

Laurent Brun remplace un Gilbert Garrel qui s’était fait discret depuis ce printemps-là. Parallèlement à la contestation de la loi El Khomri, la mobilisation avait porté sur le texte de la convention collective de branche des travailleurs du rail. La version complète de cette convention, qui se négocie morceau par morceau, est loin d’être établie. A la SNCF, les négociations sur l’important volet de la définition des métiers devraient s’ouvrir. Reste à savoir dans quelle mesure la direction, qui pour l’instant fait la sourde oreille face à la reprise de l’agitation de syndicats, pourra s’entendre avec le nouveau grand gaillard de la CGT.

Chantal Blandin

Ewa

Alstom. Comment Belfort a été « sauvé »

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C’est la surprise du chef. L’Etat s’est engagé le mardi 4 octobre à acheter en direct 15 rames TGV. Il s’agira d’Euroduplex, Alstom ne produisant plus que ces rames à deux niveaux. But de la commande : sauver la production à Belfort. Le dimanche précédent, le Premier ministre, Manuel Valls, invité du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro s’y était engagé : « Mardi, nous sauverons le site Alstom de Belfort. » C’est ce qu’avait demandé François Hollande. Et cette commande, comme d’autres, a été actée par le communiqué commun publié le 4 octobre par Christophe Sirugue, secrétaire d’Etat à l’industrie, et Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom, à l’issue de la réunion qui s’est tenue le matin à la préfecture du Territoire.
Sauver Belfort ? Mais à quel prix ! La SNCF aujourd’hui n’a pas besoin de TGV supplémentaires. Elle l’a fait savoir. Elle n’avait pas pu résister à la pression d’Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui l’avait forcée à acheter 40 rames au lieu de 30. Mais c’est déjà un effort énorme. C’est donc l’Etat qui s’y colle et qui, pour la première fois, va acheter en direct. Et sans appel d’offres, ce qui peut poser un petit problème juridique. Que vient faire l’Etat ? Il exerce directement la responsabilité d’autorité organisatrice sur les Intercités. Et c’est sur la ligne Intercités Bordeaux – Marseille qu’il va affecter ces TGV qu’il achète. Quitte à les louer ensuite à l’exploitant qui, en l’état actuel, ne pourrait être que la SNCF.
S’agissant des Intercités, l’Etat avait déjà commandé 34 rames Coradia Liner à Alstom, en 2013. Le secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies, a de plus annoncé la commande imminente de 30 nouvelles rames de ce type, a priori en version à 160 km/h. Cette dernière commande est confirmée par le communiqué commun.
L’ensemble de ces commandes est destiné aux Intercités dont l’Etat entend se désengager pour en rétrocéder la responsabilité aux régions. Elles sont passées, sans appel d’offres, dans la commande-cadre TER de 2009 avec Alstom pour un millier de Régiolis.
Mais, de plus, le secrétaire d’Etat avait annoncé le lancement prochain, d’ici la fin de l’année, d’un appel d’offres, sur 30 nouvelles rames, concernant les Intercités dont l’Etat entend garder la responsabilité. Si on a bien compris, la commande qui vient d’être annoncée à Belfort entre dans le contingent de ces 30 derniers trains. On attendait une enveloppe globale d’un milliard pour les trains des trois lignes structurantes dont il va garder la responsabilité. Et la desserte de Bordeaux – Marseille est l’une de ces trois lignes structurantes. Le volume du futur appel d’offres serait donc réduit de moitié, la nouvelle tranche de 15 TGV représentant un montant de l’ordre du demi-milliard d’euros.
La décision de l’Etat est extrêmement surprenante. D’abord, sur les lignes concernées par ce prochain appel d’offres, on s’acheminait vers une solution à 200 km/h (avec, il est vrai, une solution plus rapide envisagée pour Bordeaux – Marseille). Solution conforme aux vœux d’Alstom… puisqu’elle permettait au constructeur de présenter une nouvelle version dérivée de son matériel régional Coradia. En d’autres termes, Alstom s’apprêtait à être mis en concurrence – ce qui est toujours embêtant ! – mais sans avoir à développer un nouveau train. Solution peut-être maintenue pour les deux lignes structurantes qui restent (Paris – Clermont et Paris – Limoges – Toulouse). Mais, sur Bordeaux – Marseille, pour Alstom, la vie est belle. Pas d’appel d’offres et le top de la gamme. Des trains aptes à 320 km/h, que l’on fera rouler au ralenti sur l’essentiel du parcours…
Mais, le plus stupéfiant, bien sûr, c’est la logique économique de cette décision. On était prêt, selon les dernières indications gouvernementales, à faire circuler des rames Coradia Liner, qui reviennent à 13 millions l’unité. On se retrouve avec des TGV, qui coûtent aujourd’hui 30 millions pièce. Certes, les deux investissements reviennent à quelque 55 000 euros par place assise, des Coradia adaptées à 200 km/h et au confort Intercités coûtant sans doute plus cher que 13 millions pièce, mais encore faut-il remplir ces places assises ! Et certes, l’Etat peut négocier les prix.
Soit dit en passant, cela souligne le manque d’un train Grandes lignes moderne dans la gamme produite en France. Un manque que souligne depuis longtemps Gilles Savary. Le communiqué publié le mardi 4 octobre par le député socialiste de Gironde, rapporteur de la loi ferroviaire, y insiste, tout en soutenant que l’Etat a choisi la « moins mauvaise solution » en sauvant ainsi Belfort.
Les autres pistes avancées par Christophe Sirugue et Henri Poupart-Lafarge sont moins inattendues. Le communiqué fait état de 21 rames Euroduplex. Il faut en effet ajouter aux 15 rames commandées pour les Intercités les six rames que la SNCF s’apprêtait à acquérir bon gré mal gré pour la desserte du nord de l’Italie et qui avaient déjà été évoquées par Alain Vidalies.
D’autre part, le site va investir pour développer les activités de maintenance et de rénovation. Ces services sont déjà proposés aux opérateurs, mais il faut moderniser l’outil industriel si on veut en faire, un vrai « Centre européen ». Un investissement de cinq millions, qui s’ajoutent aux cinq millions pour la diversification du site, aux 30 millions investis avec l’Ademe pour le TGV du futur et aux 30 millions pour développer et industrialiser une plateforme de locomotive de manœuvre hybride ou diesel.
Cette diversification comprend en particulier le Bus du futur, déjà mentionné par Manuel Valls. Le système de recharge rapide (SRS) développé par Alstom pour le tramway de Nice est adaptable aux camions ou aux bus. Il pourrait être développé à Belfort.
Le communiqué commun du gouvernement et de l’entreprise mentionne d’autre part la commande via SNCF Réseau de « 20 locomotives destinées au secours des trains en panne », en fait des Prima H4 similaires aux engins hybrides destinés aux CFF. Jusqu’à présent, Alain Vidalies avait fait état de l’appel d’offres en cours lancé par la RATP sur 12 engins de travaux destinés au RER A et dont les résultats devaient être annoncés en novembre.
Gilles Savary juge au bout du compte que l’on a choisi la moins mauvaise solution. Mais, à, la veille de la réunion du 4 octobre, il se montrait exaspéré par la façon dont se présente le dossier. Pour le député de Gironde, Alstom « prend en otage les politiques. Nous ne sommes pas au chevet d’une entreprise en difficulté, nous sommes au chevet d’une entreprise florissante. Il n’y pas de problème Alstom, il n’y a que les problèmes qu’Alstom se pose à lui-même, ou que les politiques se posent à eux mêmes en ayant hystérisé cette affaire ».
Et de déplorer l’attitude d’Alstom, qu’il résume ainsi : « Je suis une entreprise libérale et autonome et, en France, je vis sur la bête, c’est-à-dire la SNCF, y compris en la forçant au suréquipement ou au mal équipement. » Or, dit-il, « cela ne sert pas Alstom, le groupe devient addict ».
S’il faut faire un geste pour « sauver » Belfort, il faut qu’il ait une contrepartie : « Le patriotisme économique n’est pas à sens unique. » Ce que Gilles Savary rappelle dans son communiqué du 4 octobre : « ll est à souhaiter que le patriotisme économique sollicité du gouvernement invite également Alstom à mieux répartir ses commandes étrangères sur ses usines françaises. » Comme il nous le disait, à la veille de la décision, « à quoi bon, sinon, avoir un leader du ferroviaire ? »
François DUMONT,
avec Patrick LAVAL