Juste avant de laisser la place à Jean-Pierre Farandou, Guillaume Pepy a lancé fin septembre un dernier grand chantier : la création d’une compagnie ferroviaire européenne à grande vitesse. Celle-ci naîtra du mariage d’Eurostar et de Thalys dont les réseaux sont parfaitement complémentaires, résume l’actuel patron de la SNCF.
Ce projet baptisé Green Speed, qui n’en est encore qu’à un stade préliminaire, a été présenté le 27 septembre aux actionnaires de Thalys (SNCF et SNCB) et d’Eurostar (SNCF, SNCB, Patina Rail LLP, un consortium composé de la Caisse de dépôt et placement du Québec et d’Hermès GPE LLP).
Entre 18 mois et deux ans pour marier Eurostar et Thalys
Une fois précisément défini, il devra être approuvé par les conseils d’administration des compagnies ferroviaires et par la Commission européenne. Il sera aussi soumis aux instances représentatives du personnel. Un processus qui devrait durer entre 18 mois et deux ans.
Ce rapprochement « évident » selon Guillaume Pepy, était dans l’air depuis plusieurs années. L’ouverture à la concurrence des lignes commerciales (tout particulièrement les LGV), programmée le 12 décembre 2020, le met définitivement sur les rails. Et pousse la SNCF, actionnaire de référence des deux entreprises (55 % des parts d’Eurostar, 60 % de celles de Thalys), à rassembler leurs forces. Le moment est d’autant mieux choisi que sa grande concurrente, la DB, est plus occupée à se recentrer sur son marché domestique que prête à se lancer dans de grandes offensives.
À elles deux, Eurostar, qui relie l’Angleterre au continent via le tunnel sous la Manche, et Thalys, qui relie Paris à Bruxelles, et au-delà aux Pays-Bas et à l’Allemagne, desservent cinq pays (France, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas et Allemagne), soit 245 millions d’habitants. En 2018, elles ont transporté 18,5 millions de passagers (11 millions pour Eurostar, 7,5 millions pour Thalys). La SNCF estime que le trafic pourrait doubler, passant à 30 millions annuels de voyageurs.
Concurrencer l’aérien et la route
L’idée est avant tout de desservir ces cinq pays, et peu à peu, avec l’extension de la grande vitesse européenne, de pousser un peu plus loin les dessertes en Europe du Nord, voire en Europe centrale. Guillaume Pepy évoque notamment la Tchéquie, la Pologne ou l’Angleterre qui ont chacune, à plus ou moins long terme, des projets de liaison ferroviaire à grande vitesse. Le reste de l’Europe n’est pas (encore) concerné. « Nous allons relier la Tamise à la Méditerranée et la mer du Nord à l’océan Atlantique. L’objectif est de créer une entreprise européenne qui permettra de relier les villes en Europe et concurrencera l’avion et la voiture », souligne Rachel Picard, la directrice générale de Voyages SNCF. « L’Europe est faite pour le ferroviaire », insiste Guillaume Pepy. Les préoccupations environnementales fortes qui s’expriment (« la honte de l’avion ») vont dans ce sens.
L’intérêt est avant tout commercial puisqu’il n’est pas question aujourd’hui d’harmoniser les flottes, chacune des entreprises faisant rouler des matériels adaptés aux caractéristiques techniques des réseaux qu’ils traversent. Ainsi, les rames Thalys sont dotées de plusieurs équipements de signalisation pour pouvoir circuler dans quatre pays, ce qui n’est pas le cas des rames Eurostar. Et les trains rouge et blanc de la société franco-belge ne peuvent pas emprunter le tunnel sous la Manche.
Question sensible : la valorisation de la future société
En s’unissant, les deux compagnies pourront proposer des voyages de bout en bout quel que soit le trajet, des parcours simplifiés avec des correspondances adaptées, et un système de réservation commun avec une tarification commune, des programmes de fidélité et des systèmes d’information unifiés.
Restent toutefois encore de nombreuses questions à régler. À commencer par la valorisation des entreprises et l’équilibre qu’il faudra trouver entre les différents actionnaires dans la future société. La SNCF veut logiquement rester majoritaire dans la future entité. Mais elle devra prendre en compte les intérêts des uns et des autres. Avec ses 40 % de parts, la SNCB est un acteur de poids qu’il faudra écouter côté Thalys. Mais, élément négatif, son parc n’est plus très jeune et nécessite de lourds investissements. De son côté, Eurostar pèse plus lourd que Thalys et bénéficie d’un parc plus récent. Mais sa valeur pourrait être
impactée par le Brexit. « Ce sont probablement ces questions qui mettront le plus de temps à être résolues. Il faudra réussir à aligner les intérêts de tout le monde », estime un bon connaisseur du secteur. Le choix de la localisation du siège social devra aussi être réglé. Quant aux conséquences sociales, si des synergies sont à prévoir, le projet vise surtout le développement de l’activité, synonyme de croissance.
Marie-Hélène POINGT