Bertrand Gosselin, le directeur général de Thalys, explique à VRT comment la compagnie qui relie la France à la Belgique et, au-delà, aux Pays-Bas et à l’Allemagne, traverse la crise. Il estime que Thalys va perdre 300 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année et a mis sur pied un plan d’économies de 100 millions d »euros.
Ville, Rail & Transports. Quel premier bilan tirez-vous de la crise sanitaire ?
Bertrand Gosselin. On parle beaucoup de la crise de l’aérien, mais le transport ferroviaire international souffre à peu près autant. C’est clairement la crise la plus grave qu’ait connue Thalys. Ce qui est surtout très compliqué, c’est l’incertitude qui pèse sur les mois qui viennent.
Durant le printemps, nous avons mis en place une offre minimale avec deux trains par jour. Puis, cet été, comme la fréquentation de nos trains redémarrait bien, nous avons remonté notre offre de transport à hauteur de 50 % (par rapport à l’été 2019). Le trafic tournait alors autour de 60 à 65 %. Un certain nombre de nos clients était revenu malgré le mot d’ordre qui était alors : prenez vos vacances chez vous.
Nous avions ensuite prévu de remonter notre plan de transport à 60 % jusqu’à ce que les Pays-Bas, puis l’Allemagne et enfin la Belgique déconseillent de voyager dans les zones « rouges » et prévoient des mises en quarantaine et des dépistages obligatoires. Ce qui a contribué à ralentir fortement les déplacements.
Fin août, la Belgique a décidé d’interdire les déplacements vers Paris sauf pour des motifs essentiels (ces motifs étaient d’ailleurs assez larges). Mais les médias n’ont retenu que le mot interdit et, du jour au lendemain, on en a mesuré les effets sur notre trafic.
Toutes ces mesures nous ont obligés à réduire notre plan de transport à 40 %, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Et c’est ce qui est prévu jusqu’à la fin de l’année. Il n’est pas impossible qu’on le maintienne aussi sur 2021, quitte à l’adapter s’il le faut.
40 % d’offre de transport, c’est trop, compte tenu de la fréquentation actuelle de nos trains. Mais nous avons décidé de maintenir malgré tout une offre qui permette aux voyageurs de se déplacer : il faut leur proposer une certaine fréquence et de la souplesse.
VRT. Quel est l’impact financier et en termes de chiffre d’affaires ?
B. G. Nous réalisons 80 % d’activité en moins par rapport à l’année dernière. Nous n’avons donc que 20 % de trafic sur nos lignes. En 2020, nous perdrons plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires par rapport à l’an dernier.
Les pertes se monteront à plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous avions prévu de revenir en positif l’année prochaine mais désormais c’est un point d’interrogation.
VRT. Comment s’était passé 2019 ?
B. G. 2019 avait représenté la meilleure année de Thalys avec 550 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous avions transporté près de huit millions de passagers et nos nouvelles dessertes avaient très bien marché. Izy notamment a transporté 20 % de passagers en plus comparé à l’année précédente. Tous les indicateurs étaient alors au vert.
VRT. Allez-vous revoir vos investissements ?
B. G. Nous sommes en train de mettre en œuvre un plan d’économies de 100 millions d’euros dans tous les domaines. Nous avons regardé tout notre portefeuille d’investissements. Nous avons décidé d’achever les projets déjà bien lancés et qu’il fallait terminer et nous n’avons pas remis en cause les investissements touchant à la sécurité. Mais nous avons abandonné certains projets et programmé une cure d’amaigrissement pour tous nos budgets de fonctionnement.
Nous n’avons pas voulu lancer un plan de licenciements mais nous avons recouru au chômage partiel (toujours en cours) et nous avons gelé une soixantaine de postes en arrêtant les recrutements et en jouant sur les non-remplacements.
VRT. Allez-vous supprimer des dessertes ?
B. G. Notre plan de transport essaye de cibler les dessertes qui ont le plus de chances de voir revenir nos voyageurs. Cet été il y avait une telle incertitude que l’offre soleil vers Bordeaux ou Marseille n’a pas été assurée. Nous nous sommes posé la question pour les autres offres saisonnières et avons décidé de maintenir une offre neige mais uniquement pendant les vacances scolaires, à Noël, février et Pâques, au départ d’Amsterdam et de Bruxelles.
Nous n’avons pas encore pris de décision pour notre offre soleil pour l’été 2021.
Nous avons aussi repris nos destinations vers la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne La seule route que nous avons arrêtée concerne la desserte de CDG et Marne-la-Vallée en raison de la grande incertitude sur la reprise de ce business. Mais la porte n’est pas fermée sur le long terme.
VRT. Quels sont vos scénarios de reprise ?
B. G. Initialement, nous envisagions une reprise progressive de notre plan de transport qui aurait atteint 90 % à la fin de l’année 2021. Mais nous sommes en train de réviser ces scénarios. La baisse que nous connaissons risque de se prolonger. Ce sera plus long que prévu.
Je pense que nous sommes face à un trou d’air momentané. Le succès de Thalys reviendra. Mais nous ne savons pas dans combien de temps. Il faut donc réduire la voilure sans remettre en cause les moyens qui nous permettront de faire au développement quand il reviendra.
C’est pourquoi nous avons maintenu le programme de rénovation à mi-vie de nos trains. Nous allons augmenter de 7 à 8 % le nombre de places à bord car nous pensons que nous en aurons besoin à terme.
A long terme, le ferroviaire, et tout particulièrement le ferroviaire à grande vitesse en Europe, a de grands atouts. La crise a amplifié le recul que connaissait l’aérien sur certains trajets. Thalys en tant que transport soutenable retrouvera du public. Ce ne sera peut-être pas la même clientèle qu’avant, notamment du côté de la clientèle business.
Mais je suis persuadé que les salons et les foires reprendront, car de tout temps les grands événements commerciaux ont existé pour permettre les échanges. Les déplacements pour rencontrer les clients recommenceront car les entreprises nous disent qu’elles en ont besoin. Dans nos trains, nous aurons donc toujours une clientèle business. Nous avons plus d’interrogations sur les déplacements internes à l’entreprise : une partie des réunions entre services pourrait basculer sur des visioconférences. On en voit l’efficacité mais aussi les limites. Certains secteurs seront plus touchés que d’autres.
Enfin, certains clients de l’avion pourraient s’en détourner pour le train si la conscience écologique continue à progresser. Ou pourquoi pas ceux qui prenaient leur voiture. A nous de montrer nos atouts !
VRT. Y a-t-il une différence entre Thalys et Izy ?
B. G. Izy se porte plutôt mieux que Thalys. Nous nous sommes focalisés sur les périodes où nous transportons le plus de clients en proposant une fréquence aller-retour par jour les vendredis, samedi, dimanche, lundi. Le taux d’occupation en septembre oscille entre 40 et 50 %.
VRT. Où en est le projet de mariage Thalys-Eurostar ?
B. G. Le projet continue. Il a été suspendu pendant toute la période de confinement, puis il a repris durant l’été. Nos actionnaires nous ont confirmé leur intérêt pour ce projet.
Initialement, c’était un projet de croissance pour accompagner deux entreprises en excellente santé. En mutualisant nos moyens, nous pourrons faire mieux que si les deux entreprises sont séparées. Mais cette crise nous amène à revoir les perspectives économiques. Le business plan n’est plus le même mais sur le long terme, nous restons sur des perspectives de croissance. Ce qu’on avait imaginé s’est donc décalé dans le temps.
Il y aura bien une première étape de rapprochement en 2021, mais pas comme on l’imaginait initialement début 2021, ou premier semestre 2021. Nous allons constituer une société commune. Seul le timing et la trajectoire ont changé mais le sens du projet reste le même : l’envie d’aller chercher de la croissance reste complètement sur les rails.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt