Un rapport gouvernemental portant sur le développement de nouvelles lignes de trains d’équilibre du territoire (TET) de jour et de nuit a été déposé le 20 mai au Parlement pour faire l’objet d’un débat (lire le rapport). « Il va être débattu par les parlementaires pour voir ce que nous pouvons faire car, de notre côté, nous comptons bien lui donner des suites opérationnelles », a indiqué Jean Castex, le Premier ministre à l’occasion d’une interview exclusive accordée à VRT.
« Pour les trains de jour, il s’agit d’apprécier quelles adaptations du réseau seraient opportunes, sans remettre en cause l’équilibre issu des accords de reprise d’anciennes lignes de TET par les régions », commente de son côté le ministère des Transports. Trois nouvelles lignes ont été identifiées : Metz – Lyon – Grenoble, Toulouse – Lyon et Nantes – Rouen – Lille, auxquelles s’ajoutent Orléans – Clermont – Lyon et la transversale sud prolongée jusqu’à Nice (Bordeaux – Nice).
En revanche, trois corridors également étudiés n’ont finalement pas été retenus : il s’agit des corridors Lille – Lyon (en raison notamment d’un potentiel de trafics pas suffisant), Bordeaux – Lyon (où il y aurait peu de trafics interrégionaux et où une offre de nuit semble plus pertinente) et Strasbourg – Lyon (bénéficiant déjà d’une offre ferroviaire satisfaisante, ne nécessitant pas une offre TET complémentaire qui risquerait de plus de fragiliser la desserte TGV).
Pour le matériel roulant, les auteurs du rapport préconisent de recourir aux trois marchés-cadres1 liant déjà la SNCF aux constructeurs Alstom et CAF. Ce qui permettrait des livraisons plus rapides et des coûts réduits puisque les frais fixes de développement ont déjà été financés par les autorités organisatrices.
1,5 milliard d’euros pour le matériel et la maintenance
Côté trains de nuit, « la réflexion a porté sur l’opportunité de recréer un réseau structuré, tel qu’il exista longtemps en France et tel qu’il réapparaît dans certains pays en Europe ». précise le ministère qui souhaite s’inspirer de l’exemple des chemins de fer autrichiens (ÖBB) pour « proposer des modalités d’exploitation repensées et soutenables économiquement ».
Sont ainsi étudiées des radiales et des transversales autour des corridors Dijon – Marseille, Bordeaux – Marseille, Paris – Toulouse et Tours – Lyon (cette dernière liaison, d’une durée d’environ 6 h 50 via l’Ile-de-France, pouvant potentiellement relier d’une part la Bretagne et les Pays de la Loire, et d’autre part les Alpes du Nord et la Savoie, ainsi que le sillon rhodanien et la Provence-Côte d’Azur). En revanche, le corridor Nantes – Bordeaux, desservi en environ quatre heures, une durée trop courte pour un train de nuit, n’est pas retenu.
600 voitures seraient alors nécessaires pour un prix estimé de 924 millions d’euros, ainsi que 60 locomotives, pour une facture de 1,45 milliard, dispositif de maintenance compris. « Leur exploitation se ferait en coupons indéformables de trois à quatre voitures assemblées en rames de 3 à 16 voitures selon les relations, et leur maintenance serait assurée en rames ou demi-rames blocs », précise le rapport.
Pour définir un nouveau modèle en France, le rapport préconise de recourir à un équipage polyvalent à bord des trains pour assurer, de bout en bout, tous les services aux voyageurs et les opérations nécessaires à l’exploitation et à la sécurité y compris les manœuvres en cours de route. Il recommande aussi de « rechercher un allotissement des éventuelles lignes intérieures sous la forme d’un ou plusieurs contrats de service public, à l’issue d’une procédure de mise en concurrence ».
Six corridors internationaux identifiés
A l’international, six corridors internationaux sont identifiés : Paris – Hambourg – Copenhague ; Paris – Berlin – Vienne, Paris – Milan – Venise (cependant, cette relation étant proposée par Thello actuellement, elle ne fait pas l’objet d’une analyse dans le cadre de l’étude), Paris – Florence – Rome, Paris – Barcelone et Paris – Madrid.
« L’organisation par groupes de lignes permet une gestion intelligente du parc et l’optimisation des coûts », écrivent les auteurs. Rappelant que la plupart des capitales et grandes métropoles situées à une distance d’environ 1 000 à 1 500 km de Paris génèrent des trafics aériens très importants situés dans une fourchette d’environ un à trois millions de déplacements annuels, ils estiment que ce potentiel important permettrait de constituer des trains longs directs, facilitant l’exploitation. La part de marché est évaluée à quelque 10 %. « Cet objectif modeste apparaît suffisant pour envisager l’exploitation de lignes ferroviaires de nuit européennes sous forme de services librement organisés, sans intervention de la puissance publique », souligne le rapport, qui recommande toutefois la recherche de coopérations internationales par les entreprises ferroviaires.
Marie-Hélène Poingt
1Ces trois marchés concernent le marché Coradia / Régiolis avec Alstom (pour lequel 387 rames ont été commandées, pouvant aller jusqu’à 1 000 rames), le marché Omneo / Regio2N avec l’ex-Bombardier (pour lequel 455 rames ont été commandées, pouvant aller jusqu’à 860 rames) et le Marché AMLD avec CAF (pour lequel 28 rames ont été commandées, pouvant aller jusqu’à 103 rames).
Six trains de nuit, mais seule la moitié roule
Aujourd’hui, en plus du train de nuit Paris – Nice relancé depuis le 20 mai, deux lignes TET assurent quotidiennement les axes Paris – Briançon et Paris – Rodez / Toulouse – Latour-de-Carol, avec des subventions de l’État.
La ligne quotidienne Paris – Milan – Venise, exploitée par Thello en service librement organisé, est suspendue depuis le début de la crise sanitaire, en mars 2020. C’est aussi le cas des deux lignes Paris – Berlin – Moscou et Nice – Moscou commercialisées par les chemins de fer russes à raison d’un aller-retour par semaine pour chacune des relations, et circulant en France sous l’égide de SNCF Voyageurs avec du matériel remorqué russe.
Fin 2021, le train de nuit Paris – Tarbes devrait redémarrer. En remettant en circulation ces deux nouveaux trains de nuit, le gouvernement a décidé d’engager 100 M€ dans le cadre du plan de relance de l’économie, dont 50 M€ consacrés au matériel roulant et 50 M€ pour l’adaptation des installations (accueil des voyageurs en gare, maintenance, infrastructure, etc.).
« Mon ambition, c’est une dizaine de trains de nuit en 2030 », avait déclaré le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari en janvier, en présentant un résumé de ce rapport.
L’exemple autrichien
Après avoir repris des réseaux et des matériels roulants en Autriche et en Allemagne en 2016, « ÖBB exploite aujourd’hui, avec des subventions publiques négligeables, une vingtaine de lignes sous le label NightJet et a conclu des accords de coopération avec les réseaux limitrophes (Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovénie, Roumanie et Croatie) pour la production de certains trains de nuit sur une dizaine de relations. Dans les cas de prolongements de desserte, les ÖBB peuvent être amenés, quand ils l’estiment nécessaire, à négocier une participation de la part des États desservis », souligne le rapport sur les TET
Rappelant que « NightJet effectue des parcours de l’ordre de 600 à 1 200 kilomètres, soit des distances comparables à celles existantes en France ainsi qu’entre la France et quelques destinations importantes dans les pays limitrophes », les auteurs expliquent que « la large gamme de prix proposée par les ÖBB et l’utilisation du système de gestion tarifaire différenciée en fonction des capacités disponibles (yield management) sont des atouts qui favorisent l’optimisation du remplissage et du chiffre d’affaires. L’adoption de mécanismes similaires pour les trains de nuit en France semble donc une orientation à recommander ».