En présentant le 16 octobre la mission sur la refonte du modèle ferroviaire confiée par le gouvernement à Jean-Cyril Spinetta, Elisabeth Borne a montré qu’elle soutenait certaines demandes portées de longue date par les dirigeants de SNCF Mobilités. Ceux-ci réclament en effet depuis plusieurs années une diminution du montant des péages auxquels sont soumis ses TGV. Message bien reçu par la ministre des Transports qui demande à l’ancien président d’Air France d’engager une réflexion globale sur la pertinence économique du système et de s’interroger sur la tarification du réseau. « Le montant des péages du réseau est très élevé, ce qui incite la SNCF à augmenter ses tarifs et dissuade les voyageurs. L’utilisation du réseau n’est pas optimale », estime Elisabeth Borne qui semble prête à revoir cette tarification à la baisse. D’autant, précise-t-elle, que « c’est un levier majeur des politiques des transports ».
Jean-Cyril Spinetta devra aussi examiner « la performance industrielle et commerciale des acteurs, mais en tenant compte du fait que l’Etat et d’autres font peser beaucoup de contraintes sur la SNCF sans en assumer les coûts », poursuit la ministre. Elisabeth Borne cite à plusieurs reprises ces TGV qui quittent leur zone de pertinence (les lignes à grande vitesse) pour desservir des liaisons régionales. « Il y a clairement un travail à faire, en collaboration avec les régions, sur l’articulation entre dessertes TGV et TER, indique-t-elle, avant d’ajouter : « Pour faire un parallèle avec l’aérien, on ne dessert pas Brive avec un A380 ! » Autant de déclarations qui devraient mettre du baume au cœur des dirigeants de la SNCF.
Enfin, Jean-Cyril Spinetta doit aussi plancher sur la reprise de la dette par l’Etat, à propos de laquelle SNCF Réseau tire la sonnette d’alarme depuis des années. Rappelons que cette dette de SNCF Réseau atteint aujourd’hui 45 milliards d’euros, qu’elle est en hausse de trois milliards d’euros chaque année et qu’elle file vers les 65 milliards d’euros à l’horizon 2025. Toutes les modalités de prise en charge et de remboursement de la dette sont envisageables, assure Elisabeth Borne, en précisant qu’il faudra trouver « un modèle soutenable ».
Deuxième grande mission figurant sur la feuille de route, l’ancien président d’Air France devra définir la place du ferroviaire dans les mobilités, en fonction des besoins et de la zone de pertinence de chaque mode (y compris les véhicules autonomes). « Il s’agit de déterminer là où nous devons investir en priorité, a expliqué la ministre des Transports. Nos priorités iront aux transports du quotidien. C’est pourquoi le train est indispensable : il assure le mass transit. Il le fait en Ile-de-France, mais très peu dans les autres principales métropoles, où l’utilisation des trains régionaux est limitée. » Un travail complémentaire à celui que réalisera le comité sur les infrastructures présidé par Philippe Duron, qui doit notamment plancher sur le financement dans le cadre des Assises de la mobilité.
Enfin, troisième chantier : la préparation de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. La libéralisation doit toucher les grandes lignes (TGV) d’ici à 2020 et les lignes conventionnées (TER et TET) avant la fin 2023. « Certaines régions nous ont fait savoir qu’elles souhaitent ouvrir leurs lignes à la concurrence. Il faut avancer avec elles et ne pas attendre la dernière minute, souligne Elisabeth Borne. Jean-Cyril Spinetta devra formuler des propositions par exemple sur le transfert des personnels ou encore examiner avec les régions quel sera le sort des matériels, des ateliers de maintenance ou de l’information voyageurs, poursuit-elle. Il faudra donner des perspectives à tous les acteurs. » Il faudra aussi statuer sur l’évolution du rattachement de la gestion des gares.
Le tout devra être mené grande vitesse : le gouvernement souhaite que la transposition des dispositions du 4e paquet ferroviaire soit effective avant le 25 décembre 2018, ce qui implique de ne pas traîner si on veut tenir les délais.
« Je verrai très vite l’ensemble des acteurs, les parlementaires, les présidents de région et leurs collaborateurs, tous les opérateurs, l’UTP, le Gart, l’Arafer, les clients et leurs représentants et les organisations syndicales de la branche et de la SNCF », répond Jean-Cyril Spinetta qui compte s’appuyer sur les « nombreux et récents rapports de grande qualité rédigés sur le ferroviaire ».
Le délai qui lui est donné – une remise du rapport en janvier 2018 – n’est pas excessif ! reconnaît-il. Cela sur fond de tensions déjà perceptibles. A peine Elisabeth Borne avait-elle fait part de ses doutes sur la pertinence économique des dessertes TGV, qui sont déficitaires pour 70 % d’entre elles, que des voix se sont élevées pour s’indigner de cette possible remise en cause. « Après la régionalisation de certains trains d’équilibre du territoire (TET) en 2016 et 2017 – qui s’est globalement traduite par le désengagement de l’État sur le réseau des lignes nationales secondaires – Villes de France déplore que SNCF Mobilités, comme l’État qui reste autorité organisatrice des transports ferroviaires au niveau national, opte pour un système ferroviaire à deux vitesses, conçu sur un mode « origine-destination » de « métropoles à métropoles », au mépris du reste du territoire », écrit l’association dans un communiqué, rappelant que « les élus des Villes de France demandent plus de cohérence d’ensemble, et réclament depuis plusieurs années que soit mis en œuvre un schéma national de desserte ferroviaire ». Sa présidente, Caroline Cayeux, a aussitôt demandé à être reçue rapidement par Elisabeth Borne, la ministre des Transports.
De son côté, Bernard Aubin, secrétaire général du syndicat First et fin observateur du monde ferroviaire qui relate ses impressions sur son blog Le Hérisson du Rail, rappelle qu’aucune conclusion n’a pour l’instant été prise. Mais, ajoute-t-il, « les expressions subliminales du gouvernement sur la SNCF laisseraient penser que les principales décisions, que ce soit en termes de mobilité ou d’avenir de la SNCF ont d’ores et déjà été arrêtées ».
M.-H. P