Il faut tout mettre en œuvre pour que le TVR puisse continuer à rouler au moins dix ans. C’est la conclusion du rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), rendu public le 29 septembre. C’est sur demande d’André Rossinot, maire de Nancy, que Dominique Bussereau avait commandé cette « mission d’expertise et de prospective ». D’abord cantonnée à Nancy, la mission a été étendue à Caen six mois plus tard. Les deux agglos, qui ont respectivement mis en service le matériel de Bombardier en 2000 et 2002, ont connu des déboires techniques qui avaient déjà justifié une mission du CGEDD en 2003.
Le TVR, qui n’est plus fabriqué, est devenu un boulet pour ces villes, résignées à attendre sa fin de vie pour passer à autre chose et construire le réseau prévu au début des années 2000 : le Translohr de Lohr Industries (le rival historique !), le tramway sur fer ou le BHNS. Dans l’attente du rapport, le Grand Nancy a même été contraint à différer sa DSP dont l’échéance était décembre 2009 et de proroger Veolia par convention temporaire jusqu’en avril 2011. Une satisfaction : la sécurité n’impose pas de retirer les TVR. C’est heureux ! Cependant, il faudra engager des frais pharaoniques (voir plus bas), pour permettre aux 49 rames de tenir au moins une décennie de plus, soit une durée de vie totale de 20 ans quand elles étaient vendues pour 30.
« La fiabilité reste globalement décevante. Il s’ensuit une disponibilité médiocre et des coûts de maintenance supérieurs aux prévisions initiales et à celles d’un tramway sur rail », constatent les experts. L’intérêt de sa bimodalité rail-route n’a pas été démontré et la vitesse commerciale en pâtit beaucoup trop. Le rail, les galets de guidage, les pneus sont à remplacer régulièrement, sans parler des phénomènes d’orniérage. Les finances de la Cugn et de Viacités sont à sec. Et si « le scénario de retrait à court terme n’est pas de mise, une réflexion est cependant indispensable sur le retrait à terme du système TVR ». Un échec que les auteurs n’oublient pas d’attribuer en partie à l’Etat qui avait soutenu cette politique industrielle…
LES CINQ PRÉCONISATIONS DU RAPPORT
Concluant qu’un scénario de retrait des véhicules à court terme pour raisons de sécurité n’était pas à prôner, que la « translohrisation » du système n’était pas non plus la moins coûteuse, les deux rédacteurs du rapport énumèrent leurs préconisations.
1/ Faire durer le TVR pendant au moins dix ans
Grâce à de grandes révisions et à un rétrofit qui amélioreront sa fiabilité, l’Etat participant à la dépense, assurent Christian Bourget, ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts, et Patrick Labia, inspecteur général de l’administration du Développement durable. Bombardier a fourni en mai dernier un document détaillé. Dans ce devis pour continuer d’exploiter les 49 rames de TVR dans de bonnes conditions, les dépenses se répartissent dans quatre catégories, toutes n’étant pas indispensables. Les prix s’entendent hors taxe et par véhicule. Il y a d’abord l’amélioration de l’exploitation pour renforcer la sécurité et le confort des voyageurs, pour un total de 320 000 euros. Ensuite, les frais destinés à améliorer la maintenance pour 248 000 euros. Par ailleurs, il est proposé de moderniser l’esthétique des véhicules pour 175 000 euros, enfin, diverses options comme l’installation d’un « chasse-obstacles, si ce nouveau dispositif est validé et homologué », pour améliorer « la sécurité dans le cas de vandalisme par insertion de corps étranger dans la gorge du rail : 20 000 euros ». Ainsi qu’une proposition de remplacement de la chaîne de traction hors motorisation pour 280 000 euros, option se substituant à la modernisation de la chaîne de traction, elle-même valorisée à 96 000 euros.
Au total, c’est donc a minima 568 000 euros HT par rame que les AO devront sortir, et un maximum de 947 000 euros. « Le coût de la grande révision et de rétrofit est de l’ordre de 0,75 million d’euros par rame », arrondissent les auteurs. La mise à niveau technique étant indispensable et l’Etat ayant participé à la promotion de ce mode de transport, les experts n’envisagent pas qu’il ne mette pas la main à la poche et se livrent à une cote mal taillée. « Il est proposé de retenir une dépense subventionnable de 500 000 euros par véhicule, finançables à hauteur de 30 %, ce qui représenterait un coût maximal pour l’Etat de 7,5 millions d’euros à financer sur 3 ans pour la remise à niveau de 50 rames », écrivent-ils. Un financement qualifié de « maximum et exceptionnel », jugé légitime compte tenu de « la solution retenue en 2004 pour le Poma de Laon ». Commentaire : « L’impact budgétaire pour l’État serait globalement marginal et pourrait être financé par redéploiement de la subvention annoncée pour Nancy au titre de la ligne 2, dont la réalisation devrait être reportée. »
Le CGEDD conseille enfin de répartir le solde de la dépense « entre les opérateurs industriels au prorata des coûts de grande révision/rétrofit ». Riche idée, sachant que la note s’élèverait donc a minima à 568 000 euros x 24, soit à 13,63 millions d’euros, à Caen, et à 14,2 millions d’euros à Nancy. Si l’Etat en apporte 7,5 au total, soit 3,75 à chacune des AO, ce sont globalement une bonne dizaine de millions qui restent à trouver par Viacités et par la Cugn.
2/ Les conséquences à en tirer pour Nancy
Les orientations prises par le Grand Nancy, à savoir garder le TVR jusqu’en 2022 moyennant les interventions techniques nécessaires, tout en poursuivant le soulagement de la ligne de tram par des doublages autobus, paraissent à la mission « adéquates et compatibles avec la taille de l’agglomération ». Pour sa ligne 2, Nancy s’oriente vers un trolleybus ou un BHNS. C’est ce dernier choix qui est jugé « particulièrement opportun pour tenir compte de l’évolution de ce mode et de la reconstitution des capacités financières de l’AOTU ». Par ailleurs, la mission précise que, sous réserve des propositions de Bombardier et peut-être de celles du futur délégataire des transports nancéiens, « le retrait du TVR est à envisager dès maintenant ». Après le retrait des TVR, l’hypothèse de l’adaptation du réseau au Translohr est apparue « intéressante » à la mission, qui précise toutefois qu’il faudra mettre en place « un site propre entièrement guidé, le parcours terminus – dépôt pouvant être réalisé sur voie ouverte à la circulation automobile ». Le tableau en annexe du rapport sur la « lohrisation des lignes 1 de tramway de Nancy et de Caen » conclut à un coût de 8 à 10 millions d’euros du km. Pas donné…
3/ Les conséquences à en tirer pour Caen
L’AO de Caen n’avait pas, pour l’instant, formellement exclu de racheter une dizaine de rames supplémentaires à la fois pour augmenter la capacité de la ligne et pour faire face aux extensions aux deux extrémités. Les experts se sont penchés sur cette éventualité et l’ont exclue totalement. « D’après les éléments fournis par le constructeur, le coût unitaire par rame serait supérieur à 5 millions d’euros compte tenu des frais fixes afférents à une série limitée. Ce coût doit être rapproché des coûts obtenus sur Brest/Dijon soit 2 millions d’euros la rame pour un Citadis 203, remarquent-ils. Si, pour rendre ce coût moins rédhibitoire, l’État devait financer en partie les extensions, il ne pourrait le faire qu’à travers un taux de financement exorbitant, le coût des infrastructures étant de l’ordre de 50 millions d’euros. Cette solution n’est pas réaliste et ne paraît pas pouvoir être recommandée. »
Comme à Nancy, la « lohrisation » de la ligne « le moment venu » paraît « pertinente » aux experts du CGEDD qui préconisent par ailleurs de ne pas réaliser les extensions de lignes prévues initialement avec le TVR, mais de « rechercher des solutions alternatives, comme à Nancy, par la montée en fréquentation de lignes parallèles ». Des lignes de bus qui présenteraient un double avantage : décharger la ligne existante et desservir des quartiers plus loin que les terminus actuels. Ils proposent qu’elles soient cadencées, voire conçues sous le mode BHNS. Elles pourraient ainsi « être prises en considération dans le cadre d’un appel à candidatures TCSP ». Pour autant, Caen n’a, a priori, pas déposé de demande lors du dernier appel à projets du Grenelle.
Idem, pour la ligne 2, le rapport préconise trois options : soit le mode BHNS, soit « le trolleybus bi-articulé qui paraît pertinent au regard de la taille de l’agglomération, des trafics attendus et des capacités de financement », soit une « lohrisation » progressive du réseau. Tout en précisant que « ce choix peut être différé compte tenu du souhait manifesté par la collectivité de reconstituer sa capacité de financement jusqu’en 2018. » Dernier point : l’amélioration du dépôt « à rechercher à court terme car il paraît inadapté pour le présent comme pour l’avenir ».
4/ Prendre en compte en amont les procédures relatives à la sécurité dans les deux réseaux
Quelle que soit l’hypothèse retenue, le CGEDD attire l’attention des deux AOTU sur les procédures de sécurité des modes guidés routiers. Un tableau en annexe récapitule la procédure. Ainsi, apprend-t-on que les AO ont dû déposer avant mai 2010 un dossier de sécurité régularisé, le TCSP ayant été mis en service avant 2003 et n’ayant donc pas fait l’objet de la procédure explicitement prévue pour ces nouveaux transports guidés (décret modifié STPG 2003). Elles doivent par ailleurs signaler au cas par cas les incidents majeurs et fournir un rapport annuel d’exploitation tout en effectuant un contrôle technique semestriel. De même, selon la consistance du rétrofit choisi, et en particulier si celui-ci touche au système de guidage, elles devront se soumettre à la procédure légale.
5/ Rechercher des synergies entre TVR des deux réseaux
Cela semble aller de soi pour tenter de réaliser des économies d’échelle. Pourtant, les experts ont constaté au cours de leur mission que, « malgré des relations cordiales », les deux AOTU n’étaient pas allées assez loin dans la recherche de travail commun et de synergies. Une fois évacuée la possibilité de reprise des rames d’un réseau par l’autre, puisqu’aucune des deux agglos ne peut se séparer de sa ligne forte – « un transfert éventuel n’est pas réalisable avant 2022 » –, le rapport insiste sur le fait que « le groupement des deux collectivités pour passer commande à l’industriel permettrait des économies substantielles ». Il conseille donc des axes de travail en commun : définition d’un référentiel de suivi des pannes, des coûts d’exploitation et de maintenance ; méthodes harmonisées de maintenance ; définition d’un cadre de contrôle de la maintenance ; et bien sûr un seul marché pour les opérations de modernisation des rames, suivi d’une négociation commune avec le constructeur. « Par ailleurs, l’analyse des coûts d’exploitation dont ceux de maintenance, dans le cadre soit d’une action financée par la DGITM (Certu), soit le Predit serait la bienvenue. » La balle est maintenant dans le camp de l’Etat.