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Ewa

Le Luxembourg réfléchit à une taxe transport

François Bausch

Avec 500 millions d’euros investis par an et par habitant pour développer les transports collectifs qui sont gratuits, y compris les trains, le Grand-Duché veut réduire d’un tiers la part de la voiture dans ce pays de près de 2 600 kilomètres carrés, carrefour d’emplois de trois pays frontaliers. François Bausch, ministre (Vert) de la Mobilité et des Travaux publics, qui a travaillé aux chemins de fer luxembourgeois (CFL) avant sa carrière politique, répond à nos questions.  

Ville, Rail & Transports : Vous avez décidé en 2020 la gratuité des trains (sauf en 1ère classe), des bus et tramways. Quel est le premier bilan de cette mesure, son coût et son financement ?

François Bausch : Jouer uniquement sur les prix des transports publics, et même sur la gratuité, ne sera jamais suffisant. Ce qu’il faut avant tout, c’est une bonne qualité d’offre et de services de transport. On a augmenté de 30 % notre réseau de bus express, et mis en service une première ligne de tramway dans la capitale. Onze kilomètres irriguent déjà la ville centre, la connexion vers l’aéroport est prévue à l’automne 2024. A terme, avec d’autres extensions et des portions à 100 km/heure, un système de RER métropolitain permettra de relier non seulement la capitale aux communes alentour, mais aussi au sud du pays vers la frontière française.

Près de 100 000 passagers prennent chaque jour le tram, il y en aura 130 000 quand la ligne sera achevée. Entre 2011 et 2019, l’offre ferroviaire a déjà progressé de 40% et la fréquentation a suivi avec une augmentation de 70% du nombre de voyageurs, avant même la gratuité… Cela démontre que quand vous investissez dans l’offre et la qualité, vous faites exploser les chiffres de fréquentation (la voiture s’arroge encore les deux-tiers de part de marché, ndlr). La gratuité n’est pas une fin en soi, c’est la dernière pierre de l’édifice. De toutes les façons, le prix des billets ne couvrait que 10 % des coûts d’exploitation qui s’élèvent à 800 millions d’euros. Gratuits ou non, ça ne changeait donc pas grand-chose. La mesure nous coûte 41 millions d’euros supplémentaires par an. Mais elle a fait débat dans la société luxembourgeoise, et c’est tant mieux, car elle a servi de levier pour promouvoir les transports collectifs. Elle n’explique pas la hausse de fréquentation, ce n’était d’ailleurs même pas le but ! L’appétit pour les transports public vient du choc d’offre.

VRT : A combien s’élèvent les investissements pour cette révolution des transports ? Globalement, quel budget consacrez-vous aujourd’hui aux transports collectifs?

F.B : Près de 2,4 milliards d’investissements sont programmés entre 2021 et 2026 pour les transports publics, dont deux milliards pour le rail qui est en pleine transformation. J’ai signé une convention de service public de 15 ans avec les CFL (la société publique des chemins de fer luxembourgeois, ndlr), d’un montant de 7,4 milliards d’euros, pour l’exploitation du nouveau réseau ferré à partir de 2025, avec une offre de transport de +5% par an.

La première ligne de tram exploitée par Luxtram (les actionnaires sont l’Etat et la ville de Luxembourg, ndlr) coûte 600 millions d’euros, 200 autres millions sont prévus pour son extension vers le sud du pays. Depuis 2019, le Luxembourg dépense chaque année 500 euros par habitant pour son réseau ferroviaire, plus qu’en Suisse ! Sur la base sur la croissance économique du Grand-Duché, nous estimons que les besoins de mobilité vont croître de 40% jusqu’en 2035, et nous visons une augmentation de l’offre de transports publics du même niveau. Notre objectif, c’est d’avoir les meilleurs transports publics d’Europe, et de faire reculer la part de la voiture à 55%, contre 75% selon les dernières estimations. Les 40% de demandes doivent se faire intégralement en faveur des transports en commun et les modes doux. Si on réalise notre plan d’investissement, on peut y arriver.

VRT : Comment est-il financé?

F.B : Sur le budget national qui représente 22 milliards d’euros.  Il n’existe pas d’impôt dédié. Il va falloir se pencher sur la question. Je crois que le Luxembourg va devoir introduire une taxe transport, un peu comme le versement mobilité en France, applicable selon le seuil de salariés.

VRT : Quels sont les enjeux de mobilité au Luxembourg ?
F.B :
Le Grand-Duché connait une croissance économique comprise entre 3 et 4% par an, et un boom démographique de 40% depuis 30 ans avec 630 00 habitants à ce jour. Enfin, le pays (dont la superficie correspond à la moitié d’un département français en moyenne, ndlr) est le moteur économique d’une grande région qui englobe la Sarre et la Rhénanie-Palatinat en Allemagne, la province du Luxembourg en Belgique et le Grand Est en France. Près d’un million d’actifs peuvent accéder au marché du travail luxembourgeois, et ses 500 000 emplois. Pour avoir un tissu économique productif et concurrentiel, nous sommes obligés d’investir dans les transports publics.

Chaque jour, plus de 230 000 transfrontaliers viennent travailler au Luxembourg, et les voitures qui traversent tous les matins les frontières sont occupées par 1,1 personne en moyenne ! Pendant longtemps, nous avons fait l’erreur d’essayer de résoudre le problème de la mobilité transfrontalière en augmentant les infrastructures routières. On a même fermé des lignes de chemin de fer… Résultat : nous avons un parc automobile démesuré avec en moyenne 1,5 voiture par ménage. Il y a dix ans, deux-tiers des investissements dans les infrastructures de mobilité allaient vers le réseau routier, un tiers vers le transport collectif. On élargissait les routes et donc, les embouteillages. Depuis, on a complétement inversé la machine, le transport public est devenu une priorité absolue. Pour avoir un tissu économique productif et concurrentiel, il faut optimiser le système de mobilité, l’intermodalité. Nous construisons beaucoup de parking-relais, notamment aux frontières pour encourager les transfrontaliers à garer leur voiture et à monter dans les trains gratuits. On développe les lignes avec plus 40% d’offre ferroviaire en direction de la France, deux lignes vers la frontière belge et vers l’Allemagne sont achevées, nous en construisons une vers le Nord. 25 grandes gares sont en cours de transformation, dont la gare centrale de Luxembourg qui sera dédoublée en 2025. Si on ne mène pas cette politique, les problèmes de congestion et de pollution finiront par entamer la prospérité du pays.

 Propos recueillis par Nathalie Arensonas

Où en est le projet de liaison ferroviaire pour les navetteurs transfrontaliers ?

Le débat sur une liaison ferroviaire directe entre Sarrebruck et le Luxembourg via Metz est à l’étude depuis des années. La ligne existante devrait pour cela être modernisée. Aujourd’hui, les travailleurs transfrontaliers ne peuvent se rendre directement au Grand-Duché qu’en bus express s’ils souhaitent utiliser les transports en commun. Ceux qui prennent le train ont systématiquement une correspondance à effectuer. Le sujet doit être abordé par François Bausch et la ministre de l’Environnement de la Sarre, Petra Berg (SPD), lors de la conférence Mobil-Lux 2023, fin mars à Luxembourg.

Ewa

Le marché ferroviaire français vu par Trenitalia

Roberto Rinaudo

Roberto Rinaudo était l’invité le 6 juillet du le Club VRT. Le président de Trenitalia France a consacré sa carrière au ferroviaire, touchant un peu à tous les métiers : fret, finances, Intercités, grande vitesse… Aujourd’hui, il participe à l’ouverture à la concurrence en France. Devant les membres du Club, il a évoqué sa stratégie et ses ambitions sur le marché ferroviaire français.

Depuis le lancement, le 18 décembre, des premiers allers-retours entre Paris et Milan via Lyon, assurés par des rames à grande vitesse Frecciarossa, Trenitalia France a reçu beaucoup de commentaires flatteurs. Son président estime à près de 350 000 le nombre de voyageurs transportés sur les six premiers mois. Le taux de remplissage atteint en moyenne 93 % sur les destinations internationales Paris – Milan. Et environ 50 % sur les navettes entre Paris et Lyon, mais ce taux est à regarder avec précaution, estime Roberto Rinaudo, en raison de la nouveauté de l’offre : la première navette a seulement été lancée le 5 avril, puis deux autres ont suivi le 1er juin. La société propose donc désormais cinq allers-retours quotidiens (dont deux vont jusqu’à Milan), ce qui « représente 20 % de l’offre de l’opérateur historique sur l’axe Paris – Lyon », souligne le dirigeant italien.

20 % du marché

« Nous recevons déjà beaucoup d’appréciations positives de la part de nos clients via nos agents et via les réseaux sociaux » , assure-t-il. « Nos précédentes expériences nous ont permis de bien connaître le marché et les exigences des voyageurs français et de leur proposer un service de qualité, différent de ce que nous proposons en Italie, mais avec une âme italienne. Les lignes à grande vitesse de Trenitalia combinent une offre à haute qualité de service et une tarification basée sur la simplicité, la transparence et la visibilité », détaille Roberto Rinaudo.

Les clients de Trenitalia voyagent à bord de rames Frecciarossa, (flèche rouge) dotées de trois classes. Executive correspond à la classe business dans l’aérien, avec de larges fauteuils en cuir, inclinables et pouvant pivoter pour suivre le sens de la marche. A bord, le personnel propose de la restauration en illimitée.

La classe business est l’équivalent de la 1re classe, avec un design italien, une collation et le wifi. Des salons de réunions avec grand écran peuvent également être réservés pour optimiser les temps de déplacement des voyageurs d’affaires.

Ceux qui souhaitent bénéficier de la grande vitesse à petit prix, peuvent opter pour la classe standard, où, comme les voyageurs de la classe Executive, ils peuvent choisir entre une ambiance Silenzio, pour être au calme, ou Allegro. « Les Français apprécient davantage la tranquillité par rapport aux Italiens », remarque Roberto Rinaudo, qui en a tenu compte en doublant les voitures calmes.

 

 » NOS CINQ ALLERS-RETOURS QUOTIDIENS (DONT DEUX VONT JUSQU’À MILAN) REPRÉSENTENT 20% DE L’OFFRE DE L’OPÉRATEUR SUR L’AXE PARIS – LYON « 

« Nous ne cherchons pas à nous lancer dans une guerre commerciale avec la SNCF, mais à proposer une offre différente et complémentaire. Notre objectif est de faire grandir le marché du ferroviaire, car nous sommes persuadés qu’il existe des opportunités de le développer, portées par la transition écologique qui encourage le report modal », assure Roberto Rinaudo, qui affirme avoir tenu compte des attentes de la clientèle française pour définir sa politique tarifaire.

Celle-ci consiste, souligne-t-il, « en un bon rapport qualité prix et de la transparence ». Pour attirer des voyageurs, Trenitalia France ne propose ni cartes de fidélité, ni abonnements, mais compte sur la simplicité de sa tarification pour convaincre ses clients. « Nous avons un seul tarif, qui augmente lorsque les trains se remplissent et nous offrons de la flexibilité. Nos clients ont la possibilité de déplacer leur voyage ou de se faire rembourser gratuitement jusqu’au départ du train. »

Intérêt pour les TER aussi

Le patron italien a conscience que certains voyageurs apprécient les cartes de fidélité de la SNCF. « Il est important qu’il y ait une différenciation entre notre offre et celle de l’opérateur historique, car le but de l’ouverture à la concurrence doit être de faire grandir le marché en offrant plus de choix. » Roberto Rinaudo précise n’avoir pris aucun créneau à la SNCF pour lancer ses trains entre Paris et Lyon.

« Nous transportons principalement des voyageurs loisir sur les lignes internationales, davantage de voyageurs business sur les lignes domestiques », détaille le dirigeant qui prévoit d’investir pour mieux faire connaître son offre et améliorer la fréquentation de ses trains.

La SNCF a annoncé qu’elle ne distribuerait pas les billets de son concurrent italien dont les titres de transport sont vendus sur les sites de Trenitalia, Kombo ou Trainline. « Les canaux digitaux contribuent à booster les ventes », souligne Roberto Rinaudo. Il se félicite que certains sites proposent d’effectuer des choix de billets mixtes et permettent de comparer les prix, pour que les voyageurs puissent décider en fonction des tarifs et des créneaux disponibles.

Le patron de la compagnie ferroviaire se donne l’année 2022 avant de décider s’il renforcera ses services sur cet axe.

 » NTV A RÉALISÉ D’ÉNORMES INVESTISSEMENTS EN ITALIE, COMME NOUS AVONS DÛ EN FAIRE POUR PÉNÉTRER SUR LE MARCHÉ EN FRANCE « 

« Notre objectif est de consolider notre offre. Et de décider des conditions de notre développement en fonction des résultats. Nous sommes ouverts mais nous avançons avec prudence », souligne-t-il, reconnaissant que les études à venir porteront aussi sur d’autres liaisons. Une fois la décision prise, il faudra ensuite compter au moins deux ans avant le lancement effectif d’un nouveau service ferroviaire.

Roberto Rinaudo ne cache pas non plus son intérêt pour le marché des TER qui s’ouvre à la concurrence en France. Il se dit « convaincu de l’intérêt du marché », auquel il faut répondre avec « de meilleurs services et des prix plus bas ». Trenitalia « ne se positionnera pas partout » mais sera « sélectif », étudiera les appels d’offres « au cas par cas », seulement dans des régions où il y a des « synergies » à réaliser ou un « intérêt stratégique ». Interrogé plus précisément sur l’Ile-de-France, le dirigeant s’est contenté de dire que cette région représente un « marché très intéressant », avec un « volume de trafic équivalant au transport ferroviaire régional italien ».

Et il poursuit : « Nous sommes convaincus qu’avec l’ouverture à la concurrence, dont l’objectif est d’offrir plus de qualité de service, avec des prix plus bas pour les Régions et les voyageurs, il y a d’énormes opportunités en France ».

Mais, comme les projets ferroviaires en France, une fois décidés, prennent en moyenne deux ans, Trenitalia France n’envisage pas de nouveaux démarrages de lignes avant la fin 2023.

Des péages cinq fois plus chers qu’en Italie

Trenitalia exploite aussi des trains en Grèce, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne. Et connaît les spécificités de chacun de ces pays, liées à leur histoire, leurs techniques, leurs exigences. « Avant de se lancer sur un marché, il convient de bien comprendre ses contraintes. On ne peut pas proposer la même chose que dans son propre pays. Il faut s’adapter à ce que chaque clientèle demande. »

En Italie, Trenitalia partage le marché avec l’opérateur privé Nuovo Trasporto Viaggiatori, qui a profité de l’ouverture à la concurrence pour se lancer dès 2012. « La libéralisation du transport ferroviaire a été bénéfique. » Selon Roberto Rinaudo, la compagnie ferroviaire NTV-Italo qui exploite la ligne entre Rome et Milan, comparable au Paris – Lyon, a permis de faire croître le trafic de manière considérable, en bénéficiant du report modal de l’avion vers le train et a contribué à faire baisser les prix des billets sur cette ligne de 20 à 30 %.

Malgré ce succès, NTV reste le seul nouvel opérateur sur le marché italien. Ce que le président de Trenitalia France explique par la masse critique nécessaire pour se lancer. « NTV a réalisé d’énormes investissements en Italie, comme nous avons dû en faire pour pénétrer sur le marché en France. »

Mais il souligne que le marché italien présente un avantage non négligeable : des péages bien moins onéreux qu’en France. « Grâce à l’augmentation de trafic liée à l’ouverture à la concurrence, ils ont encore baissé, passant de 12 euros à 6 à 8 euros du train km, soit quatre à cinq fois moins cher que les péages sur la ligne Paris –Lyon », compare-t-il.

Il est donc plus facile de gagner de l’argent en Italie, où les bénéfices du groupe Trenitalia atteignaient 593 millions d’euros en 2019… contre une perte nette de 801 millions d’euros pour la SNCF (mais fortement impactée par la longue grève contre la réforme des retraites, sinon le résultat net récurrent aurait dû être positif à 313 millions d’euros, avait expliqué, à l’époque, la direction).

L’ouverture à la concurrence en Italie a permis d’offrir des revenus supplémentaires au gestionnaire de l’infrastructure, qui s’en sert pour rembourser la dette liée aux investissements réalisés sur les LGV, tandis que les opérateurs utilisent leurs profits pour réaliser de nouveaux investissements.

 » NOUS AVONS PRÉVU DE CONTINUER À NOUS DÉVELOPPER POUR QUE DE PLUS EN PLUS DE GENS CHOISISSENT LE TRAIN, CAR C’EST UNE VRAIE SOLUTION DE TRANSPORT ÉCOLOGIQUE ET ÉCONOMIQUE « 

« En France le péage est plus cher, ce qui ne permet pas de bénéficier d’une croissance accélérée. Le système est différent : en Italie la maintenance est payée par l’Etat, ce qui permet de réduire le prix des péages », reconnaît le président de Trenitalia France, qui a bénéficié d’un coup de pouce pour lancer son train à grande vitesse dans l’Hexagone. Comme la loi l’y autorise, l’entreprise a demandé à SNCF Réseau de lui accorder des réductions de péages, qui ont ensuite été validées par l’Autorité de régulation des transports. Trenitalia France bénéficiera d’une remise de 37 % pour la première année, de 16 % pour la deuxième année et d’une dernière ristourne, optionnelle, de 8 % pour la troisième année.

« Cette tarification différentielle permettant de bénéficier de coûts de péages moindres, de manière transitoire, est offerte à tous les opérateurs, pour compenser partiellement les surcoûts liés au lancement d’une ligne », justifie Roberto Rinaudo, qui ajoute que les réductions accordées sont loin de compenser les investissements qui ont été nécessaires pour accéder au marché. Pour s’installer sur le marché français, et notamment faire homologuer son matériel roulant, Trenitalia France a investi quelque « 300 millions d’euros ».

En plus de la nécessité d’obtenir l’homologation et la certification de sa flotte pour se lancer, Trenitalia France s’est trouvée confrontée à la difficulté de recruter du personnel. « Cela n’a pas été simple de trouver des conducteurs, des directeurs de la sécurité car le secteur a des compétences limitées et souffre de pénurie de personnel », indique Roberto Rinaudo qui est tout de même parvenu à composer une équipe de 160 collaborateurs, dont 55 agents roulants, conducteurs et agents de bord, une trentaine de personnels d’accueil, une dizaine de contrôleurs, en plus d’une équipe au siège chargée des RH et de la finance… « Tous français, à l’exception de cinq Italiens, avec des contrats français », insiste leur employeur.

De la place pour tous

La SNCF assiste à un engouement des Français pour le train. Roberto Rinaudo veut croire que l’arrivée d’un nouvel opérateur contribuera à la croissance du marché, stimulera la demande des voyageurs et qu’ils seront de plus en plus nombreux à renoncer à la voiture et à l’avion pour prendre le train, comme cela s’est passé en Italie.

Il constate déjà que de plus en plus de Français choisissent de recourir au train, parce que c’est un moyen de transport écologique, qui offre confort et qualité, où l’on peut manger, travailler, jouer, se reposer et relier des centres-villes. Ce qui rend le président de Trenitalia France confiant pour la suite. « Je ne crois pas que la crise Covid changera les habitudes des voyages d’affaires, mais si c’est le cas, on s’adaptera. Je pense que le ferroviaire sera moins impacté que d’autres modes. En contribuant à offrir plus de choix aux voyageurs, je suis persuadé que davantage de Français vont finir par préférer le train à l’avion, ou la voiture. »

Il dresse un premier bilan positif de son expérience sur le marché hexagonal : « Nous sommes très heureux de proposer une offre à grande vitesse en France et que les premiers résultats démontrent de l’intérêt de la part de la clientèle. Nous avons prévu de continuer à nous développer sur ce marché en proposant une offre de plus en plus riche, pour que de plus en plus de gens choisissent le train, car avec la crise de l’énergie et du pouvoir d’achat, c’est une vraie solution de transport écologique et économique. »

Valérie Chrzavzez


Le pionnier Thello

Trenitalia a fait une première incursion sur le marché français, sous le nom de Thello, en lançant en 2011 un train de nuit entre Paris et Venise via Milan, puis à partir de 2014, un train de jour assurant la liaison Marseille – Milan. Thello était alors une joint-venture entre Trenitalia et Veolia. En 2016, Transdev qui avait repris Veolia, s’est retiré du capital de Thello, et en juillet 2021 l’entreprise, rebaptisée Trenitalia France, a mis un terme à ces lignes. Son président, Roberto Rinaudo, explique que le Covid et les problèmes de disponibilité de sillons attractifs l’ont contraint à stopper ces activités pour se concentrer sur les lignes à grande vitesse.

Ewa

MaaS : l’enjeu de la standardisation

©VRT

Porté par les collectivités et les entreprises de transport, le MaaS (Mobility as a Service) semble promis à un bel avenir : il doit devenir le sésame d’une mobilité facilitée, permettant de réserver et de payer son déplacement d’un seul clic sans se soucier du mode de transport ou de l’exploitant. Mais, malgré cet enthousiasme, bien des questions se posent encore. Quel bilan peut-on dresser ? Quels sont les axes de développement ? Où en est la standardisation ? Les invités à la conférence sur le MaaS, organisée le 19 mai par Ville, Rail & Transports, ont apporté les premières réponses.

 

Alors qu’une centaine d’initiatives ont essaimé en France autour du MaaS, la question de dresser un premier bilan se pose. Aurélien Cottet, directeur commercial international d’Instant System, note une certaine ambivalence, notamment au niveau des attentes. « Il y a beaucoup d’initiatives qui s’avèrent parfois trop ambitieuses alors qu’il faut y aller pas à pas », affirme-t-il. Citant la courbe de Gartner (courbe d’adoption de nouvelles technologies établies par le cabinet de conseil Gartner), il estime que la phase de désillusion n’est pas arrivée, puisqu’on en est encore au niveau de l’établissement de « pilotes ». « Il n’y a pas encore de vraie opération », constate cet ancien coordinateur de projet MaaS chez Transdev.

Aurélien Cottet rappelle que Transdev est actionnaire de MaaS Global, l’une des premières sociétés à avoir développé et déployé un vrai MaaS opérationnel à Helsinki. « Quand MaaS Global s’est lancé en 2017, ses équipes visaient un déploiement dans 30 villes en 2018. Or, en 2022, ils sont présents dans cinq à six villes. »

IL Y A BEAUCOUP D’INITIATIVES QUI S’AVÈRENT PARFOIS TROP AMBITIEUSES ALORS QU’IL FAUT Y ALLER PAS À PAS Aurélien Cottet

Complexités locales

La complexité de chaque projet local a été largement sous-estimée et les expériences ne sont pas facilement transposables d’une ville à l’autre, chaque service de mobilité locale possédant son propre système d’information et ses propres moyens de fonctionner. Instant System travaille actuellement au développement de solutions MaaS à Bruxelles ou en Ile-de-France avec IDFM.

Pour Eric Alix, président de RATP Smart System, il semble trop tôt pour parler de bilan alors que l’heure du MaaS vient tout juste de démarrer en France. « L’acte fondateur ne date que du 1er juillet 2021 conformément à la LOM. Cela démarre donc tout juste en France. Beaucoup d’acteurs doivent passer des contrats, mais il faut auparavant les définir, nous n’en sommes encore qu’aux prémices », lance-t-il.

 

Intégration des données

Des expériences de MaaS sont lancées, les chantiers de standardisation des données transports sont donc encore loin d’être achevés. Nicolas Cosson, président de Hove (né du rapprochement de Kisio Digital et Kisio Consulting), considère que l’on sous-estime le nombre de données différentes et la complexité à les intégrer. « Le MaaS a besoin de la brique transports en commun, mais cela ne suffit pas car ce n’est qu’une famille de données », souligne-t-il, en détaillant les trois « grandes familles » de données : en plus des transports publics (trains, bus, tramways, métros, mais aussi des moyens moins répandus comme les navettes fluviales ou les funiculaires), un second groupe rassemble la voiture et tous ses usages potentiels comme l’autopartage, l’autosolisme, les taxis et VTC, auxquels s’ajoutent les mobilités douces avec les trottinettes et vélos (en libre service ou en propre), le transport à la demande, dynamique ou non, et « tout ce qui concerne le stationnement et les pôles d’échanges multimodaux et intermodaux, gares pour garer un vélo sécurisé et les stations de covoiturage ».

Comme les voyages ne s’effectuent en général pas de gare à gare, mais d’une adresse à une autre, il faut maîtriser d’autres types de données, poursuit Nicolas Cosson : on peut les trouver par exemple dans OpenStreetMap ou bien chez Google avec StreetView, en attendant une hypothétique entité française capable de fournir une solution made in France. Ces données constituent la troisième famille mise en place pour concevoir un itinéraire en tenant compte des informations sur la voirie (par exemple la déclivité, utile si l’on est en situation de handicap), ou d’autres éléments qui entrent en ligne de compte en termes de fréquentation et de trafic, comme la météo et des événements (manifestations ou épreuves sportives de type JO). « Toutes ces données vont donner un premier niveau d’information, mais cela ne constitue que le premier étage de la fusée, car on n’a pas encore parlé de réservation, paiement et dématérialisation des billets », résume Nicolas Cosson.

 

Quatre étages de la fusée MaaS

Alexandre Cabanis, directeur marketing d’Ubitransport, complète : « Il y a un consensus sur les quatre étages de la fusée, le premier étant effectivement le calculateur d’itinéraire, avec les difficultés évoquées. Le deuxième étage est constitué par la vente mono-modale. Il faut que les acteurs qui la proposent depuis leur application disposent d’un outil capable de gérer l’ensemble de la gamme tarifaire du réseau, pour ne pas vendre qu’un simple titre au plein tarif mais potentiellement 48 titres différents en fonction du profil implicite ou explicite de voyageur ! »

D’autres difficultés s’ajoutent avec les deux derniers « étages » de la fusée MaaS, constitués de la vente intermodale et enfin de toutes les initiatives permettant de faire cesser l’autosolisme. « Les régions ont raison d’être gourmandes en termes de fonctionnalités à apporter à leurs usagers. Mais, pour la vente intermodale, qui consiste à vendre en un acte une trottinette, un bus et un bateau, il faut que les trois opérateurs se soient déjà mis d’accord pour gérer les compensations et les moyens de les rétribuer en retour. Quant au dernier niveau, c’est encore plus flou », prévient-il.

 

Mon Compte Mobilité pour simplifier

Côté utilisateurs, les chantiers avancent aussi. Le programme « Mon Compte Mobilité » (MOB), animé par La Fabrique des Mobilités, doit permettre de défricher la complexité. « C’est un des résultats attendus sur le programme des Certificats d’économie d’énergie, à destination des citoyens, et des entreprises qui sont concernées, avec l’application du forfait mobilité durable dans le cadre de la LOM », explique Julie Braka, cheffe de projet à La Fabrique des Mobilités sur la standardisation des interfaces MaaS.

L’ACTE FONDATEUR POUR LE MAAS NE DATE QUE DU 1er JUILLET 2021 CONFORMÉMENT À LA LOM. CELA DÉMARRE DONC TOUT JUSTE EN FRANCEa “ Eric Alix

Le programme MOB doit permettre de simplifier la gestion des « surcouches d’aides locales », en commençant par leur recensement. « IDFM est par exemple incapable de citer toutes les aides qui sont mises en place sur son territoire, car ces aides sont financées par les collectivités locales. Notre but consiste à aider les citoyens à s’y retrouver dans ce mille-feuille d’aides tout en simplifiant les démarches, afin de ne pas fournir 10 fois les mêmes documents comme des justificatifs CAF ou le permis de conduire. »

Le MaaS a besoin de la brique transports en commun, mais cela ne suffit pas car ce n’est qu’une famille de données “ Nicolas Cosson

 

Distribution des titres

Eric Alix considère pour sa part que le premier « étage » – le calculateur d’itinéraires – est à peu près cerné, même s’il reste des difficultés pour le déployer sur de nombreux territoires. « Nous disposons déjà de beaucoup de données disponibles en temps réel pour le transport en commun. L’acquisition de Mappy nous a, de plus, permis d’avoir une vision transverse des données du monde automobile, même s’il nous manque encore les données en temps réel, raison pour laquelle nous avons un contrat avec TomTom. Cela nous permet de faire énormément de progrès sur l’information voyageurs. »

Le dirigeant ajoute que les difficultés apparaissent pour l’ouverture de la distribution des titres. « C’est le coeur du sujet. Il faut appréhender la façon dont on s’intègre d’un point de vue client et quels termes régissent notre relation. Si on veut que le MaaS passe à grande échelle, tous les acteurs doivent veiller à ce que leurs systèmes d’information voyageurs puissent s’interfacer les uns avec les autres, grâce à des API compatibles, c’est ce qui s’appelle l’API based economy. »

 

Compatibilité des API

La compatibilité des API est effectivement centrale, mais les acteurs sont-ils prêts à ouvrir toutes les données ? Aurélien Cottet a remarqué que, dans la plupart des projets MaaS où différents modes doivent s’intégrer, les API sont souvent incomplètes.

« Lorsqu’il s’agit de savoir où se trouve une trottinette ou une voiture en autopartage, les acteurs sont enclins à partager ce type de données. Ils sont beaucoup plus réticents à aller plus loin, surtout lorsqu’il s’agit de s’intégrer dans une application tierce. La crainte de perdre le client final est toujours présente pour les opérateurs privés. »

Il considère que les problématiques techniques se résoudront fatalement dès lors que les acteurs se mettront tous d’accord d’un point de vue commercial. « La véritable première problématique consiste à se mettre d’accord commercialement afin de gagner potentiellement plus de clients. Car beaucoup d’utilisateurs, qui ont l’application des transports en commun, n’ont pas envie de télécharger une application supplémentaire, ou de mettre leur carte bancaire, pour utiliser une trottinette. Cela constitue un frein certain. Or tous ceux qui ont joué le jeu ont augmenté leur part d’utilisation de leur propre service », a-t-il constaté, notamment dans les villes ayant imposé aux opérateurs de mobilités privées d’ouvrir leurs données avec des API compatibles. « Le jour où on aura cela en Europe, ce sera beaucoup plus simple, un service de mobilité utilisé localement pourra être utilisé partout ailleurs avec la même facilité », insiste-t-il.

 

Norme imposée… ou pas

Selon Alexandre Cabanis, « c’est souvent le chemin de la norme imposée par le haut qui est plus efficace, quand elle n’est pas imposée légalement par l’Etat, comme en Norvège ou en Suisse où toute l’information voyageurs et la distribution de titres ont été centralisées. Ce qui a permis de couvrir les niveaux 1 à 3 du Maas en cinq ans ». Pour les industriels ou les entreprises qui apportent des services digitaux, les enjeux restent toutefois importants, puisqu’un seul acteur aura le rôle de coordinateur, et la lutte sera serrée pour l’obtenir, précise-t-il. « Le MaaS signifie également qu’un seul acteur aura cette place. Il y a donc des enjeux business importants », poursuit-il.

Nicolas Cosson ne croit pas à la norme imposée mais plutôt à la force de l’exemple. « Une partie de notre code est open source aujourd’hui, c’est une manière de partager les choses sans les imposer. Les gens peuvent jouer avec des jeux de données, regarder ce qu’on peut en faire sur une application, c’est un bon moyen de partage. »

Et de poursuivre : « C’est peut-être naïf mais notre mission consiste à favoriser l’usage de mobilités durables, inclusives et partagées. On ne le fait pas uniquement pour de l’intérêt financier, mais aussi parce que l’on considère que c’est un bien communautaire. On travaille au développement de biens numériques communs pour lutter contre l’autosolisme, et on pourrait aussi envisager de faire de la qualification autour de l’empreinte carbone en signalant les gains réalisés en termes de gain de CO2 lorsque l’on utilise d’autres moyens que la voiture pour se déplacer. Ce qui permettrait même de se comparer par rapport à des collègues de travail. »

 

Faiblesse des budgets

La normalisation est également attendue côté opérateurs, notamment pour des raisons budgétaires. Aurélien Cottet souligne la faiblesse des budgets accordés aux projets MaaS lorsqu’ils sont gérés par des autorités publiques sous délégation. « Il faut arriver à pouvoir en vivre alors que les projets sont complexes. La normalisation va enlever de la complexité. Nous avons ainsi été appelés pour un projet en Egypte, où nous avions la possibilité d’imposer nos conditions en tant qu’intégrateur, ce qui a permis une intégration plus facile et plus rapide », estime-t-il.

Si les acteurs de la mobilité sont priés de coopérer, les régions françaises pourraient également jouer le jeu en évitant de développer chacune de leur côté leur propre SIM (système d’informations multimodales), suggère Nicolas Cosson. Et d’expliquer : « Chaque région ou commune tient à développer sa propre application qui ne communique pas avec celle du voisin, avec une tarification qui ne communiquera pas non plus. Il y a un vrai questionnement d’un point de vue politique : la notion de couverture nationale est peu présente, mis à part pour la SNCF et IDFM qui disposent d’une très grande couverture. »

 

Standardisation communautaire ou universaliste

Deux logiques s’affrontent généralement à propos de la standardisation, observe Julie Braka. La première, dite communautaire, démarre avec un nombre limité d’acteurs – qui peuvent relever des secteurs privés ou publics – et qui vont rechercher un plus petit dénominateur commun avec l’idée d’avancer très vite pour répondre à une problématique identifiée par ces mêmes acteurs. C’est typiquement l’exemple du standard GTFS qui a été commencé par Google. « Le GTFS est devenu un standard de fait car il est facile à utiliser. Il a même été détourné plusieurs fois, à tel point qu’il a fallu mettre en place un système pour le réorganiser avec Mobility data car on s’y retrouvait plus. »

IL FAUT QUE LES ACTEURS QUI PROPOSENT LA FUSÉE MAAS DEPUIS LEUR APPLICATION DISPOSENT D’UN OUTIL CAPABLE DE GÉRER L’ENSEMBLE DE LA GAMME TARIFAIRE DU RÉSEAU “ Alexandre Cabanis

Un autre exemple, plus franco-français, provient du covoiturage. « C’était compliqué au départ car il a fallu se mettre d’accord sur la gouvernance, mais aujourd’hui nous sommes dans une phase plus technique, avec la rédaction d’une première version d’API attendue pour le mois de juin 2022, et avec l’objectif d’aller sur du normatif par la suite. Il a fallu commencer à poser ce minimum en partant d’un historique, le fameux standard covoiturage de la région Ile-de-France, sans détruire le travail de certains opérateurs. Ce sont des petits acteurs sans moyens incroyables pour développer, mais ils ont besoin de plus d’usagers pour arriver à une masse critique qui leur fait défaut. Ils se sont donc mis d’accord entre concurrents, car ils ont besoin de ces standards pour aller sur de nouveaux territoires. » La seconde démarche, plus exhaustive, appelée universaliste, est beaucoup plus large puisqu’elle cherche à répondre à un nombre d’usages très importants, « mais elle aura du mal à se diffuser car elle s’avère souvent trop complexe », affirme Julie Braka. C’est le cas du format comme NeTEx « qui est extrêmement complexe et fait peur à beaucoup d’acteurs, notamment ceux des nouvelles mobilités et les collectivités qui n’ont pas les moyens de gérer une telle complexité car elle répond à tous les cas d’usages. Il faut aussi rendre possible son utilisation, car elle représente 1 500 pages ». Selon elle, ces deux démarches ne sont pas incompatibles : « Nous avons besoin des deux démarches et qu’elles aillent l’une vers l’autre. » Et de conclure : « Nous avons besoin d’informations de qualité, sinon nous n’arriverons pas à faire du MaaS car nous perdrons beaucoup d’acteurs en cours de route ».

Eric Alix ajoute que les enjeux du MaaS dépassent les échanges d’informations, même s’ils en constituent le socle. « L’API based economy c’est la base, parce que l’intégration est plus facile et coûte moins cher à chacune des parties. Mais le Maas c’est aussi une plateforme : il faut aller chercher des clients en masse, leur faire découvrir les services et les accompagner dans le développement de l’usage. » Autrement dit, « il faut peut-être faire le programme qui va faire de l’incentive au report modal et communiquer avec les nouvelles offres des partenaires, il y a un très gros volet opération. Si on fait le MaaS à l’échelle, il faut vraiment compléter l’approche technique avec l’approche opérationnelle et la gouvernance, car il s’agit de contribuer à une politique de mobilité sur un territoire ».

Les objectifs du MaaS sont en effet ambitieux, puisqu’il s’agit de convaincre in fine l’utilisateur de laisser sa voiture au garage. Mais le chemin est semé de chausse-trapes, notamment celles destinées à protéger le marché de la concurrence.

En Europe, ce phénomène peut s’expliquer d’un point de vue historique, rappelle Alexandre Cabanis. Et de citer une certaine tendance à compliquer les échanges pour aller d’un pays à l’autre, comme l’écartement des rails ou des réseaux électriques différents, afin de dissuader une éventuelle agression d’un pays ennemi. « Cette volonté de protéger le marché se heurte à la réalité des modèles économiques des entreprises, qui ont besoin de distribuer leurs produits sur le plus de territoires possible. Aujourd’hui, dans la monétique utilisée dans les bus, on retrouve d’un côté certains pays où il est facile d’utiliser sa carte Visa ou Mastercard pour circuler, alors que dans d’autres, comme la France ou l’Espagne, il y a des barrières à l’entrée. C’est pour cela que dans certains cas, le fait d’avoir une norme imposée, c’est une aubaine », estime-t-il.

Pour l’information voyageurs, c’est l’inverse. « Le marché français a toujours utilisé des formats simples, qui sont le GTFS et GTFS-RT (en temps réel), alors que l’Europe, pour résister aux GAFA, essaye de développer un autre format plus riche et plus compliqué qui s’appelle le NeTEx et sa version temps réel qui est le SIRI. On n’en est pas encore à une imposition formelle car les deux systèmes peuvent coexister, mais si demain les normes NeTEx et SIRI étaient imposées, ce serait une opportunité pour les industriels de pouvoir se déployer facilement dans tous les pays. »

Pour Aurélien Cottet, les entreprises de la billettique avaient jusqu’à présent tendance à avoir leur propre système fermé. « Il n’y avait pas de problématique de digital et d’ouverture à des tiers car il s’agissait de ticket, puis de cartes. Avec les titres sur téléphones portables, les billetticiens historiques voient leurs prés carrés mis à mal. La ville de Sydney avait un opérateur américain, Cubic, qui ne voulait pas ouvrir son système. La ville a déclaré qu’elle était prête à abandonner tout le dispositif pour prendre un acteur prêt à le faire. En six mois, Cubic a créé une API alors que cela semblait impossible avant », témoigne-t-il.

La pression ne marche pas toujours. En Allemagne du nord, les acteurs de la billettique ont réussi à imposer deux systèmes qui fonctionnent en parallèle et l’opérateur doit mixer les deux pour effectuer son bilan comptable. Parfois, la contrainte ne vient pas d’une autorité organisatrice des mobilités mais d’un élément extérieur, comme la Covid-19. « Plus personne ne voulait toucher un bouton et mettre ses doigts nulle part, alors qu’avant les opérateurs étaient très attachés au geste de validation et de lutte contre la fraude », se souvient Nicolas Cosson. La pandémie a permis un développement express du SMS ticketing, du paiement par mobile ou par QR code. « En France, 70 réseaux opérés par Keolis sont désormais équipés de systèmes de paiement par mobile et QR code », indique-t-il.

Finalement, comme Alexandre Cabanis le résume, « il y avait effectivement une culture où chacun maîtrisait un réseau avec sa gamme tarifaire et était le seul maître à bord, mais depuis une dizaine d’années il y a eu une première ouverture avec Calypso avec l’opérabilité billettique ». Avec la LOM, les billetticiens se sont adaptés autour des API. « Mais la question derrière, c’est quelle API ? La mienne ou la vôtre ? On revient toujours au problème de gouvernance, au rapport de force entre acteurs », expose-t-il. Eric Alix acquiesce. Et pose une autre question : « Lorsque deux parties doivent s’intégrer, on doit définir l’endroit où commence l’une et finit l’autre. Par exemple qui prend en charge la billettique et le SAV ? »

 

Business model

La LOM est restée assez discrète sur la façon dont les modèles économiques peuvent se mettre en place en matière de partage des données. Aussi, la question du business model peut se poser. Alexandre Cabanis rappelle qu’il y a en effet une mise à disposition de vente par des tiers par le biais d’API, « contre une somme modique ». Et de préciser : « Si on utilise mon tuyau 15 fois, cela fera 15 appels API qui valent tant de centimes. Mais les acteurs industriels ne vont pas marger dessus, ils ne feront que compenser le coût. En revanche, en mettant à disposition mon propre tuyau, je vais surtout récupérer, en contrepartie, des données. C’est le nerf de la guerre, qui concentre le plus de valeur. C’est pour cela qu’il y a autant de batailles, non pas autour du standard ou de la norme utilisée, mais du tuyau qui sera utilisé », avance-t-il.

NOUS VOULONS AIDER LES CITOYENS À S’Y RETROUVER DANS CE MILLE-FEUILLE D’AIDES TOUT EN SIMPLIFIANT LES DÉMARCHES, AFIN DE NE PAS FOURNIR 10 FOIS LES MÊMES DOCUMENTS Julie Braka

Aurelien Cottet signale de son côté qu’en Belgique et aux Pays-Bas, les entreprises doivent réaliser un rapport sur l’empreinte carbone de mobilité de leurs employés (toutes les sociétés en Belgique et celles comptant plus de 250 employés aux Pays Bas). « Le business model est ici purement fiscal. Il est possible que d’autres pays européens imposent à leur tour ce type de rapport d’empreinte carbone, que cela soit pour les déplacements domicile-travail ou pour les déplacements professionnels », prévient-il.

Une question taraude tous les acteurs du MaaS. Un acteur comme Google arrivera-t-il à imposer son standard, comme il l’a fait pour l’information voyageurs ? Aurélien Cottet indique que Google y songe déjà, puisque l’entreprise gère ses projets MaaS par sa filiale Google Pay, dédiée au système de paiement, plutôt que par Google Maps, dédiée au calculateur d’itinéraires. La carte de paiement deviendrait ainsi le sésame de la mobilité, à condition d’être liée à un calculateur multimodal d’itinéraires. Alexandre Cabanis poursuit : « Ce sera le prochain gros changement de paradigme dans le MaaS. L’utilisateur n’aura besoin que d’une carte bancaire pour voyager, en validant chaque étape tout en ayant la garantie d’être prélevé au meilleur tarif possible en fin de journée. L’open payment est peut-être l’avenir du MaaS », lance-t-il. A condition que les acteurs se soient mis d’accord pour refacturer et répartir entre eux les recettes de manière équitable.

 

 


Démarches de standardisation

Quel positionnement les acteurs de la mobilité doivent-ils adopter dans leurs démarches de standardisation ? Selon Aurélien Cottet, la situation évolue vite. « Il y a deux ou trois ans, les acteurs des trottinettes et vélos partagés ne voulaient pas nous voir, mais ils ont commencé à comprendre que les villes allaient reprendre la main sur la mobilité de leurs territoires, et maintenant, tous ces acteurs tapent à notre porte. La standardisation va s’effectuer de fait car tous les acteurs qui exercent sur la voie publique devront avoir un droit de pouvoir opérer et, ce droit, c’est la collectivité qui la donne », témoigne-t-il. Julie Braka insiste pour sa part sur l’intérêt de recourir à un acteur neutre, comme la Fabrique des Mobilités, pour assurer le succès d’une démarche de standardisation. « Nous ne vendons pas de la mobilité, mais nous sommes là pour mettre ces acteurs autour de la table, on fait de la facilitation, ce n’est pas un moment facile, on doit trier entre ce qu’on prend et ce qu’on jette dans le standard. »

Comment parvenir à un consensus ? Et comment proposer un standard qui permette de répondre à un maximum de cas d’usage sans pour autant créer une usine à gaz ?

Il faut agir avec pragmatisme, répond Alexandre Cabanis, en citant deux exemples. « La norme Intercode, censée régir le fonctionnement des systèmes billettique, a été bâtie sur une telle règle du consensus qu’elle est devenue un mille-feuille absurde. A contrario, si l’on prend le marché du covoiturage en France, les trois plus gros acteurs se sont rapidement mis d’accord pour avoir un standard qui fonctionne entre eux, pour ensuite l’adapter afin qu’il rentre dans une norme officielle. »

Julie Braka insiste : « Dans notre démarche, il arrive un moment où on doit forcer les acteurs à prendre une décision pour éviter de créer un projet complètement hors-sol. Il faut arriver à une V1, quitte à faire une V2 ensuite. »


S’inspirer des exemples européens

Interrogée sur l’existence de projets MaaS en Europe, Julie Braka cite la démarche Tomp API, initiée par le gouvernement néerlandais. « Il n’y a pas d’organisation officielle, mais des acteurs qui travaillent ensemble pour mettre en place un standard reposant sur des blocs fonctionnels. Le gouvernement a indiqué qu’il était d’accord pour financer sept MaaS à condition d’avoir un standard pour ne pas avoir à financer sept MaaS différents, qui ont été mis en place dans des villes aux contextes différents ». Aurélien Cottet ajoute que la Suisse dispose déjà de plusieurs projets grâce au ticketing, « ils sont plus pragmatiques, mais c’est plus simple car le pays est plus petit », et que l’Allemagne, désormais convaincue, a initié des démarches dans plusieurs villes, avec l’appui de la Deutsche Bahn. Le Royaume-Uni a pour sa part lancé des appels d’offres dans plusieurs régions, et des expériences démarrent également en Italie et en Espagne.

Ewa

Inclusivité : la dernière roue du MaaS ?

visuel conf maas font

L’essor du MaaS porte de nombreux espoirs d’une mobilité plus fluide et plus durable. Mais fluide et durable pour qui ? Cette tribune interroge les enjeux sociaux soulevés par le développement du MaaS, la digitalisation et la dématérialisation des services de transport. Par Nicolas Louvet, Léa Wester

 

Dans un contexte de multiplication des offres de services de mobilité, le MaaS a pour objectif de fournir à l’usager une solution multimodale fluide accompagnant l’usager, du stade de l’information à celui de la réalisation du trajet. En intégrant également l’achat et l’utilisation de services de mobilité (validation du titre ou déverrouillage des véhicules), les applications MaaS se présentent comme des supports numériques complets pour les déplacements. Les pionniers du développement de telles solutions sont des acteurs privés qui agrègent aujourd’hui plusieurs services de transport publics et privés dans des abonnements. Par exemple, l’application Whim, présente à Vienne, Anvers, Helsinki, Tuk, Tokyo et Birmingham, développée par MaaS Global, intègre à la fois les transports en commun, les modes en free-floating et les taxis.

En France, la plupart des MaaS sont développés dans le cadre de marchés publics, par l’opérateur de transport en commun ou un acteur tiers. Il s’agit d’une infrastructure supplémentaire dans le système de transport public, au même titre qu’un tramway ou une ligne de bus : le MaaS est une sorte d’infrastructure numérique.

Le déploiement de telles solutions dans le cadre du secteur public qu’est celui des transports urbains en France soulève un certain nombre de questions concernant l’inclusivité de ces services : les territoires sont-ils tous intégrés ? L’ensemble des habitants ont-ils accès au service quelles que soit leurs caractéristiques sociales ou économiques ? En effet, la construction du MaaS implique à la fois la digitalisation des transports et l’association dans un même système de transport de services publics et privés. Quels sont les impacts de ces deux processus sur l’inclusivité globale du MaaS ? Comment ses enjeux digitaux ?

 

Le MaaS ne crée pas le transport mais il peut en améliorer son usage en combinant offre publique et privée au service de l’inclusivité

La Loi d’Orientation des Mobilités1 prévoit un cadre pour éviter d’éventuelles conséquences négatives du développement du MaaS au niveau territorial. L’article 28 oblige les opérateurs de MaaS à référencer l’ensemble des services à l’échelle du bassin de mobilité. Il s’agit ici de limiter l’apparition de zones exclues du MaaS malgré la présence de services de mobilité.

Au-delà de cet article, peu d’obligations existent pour les opérateurs de MaaS en matière d’inclusion sociale et territoriale. Pourtant d’autres actions sont possibles. Les transports privés inclus dans le MaaS pourraient avoir des contraintes similaires à celles des transports publics, qui agissent pour l’inclusivité à la fois sociale (aménagements pour les personnes à mobilité réduite, tarification sociale…) et territoriale (création de lignes pour désenclaver certains territoires…). Les transports privés inclus dans le MaaS pourraient mettre en oeuvre des actions similaires. Par exemple, Transport for London a mis en place un programme d’évaluation d’impact sur l’égalité (equality impact assessment) qui incite les opérateurs privés à favoriser l’accès à leurs services grâce à des tarifications sociales. En Amérique du Nord, les services de micromobilité intègrent des mesures pour l’égalité à travers une communication ciblant les femmes (moins utilisatrices de ces services).

 

Digitalisation, dématérialisation et inclusivité

Un frein à l’inclusivité des MaaS actuels est qu’ils ne proposent que rarement un support physique. Les différentes étapes du déplacement (calcul d’itinéraire, choix des modes, achat de titres et validations pendant le trajet) sont toutes accompagnées via une application smartphone. Par ailleurs, si les services autour des transports publics inclus dans le MaaS conservent une version physique en dehors du MaaS (guichets, carte ou ticket de transport…), les opérateurs privés ont souvent des offres 100 % numériques. Dans ce contexte, les utilisateurs du MaaS doivent être capables d’utiliser ces services numériques ce qui implique un équipement adapté et un certain nombre de compétences.

Selon le baromètre numérique 2021, 35 % des Français ne sont pas à l’aise avec le numérique. Si on s’intéresse plus précisément au smartphone, 16 % de la population ne possède pas de smartphone et 27 % n’utilise pas de smartphone quotidiennement2. Une solution d’inclusion au MaaS en dehors du smartphone devrait donc être envisagée pour cette part non négligeable de la population. Par ailleurs, la possession d’un smartphone ne signifie pas la mobilisation de toutes ces potentialités. Il convient de dissocier dans l’analyse du rapport au numérique l’accès au matériel et les motivations et attitudes quant à son utilisation3. Dans ce contexte, associer un guichet physique au MaaS permet l’inclusion de tous les usagers à l’information, aux abonnements existants et à un soutien technique par du personnel formé. Par ailleurs, des solutions existent pour faciliter l’interopérabilité des supports de billettique cartes et smartphone et lever le frein constitué par la billettique dématérialisée : le MaaS viennois a fait une tentative de support sur une carte en 2015 qui n’a pas été concluante et en 2019, Citymapper a lancé une carte à Londres qui est toujours en circulation.

 

UN FREIN À L’INCLUSIVITÉ DES MAAS ACTUELS EST QU’ILS NE PROPOSENT QUE RAREMENT UN SUPPORT PHYSIQUE

 

16 % DE LA POPULATION NE POSSÈDE PAS DE SMARTPHONE ET 27 % N’UTILISE PAS DE SMARTPHONE QUOTIDIENNEMENT

 

L’amélioration des services de transport pour tous : la condition sine qua non du MaaS

L’un des objectifs du MaaS est de fluidifier l’accès aux services de mobilité et favoriser ainsi des pratiques alternatives à l’autosolime. Dans ce contexte, la digitalisation est à la fois un atout et une limite. L’avénement de la mobilité numérique peut être accompagné de nouveaux facteurs d’exclusion de la mobilité pour des populations précaires qui souffrent d’un déficit d’acculturation aux usages du numérique et de matériel disponible4. La vulnérabilité face à la digitalisation des services de transport combine les inégalités d’accès au numérique et aux services de transport. Plusieurs segments de population aux facteurs de vulnérabilité transverses sont identifiables5 : femmes, personnes âgées, personnes avec un faible niveau d’éducation ou de faibles revenus, habitants de quartiers populaires ou d’espaces ruraux….

Le développement du MaaS en France s’inscrit dans la construction de solutions de mobilité plus durable : il s’agit de ne pas creuser les inégalités d’accès à la mobilité et de veiller à construire des services de MaaS inclusifs. En ce sens, la prise en compte des populations vulnérables et de leurs caractéristiques est essentielle pour la construction du MaaS. Une réflexion qui mettrait l’inclusivité au centre peut faire du MaaS un levier pour l’amélioration de l’accès à la mobilité. Ainsi, le MaaS peut participer à l’amélioration des services de transport existants en mettant ses atouts en termes de fluidité et de lisibilité au service de l’inclusivité.

1 GART, 2020, LOM : décryptage du GART, 84p.
2 Arcep, 2021, Baromètre du numérique,
3 48p. 3 Lupač, P. (2018). Beyond the digital divide : Contextualizing the information society.
4 AdCF, France Urbaine et Trasndev, 2021, Quartiers populaires et politiques de mobilités : enjeux et retours d’expériences locales, 96p.
5 Anne Durand, Toon Zijlstra, Niels van Oort, Sascha Hoogendoorn-Lanser & Serge Hoogendoorn (2022) Access denied ? Digital inequality in transport services, Transport Reviews, 42 :1, 32-57

Ewa

« Chacun d’entre nous doit se demander comment réduire son empreinte carbone »

Patrick jeantet

Ancien PDG de SNCF Réseau, Patrick Jeantet est aujourd’hui senior adviser pour le fonds d’investissement Vauban Infrastructure Partners (groupe Natixis). Fin connaisseur du secteur des transports, il a aussi été, entre autres, directeur général d’Aéroports de Paris, et, pendant quelques mois président du directoire de Keolis. Invité du Club VRT le 6 avril, il a présenté le rapport sur le futur des infrastructures de transport qu’il vient de cosigner avec Jacques Gounon, le président de Getlink, et plaidé avec force pour une nouvelle politique en faveur du report modal et pour la transformation de nos comportements.

Au lendemain de la publication par l’Institut Montaigne du rapport intitulé « Infrastructures de transport vers le futur et le durable », qu’il a cosigné avec Jacques Gounon, Patrick Jeantet était le 6 avril l’invité du Club VRT. L’ancien PDG de SNCF Réseau, aujourd’hui consultant chez Vauban Infrastructure Partners, en a exposé les grandes lignes. « Le dérèglement climatique est l’angle d’attaque de ce rapport. Nous y rappelons que le secteur du transport, responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, a pris du retard dans sa décarbonation ».

Alors que tous les autres secteurs sont parvenus à baisser leurs émissions au cours des
30 dernières années, les transports sont en effet les seuls dont les rejets ont augmenté depuis 1990 (+10 %). Un résultat bien loin de l’objectif fixé lors du Grenelle de l’environnement et du nouvel objectif européen qui vise une baisse de 55 % des émissions d’ici 2030. Dans ce cadre, il faudrait que les rejets des transports soient réduits de 60 % en moins de dix ans.
« Cela ne pourra pas se faire en se contentant de mesurettes », prévient Patrick Jeantet appelant à une véritable « rupture ».

Une politique des transports inefficace

En cause, une politique des transports qui, même si elle s’est traduite par des investissements massifs dans les transports publics (de l’ordre de 90 milliards d’euros en 10 ans, soit une hausse de 50 % pour le réseau ferroviaire et de 250 % pour les transports collectifs urbains) et par des subventions en hausse, s’est finalement révélée inefficace, donc sans effet sur le report modal. Selon Patrick Jeantet, « les investissements dans les transports collectifs se sont essentiellement concentrés là où les enjeux étaient les plus faibles, c’est-à-dire dans les villes-centres ». Or, les déplacements au sein des centres urbains ne représentent que 1 % des émissions de GES liées à la mobilité, alors que les trajets entre la ville-centre et ses couronnes et au sein de celles-ci représentent près de 60 % des émissions mais n’ont pas fait l’objet d’investissements significatifs, à l’exception du Grand Paris Express. Et rien n’a été fait pour réduire les émissions du transport de marchandises rejetant pourtant 40 % des émissions.

Rappelant que les progrès technologiques pourraient permettre de réaliser environ 50 % des objectifs de réduction des émissions de GES à l’horizon 2050, Patrick Jeantet estime qu’il faudra de ce fait nécessairement changer nos comportements à l’avenir pour atteindre totalement les objectifs de lutte contre le réchauffement. La hausse de 10 % des émissions de GES des transports ces dernières années s’expliquant par l’augmentation de la mobilité et le bilan carbone de chaque Français avoisinant les 10 tonnes de CO2 annuel, « il faut que chacun d’entre nous se demande comment réduire notre empreinte carbone, sans tout attendre du gouvernement », souligne-t-il. Et de donner un exemple : « Il faut, par exemple, se demander : est-ce que j’ai besoin d’aller au Brésil faire du kite surf ? ».

Une tarification à revoir

Pour décarboner les transports, il faut verdir les flottes de véhicules puisque, selon Patrick Jeantet, il ne faut pas chercher à bannir la voiture qui assure 80 % des déplacements et restera le mode structurant de notre mobilité. « Supprimer les voitures n’a pas de sens, car si on peut facilement trouver des alternatives en ville, c’est moins facile en grande banlieue et impossible dans les communes rurales où la voiture est et restera indispensable. »

Dans les grandes métropoles, où les bassins de vie ne recouvrent pas les bassins économiques, Patrick Jeantet préconise des politiques visant à augmenter la part modale des transports publics en périurbain et dans les villes satellitaires, pour la porter à 50 %.

Pour trouver les financements nécessaires au doublement des offres de transport public, il préconise de s’inspirer de villes comme Copenhague ou Amsterdam, où le taux de couverture des dépenses par les recettes est proche de 50 %. Or, en France, la contribution des usagers aux investissements de transports publics atteint 19 % du coût (30 % si on prend en compte les coûts d’exploitation), alors qu’elle représentait plus de 50 % il y a 30 ans. « Remonter la contribution des usagers permettrait de récupérer 2 à 3 milliards d’euros par an » calcule celui qui considère que la gratuité des transports serait le fossoyeur du transport public. « Avec la gratuité, on n’aurait plus les moyens d’améliorer le service, on continuerait à rouler en voiture et l’effet sur les émissions serait négatif », affirme-t-il.

Selon lui, le critère de choix des usagers entre la voiture et les transports en commun ne repose pas sur le coût, mais avant tout sur la qualité du service et de l’offre. « Si en périurbain on doit marcher un kilomètre pour aller prendre un car qui passe toutes les 30 minutes, on continuera à préférer prendre sa voiture », commente-t-il.

Pour inciter les Français à avoir un comportement plus vertueux, il faut aussi, affirme-t-il, agir sur les prix. « Mauvaise nouvelle, cela passera par des transports plus chers », prévient-il. « C’est indispensable, car cela conduit à mener une réflexion sur les déplacements, à faire le tri entre ceux qui sont contraints et les autres ».

Selon l’ancien patron de SNCF Réseau, on pourrait, par exemple, revoir les cartes d’abonnement aux transports publics. L’objectif initial de ces abonnements était de permettre d’effectuer les trajets domicile-travail à coûts modérés, mais ils ont aussi contribué à augmenter les trajets de loisirs et le week-end. Raison pour laquelle il suggère de les remplacer par des cartes qui ne seraient valables que pour se rendre au travail, obligeant à payer plus cher les autres déplacements moins indispensables. Ce qui apporterait des recettes supplémentaires. Il faudra, dans le même temps renforcer les tarifications solidaires pour éviter tout risque d’exclusion sociale, ajoute-t-il.

Une gouvernance assumée

Patrick Jeantet recommande de donner aux autorités organisatrices des mobilités (AOM) tous les leviers disponibles permettant de favoriser une approche multimodale et de développer les transports collectifs en périphérie. Ce qui passe notamment par le transfert de la gestion de l’ensemble des routes ainsi que les pouvoirs de police de la circulation et du stationnement. Les AOM devraient être « responsabilisées » sur des objectifs précis de réduction des émissions de CO2.

Patrick Jeantet est favorable à la décentralisation, y compris pour la fiscalité. « Les métropoles doivent pouvoir assumer leurs objectifs et l’Etat se recentrer sur son rôle stratégique », énonce-t-il. Il prône aussi une loi de programmation des infrastructures, établissant une liste d’investissements prioritaires, « sur le modèle de ce qui existe pour la Défense nationale, pour donner de la visibilité aux projets sur le long terme ».

Les investissements à prévoir, conséquents, appellent de nouvelles ressources. D’autant qu’avec le développement des véhicules électriques, les recettes liées aux taxes sur le carburant vont progressivement s’étioler. Patrick Jeantet souhaite remettre à plat la fiscalité des transports. Estimant que la TICPE ne prend pas en compte les particularités locales, il recommande de diviser cette taxe en deux. Avec d’une part, une taxe carbone nationale, et même idéalement européenne, d’autre part, une taxe locale destinée à financer l’ensemble des transports publics prenant en compte les particularités territoriales.

Dans le rapport de l’Institut Montaigne, les deux cosignataires estiment qu’il faut « remplacer partiellement la TICPE par une taxe locale sur les véhicules, pour un financement des transports plus efficace, plus juste et plus transparent. La TICPE devrait être recentrée sur le seul objectif auquel elle est aujourd’hui bien adaptée : la lutte contre le changement climatique, ce qui conduirait dans un premier temps à la réduire afin de l’aligner sur les minima européens (0,38 €/litre) 16, puis de la réaugmenter progressivement pour atteindre 1,10 €/litre en 2040, puis 1,80 €/litre en 2050. En contrepartie, pour renforcer l’autonomie des collectivités locales sans augmenter à court terme le coût de l’automobile, une taxe locale de financement des transports pourrait être mise en place pour tous les véhicules motorisés jusqu’à 12 tonnes ».

Cette taxe serait plus basse dans les zones rurales, où la voiture est indispensable et beaucoup plus élevée dans les métropoles où existe le choix de prendre les transports en commun et où la voiture est sous-tarifée au regard de l’offre alternative existante, détaille le consultant. Les recettes seraient affectées aux dépenses de l’AOM locale

Une priorité donnée à la régénération

Le patrimoine ferroviaire et routier en France étant l’un des plus importants d’Europe, Patrick Jeantet recommande de ne pas chercher à l’étendre pour le moment mais de consacrer les investissements à leur remise à niveau, via la régénération et la modernisation.

Le consultant, qui estime les besoins de régénération annuelle du réseau ferroviaire à plus de 3,5 milliards d’euros, critique le contrat de performance Etat-Réseau en cours de négociation. « S’il est signé, il consistera à réduire les investissements. En effet, il fixe la somme de plus de 2 milliards d’euros par an pour la rénovation, mais sans prendre en compte l’inflation. Or, avec une inflation de l’ordre de 4 %, l’effort de régénération sera réduit de 12 % en trois ans. »

Pour que le réseau ferroviaire progresse en productivité, il faut, dit-il, davantage recourir à la digitalisation, déployer le système de signalisation ERTMS ainsi que la commande centralisée des postes d’aiguillage. Il se prononce aussi pour l’indépendance du gestionnaire de l’infrastructure actuellement dans le giron du groupe SNCF car « les nouveaux entrants ont besoin d’un climat de confiance qui pourrait être malmené par des liens trop étroits avec l’opérateur historique ». Il balaie l’argument selon lequel un groupe unifié permet d’être plus efficace et réactif. Et critique aussi l’hyper-centralisation de la SNCF et les strates administratives « loin du terrain » que cela suppose.

Pour inciter à l’utilisation du rail, l’ancien dirigeant du gestionnaire des voies ferrées pointe l’importance des investissements destinés
à résorber les nœuds ferroviaires des métropoles :
« C’est là qu’il faut investir massivement pour doubler le nombre de voyageurs et avoir plus d’effet sur les émissions de Co2. Si on fait du tout TGV, la part modale du transport public continuera à plafonner à 10 % et on n’aura pas résolu le problème des GES dans le transport ». Et d’ajouter : « Cela ne veut pas dire que, dans un deuxième temps, on ne devra pas lancer de nouvelles LGV. Mais il faut se donner des priorités, car nous ne sommes pas capables de tout faire en même temps ».

Selon lui, 60 % des « petites lignes » pourraient être efficacement remplacées par un service de car. « Cela permettrait de réaliser
20 à 30 % d’économies en offrant un meilleur service »
. Et il poursuit : « Si les trains sont vides dans certaines zones rurales, ce n’est pas forcément un problème de cadence, cela peut aussi s’expliquer par la densité de population. Il faut partir des besoins pour décider des services à mettre en place ».

Côté fret, Patrick Jeantet souhaite que des sillons aillent prioritairement au fret. « Il faut faire passer les trains de fret de jour sur les trois grands axes les plus fréquentés : Calais-Luxembourg, l’axe Sud Est et l’axe Sud-Ouest. C’est une mesure qui ne coûte rien comparée aux  10 milliards d’euros jugés nécessaires par la profession pour relancer le fret ferroviaire ».

Toutes ces mesures doivent être prises d’urgence pour espérer limiter la hausse des températures. « Limiter la hausse à +1,5 degré sera difficilement atteignable. Mais, sans réaction rapide, on se dirige vers un réchauffement planétaire de 3 à 5 degrés. Vers un monde dans lequel je n’aimerais pas avoir à vivre », conclut-il.

Valérie Chrzavzez


« Le système d’ouverture à la concurrence des TER en Allemagne est biaisé »

Le système d’ouverture à la concurrence des TER en Allemagne n’est pas aussi exemplaire qu’on a coutume de le dire. Souvent pris pour modèle par les régions françaises qui souhaitent ouvrir leurs trains à la concurrence en espérant réaliser les mêmes économies que celles affichées par les Länder outre-Rhin (30 % en moyenne), le système serait en réalité « biaisé » affirme Patrick Jeantet. Aujourd’hui consultant pour le fonds d’investissement Vauban Infrastructure Partners, l’ancien PDG de SNCF Réseau, qui a aussi été, en 2020, quelques mois aux commandes de Keolis, s’en est expliqué le 6 avril devant le Club VRT. Il avance trois raisons principales.

D’une part, rappelle-t-il, « la répartition des risques est très inéquitable et trop défavorable aux opérateurs ». Selon lui, les opérateurs alternatifs à la Deutsche Bahn proposent des tarifs de 25 à 30 % inférieurs à ceux du transporteur national. « Les régions réinvestissent ces économies pour demander des services supplémentaires. Les opérateurs doivent donc trouver plus de conducteurs, ce qui mène à une poussée inflationniste », souligne-t-il. Il faut en effet les trouver (il n’y a pas de transferts automatiques des personnels, contrairement à ce qui va se passer en France) et les former, ce qui contribue à augmenter les coûts salariaux. « Or, les contrats, qui ont de longues durées (de l’ordre de dix ans), ont des coûts d’indexation basés sur l’inflation générale (très faible ces 20 dernières années) et non pas sur l’inflation ferroviaire beaucoup plus forte. L’écart d’inflation va grandissant ».

D’autre part, poursuit Patrick Jeantet, les pénalités de retard infligées aux opérateurs ferroviaires s’entendent toutes causes confondues. Ainsi, par exemple, même si un TER doit attendre et laisser passer devant lui un ICE qui a du retard, c’est l’opérateur du train régional qui est sanctionné. « Il n’est pas possible de répercuter ces pénalités sur la DB ni sur DB Netz (le gestionnaire des infrastructures allemandes, ndlr). En conséquence, une très large part des pénalités payées ne relève pas de fautes de l’opérateur ».

Selon l’ancien dirigeant de Réseau, « le cumul de ces deux facteurs va largement au-delà de la marge bénéficiaire qui tourne autour de 2 à 3 % ». Résultat, affirme-t-il, « tous les nouveaux opérateurs perdent de l’argent en Allemagne… sauf Transdev si l’on en croit Thierry Mallet… je ne peux pas mettre en doute sa parole… ». De fait, le paysage ferroviaire allemand évolue, après le départ depuis le début de l’année de Keolis qui enregistrait des pertes abyssales et l’abandon par Abellio, confrontée à des difficultés croissante, d’une large part de son activité.

Troisième écueil cité par Patrick Jeantet : les opérateurs doivent lourdement investir pour acheter les trains (ce qui n’est pas le cas en France). Quand le contrat s’arrête, il leur faut replacer le matériel ailleurs. Avec d’autant plus de difficultés que chaque Lander a ses propres spécifications de matériels. Enfin, les opérateurs doivent, soit disposer de leur propre dépôt, soit le louer à la Deutsche Bahn. Si le modèle peut paraître enviable aux yeux des élus, il peut aussi décourager des opérateurs de plus en plus soucieux de s’inscrire dans une croissance « sélective » après les difficiles années Covid et avec la crise énergétique qui s’annonce.

Marie-Hélène Poingt


Un passage éclair chez Keolis

Patrick Jeantet n’est resté que six mois chez Keolis, de janvier à juin 2020. Il l’explique par un désaccord stratégique avec Jean-Pierre Farandou et Joël Lebreton. « J’avais une vision de développement plus sélective et j’étais favorable à l’arrêt au plus vite de nos activités en Allemagne, considérant que le marché était biaisé. »

« Transdev et Keolis se sont développés en répondant à tous les appels d’offres qui se présentaient, sans forcément réfléchir à la pertinence de ces marchés. Cela leur a permis de grossir très vite, mais cela leur a aussi occasionné de gros déboires. Certains contrats de longue durée ont été à l’origine de pertes annuelles considérables ». Raison pour laquelle, alors aux commandes de Keolis, il souhaitait être plus sélectif.


Les limites du modèle Lisea

Interrogé sur le modèle Lisea, construite par Vinci, dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), assurant la liaison entre Tours et Bordeaux, il évoque un « raté ». Et d’expliquer : « C’est une concession qui n’a qu’un seul client, la SNCF. Et comme le système concessif français oblige à amortir les investissements sur la durée de la concession, soit avant 2061 pour Lisea, les tarifs des péages seront très élevés durant toute la concession, avant de chuter. » Pour les faire baisser il faudrait pouvoir amortir les investissements sur une période plus longue, ce qui nécessite de modifier la loi. Il ajoute : « si la SNCF fait rouler des TGV « cadencés » entre Paris et Bordeaux, elle peut gagner de l’argent. Mais sur un Paris Bordeaux-Hendaye, le train s’arrête tous les 60 km, l’équation économique devient mauvaise car le TGV coûte très cher, il est fait pour aller très vite et transporter beaucoup de monde. Il faudrait mettre en place une correspondance en TER à Bordeaux. »

Ewa

Les programmes transports des candidats en débat

presidentielle2022 clubvrt

Challengés par le représentant des usagers des transports Bruno Gazeau, et par l’expert en économie des transports Arnaud Aymé, les porte-paroles de sept candidats à l’élection présidentielle ont défendu les promesses de leurs candidats le 15 mars, devant le Club Ville, Rail & transports. La relance du ferroviaire fait l’unanimité, l’ouverture à la concurrence creuse les écarts.

A quelques jours du premier tour de la présidentielle, les questions liées aux transports et à la mobilité restaient discrètes dans la campagne électorale. Elles touchent pourtant le quotidien des Français et prennent une dimension particulière avec la flambée du prix des carburants et la nécessaire transition énergétique et écologique.

Peu audibles, les programmes transport des candidats existent néanmoins. Invités à les exposer le 15 mars devant le Club Ville, Rail & Transports, sept porte-paroles (lire plus bas) ont débattu des mesures de leurs candidats. Tous ont répondu présents, sauf l’équipe d’Éric Zemmour, tandis que le porte-parole de marine Le Pen est intervenu par vidéo. Le représentant d’Emmanuel Macron s’est contenté d’un bilan des actions du quinquennat puisque la feuille de route transport du président candidat n’était pas dévoilée à l’heure du Club.

Convergence sur le réseau ferroviaire…

S’il y a bien un sujet sur lequel les candidats de l’opposition présentent des points de convergence, c’est le train !  « Comme quoi, en politique on arrive à être d’accord sur les enjeux de transports », s’amuse Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers de transport (Fnaut). Il était l’un des deux « grands témoins » de ce Club VR&T, avec Arnaud Aymé, expert en économie des transports travaillant pour le cabinet de conseil Sia Partners.

Avant même que le Conseil d’orientation des infrastructures ne dévoile le 16 mars le « mur d’investissements » nécessaire, notamment pour le ferroviaire, et alors que le projet de contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau fait l’unanimité contre lui, la majorité des candidats avaient un plan de relance du rail dans leur besace de campagne. Ils surenchérissent sur le montant des investissements à consentir.

 » NOUS INVESTIRONS 40 MILLIARDS D’EUROS SUR LE QUINQUENNAT POUR REMETTRE À NIVEAU LES INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES, AUGMENTER LA PERFORMANCE DU RÉSEAU… «   Franck Briffaut

Jugez plutôt : 7 milliards d’euros par an pour Yannick Jadot (contre 2,8Mds en 2022) pour régénérer et moderniser le réseau ferré, « le mettre aux normes européennes au bout de cinq ans », faire rouler des TER cadencés de 5h du matin à minuit et créer 15 nouvelles lignes de trains de nuit. « Il faut faire confiance aux territoires pour engager les investissements de proximité, tout régenter depuis Paris, ça ne marche pas », juge le porte-parole du candidat écologiste, Vincent Dubail. Et à chaque fois qu’il existe une alternative en train, les trajets de moins de quatre heures en avion seront supprimés, promet-il au nom de Yannick Jadot.

Six milliards d’euros par an pour Jean-Luc Mélenchon : « Le train doit remailler le territoire, avec la possibilité d’avoir une gare multimodale près de chez soi, de la présence humaine aux guichets et des trains accessibles aux personnes handicapées », énonce sa porte-parole Émilie Marche qui défend aussi les RER métropolitains, sous l’appellation de trams-trains.

Un milliard par an supplémentaire dans la loi de finances pour 2023 du côté d’Anne Hidalgo, et un « grand plan » pour l’extension du réseau (pas encore été arbitré) , indique son porte-parole Nicolas Mayer-Rossignol.

Marine Le Pen promet « d’investir 40 milliards d’euros sur le quinquennat pour remettre à niveau les infrastructures ferroviaires, augmenter la performance du réseau avec l’accélération du programme ERTMS, sauver les dessertes fines du territoire en lien avec des itinéraires de fret alternatifs » et « en coordination avec les collectivités locales qui ont plutôt fait le job », affirme Franck Briffaut, maire RN de Villers-Cotterêts et porte-parole de la candidate.

Valérie Pécresse promet 3,5 milliards par an pour régénérer et moderniser le réseau structurant, accélérer l’ERTMS, construire des RER métropolitains, assurer le « sauvetage » des petites lignes avec des sociétés de projet public-privé et des aides de l’État. « A chaque fois que les AOM mettent deux euros, l’État mettra un euro », a également précisé Philippe Tabarot, l’un des porte-paroles de la candidate LR lors du « Grand débat transport » organisé le 17 mars par le think tank TDIE et Mobilettre.

Sur les 25 milliards d’euros par an que Fabien Roussel entend consacrer aux transports, il en prévoit cinq pour le rail et trois pour les transports urbains.

Aucun chiffrage du côté d’Emmanuel Macron. Ses porte-paroles Paulin Dementhon et Fabienne Keller étaient bien en mal de faire
« des annonces tonitruantes » (dixit) puisque le programme transport du président candidat n’était toujours pas dévoilé, ni le 15 mars au Club VR&T, ni deux jours plus tard chez TDIE. « On a doublé les investissements pendant le mandat (61 milliards d’euros injectés dans le système ferroviaire avec les 35 milliards de reprise de la dette de SNCF Réseau), mais il s’agit d’aller plus loin en modernisation du réseau, d’investir dans les RER métropolitains et de faire des efforts sur le fret ferroviaire », ont-ils avancé.

… mais divergences sur la concurrence

Quelle est la position des candidats sur l’ouverture à la concurrence ferroviaire ? Sur ce sujet, les divergences sont plus marquées. Du côté du RN, « le ferroviaire doit rester un système intégré et la SNCF un opérateur pivot, 100 % public ». La concurrence oui, « à condition de définir des périmètres concédés cohérents et économiquement viables », dit Franck Briffaut.

Les candidats de l’Union populaire et du PCF veulent, eux, abroger le Pacte ferroviaire voté en 2018, stopper l’ouverture à la concurrence, réunifier le groupe SNCF dans un EPIC et remettre les nouvelles recrues au statut cheminot.
« On voit bien les vertus d’une entreprise intégrée, sur le modèle de la RATP », défend Jacques Baudrier, porte-parole de Fabien Roussel.

 » A CHAQUE FOIS QU’IL EXISTE UNE ALTERNATIVE EN TRAIN, LES TRAJETS DE MOINS DE QUATRE HEURES EN AVION SERONT SUPPRIMÉS «   Vincent Dubail

Emmanuel Macron qui n’a pas voulu séparer SNCF Réseau du reste du groupe SNCF au moment de la réforme de 2018, « défend les garanties d’équité pour les nouveaux opérateurs entrant sur le marché ferroviaire », selon Paulin Dementhon.

Du côté des candidats PS et EELV, statu quo sur le sujet : « La séparation de SNCF Réseau n’est pas vraiment le problème, on l’a fait (en 1997 avec RFF, ndlr) puis on est revenu en arrière. La question, c’est plutôt que la SNCF traite équitablement les nouveaux entrants », relève Vincent Dubail pour le candidat Jadot. Valérie Pécresse elle, veut « accélérer la mise en concurrence ferroviaire », indique François Durovray, qui la représente.

Des tarifs plus avantageux… 

Pour Fabien Roussel, la promesse des « Jours heureux » passe par une « mobilité heureuse » et donc, la gratuité des transports urbains. Il promet par ailleurs une baisse de 30 % du prix des billets de train et des TER gratuits pour les trajets domicile-travail. « Après les cars Macron, il y aura les TER Roussel », s’amuse le candidat communiste.

 » LE TRAIN DOIT REMAILLER LE TERRITOIRE, AVEC LA POSSIBILITÉ D’AVOIR UNE GARE MULTIMODALE PRÈS DE CHEZ SOI ET DE LA PRÉSENCE HUMAINE AUX GUICHETS «   Émilie Marche

La gratuité, Jean-Luc Mélenchon la prône pour les moins de 25 ans, quand Yannick Jadot mise plutôt sur un forfait mobilité durable de 1 000 € par an, la gratuité des transports scolaires et un « Ticket climat » pour les 16-25 ans : 100 € par mois (50 € pour les étudiants) pour voyager en illimité en transport collectif, sauf en avion. L’écologiste défend la TVA à 5,5 % sur les transports publics (tout comme Anne Hidalgo), et le forfait mobilité durable obligatoire.

… et des aides à la conversion automobile

Pour accompagner les Zones à faibles émissions (ZFE) attendues d’ici à 2024 dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants dépassant les seuils de pollution (plus de 30 villes sont concernées, en plus des 11 métropoles déjà prévues), Fabien Roussel évoque 10 000 euros de prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule électrique ou hybride rechargeable, au lieu de 6 000 € aujourd’hui. Y compris pour un véhicule d’occasion. Valérie Pécresse veut revoir le calendrier des ZFE et Jean-Luc Mélenchon envisage carrément de les supprimer.

Anne Hidalgo et sa concurrente LR veulent lancer un crédit à taux zéro et un système de leasing social pour l’achat d’une voiture électrique. Le leasing (location longue durée) pour aider les plus modestes à s’équiper d’une voiture électrique a été la seule annonce d’Emmanuel Macron pour les mobilités lors de la présentation de son programme électoral, le 16 mars.

 » IL FAUT DES VOIES RÉSERVÉES AU COVOITURAGE ET AUX BHNS POUR RACCROCHER LES HABITANTS DES MÉTROPOLES À UNE OFFRE DE MOBILITÉ SOUPLE  »   Nicolas Mayer-Rossignol

Anne Hidalgo et Yannick Jadot, qui veut interdire la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2030, promettent un million de bornes de recharge sur le territoire français (dix fois plus que l’objectif de l’actuel gouvernement). Valérie Pécresse en annonce 200 000, en s’appuyant sur le privé.

Comme Valérie Pécresse, la candidate socialiste veut des voies routières réservées aux lignes de covoiturage et aux bus à haut niveau de service (BHNS), y compris sur les grands axes « afin de raccrocher les habitants des métropoles à une offre de mobilité souple », indique Nicolas Mayer-Rossignol. Anne Hidalgo veut aussi développer le covoiturage courte distance sur voies réservées, « sur le modèle de la start-up Ecov ». Pour le représentant de Marine Le Pen, « le transport routier reste le mode plus souple », il ne s’agit donc pas de le bousculer.

Vélo populaire

Pour porter la part du vélo à 9 % des déplacements, Anne Hidalgo veut doubler le Fonds vélo, le porte-parole d’Emmanuel Macron évoque 30 % de pistes cyclables supplémentaires et des infrastructures pour le vélo périurbain. Yannick Jadot vise 15 % de parts modales avec 500 millions d’investissement par an en faveur de la bicyclette, quand Jean Luc Mélenchon veut développer « le vélo populaire », c’est-à-dire plus sûr avec des pistes cyclables continues, du stationnement sécurisé, la possibilité de l’embarquer dans le train, d’accéder à la gare à vélo, etc.

« ON A DOUBLÉ LES INVESTISSEMENTS PENDANT LE MANDAT (61 MILLIARDS D’EUROS INJECTÉS DANS LE SYSTÈME FERROVIAIRE AVEC LES 35 MILLIARDS DE REPRISE DE LA DETTE DE SNCF RÉSEAU «   Paulin Dementhon

« On ne produit plus de vélos en France, on ne fait que de l’assemblage : recréer une filière vélo permettrait de créer 150 00 emplois locaux », avance par ailleurs Émilie Marche. Fabien Roussel promet une Agence nationale du vélo pour passer à 15 % de part modale avec un million d’euros par an d’investissements pour les pistes cyclables et le stationnement sécurisé.

Pas touche au droit de grève

Valérie Pécresse défend un droit de grève plus encadré avec 72h de prévenance, au lieu des 48h instituées par la loi. Elle répond ainsi à une demande de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut).

Pour le représentant de Fabien Roussel, « Le problème du moment, ce n’est pas la grève, mais le manque de chauffeurs. Avant de s’interroger sur le droit de grève, il faut s’interroger sur la mise en concurrence (des lignes de bus Optile, puis RATP demain, ndlr) et les conditions sociales dans les appels d’offres ». Avant de vouloir réformer le droit de grève, encore faut-il pouvoir embaucher avec des salaires attractifs !, lance-t-il en évoquant « 100 000 chauffeurs de bus manquants. Sinon, il n’y aura plus de transports publics ! ».

 » LE PROBLÈME DU MOMENT CE N’EST PAS LA GRÈVE MAIS LE MANQUE DE CHAUFFEURS «    Jacques Baudrier

Même avis chez les Insoumis :  « On n’a qu’à bien les payer les agents et il n’y aura pas de grève », tranche Émilie Marche. Pour la candidate socialiste,
« Pas question de toucher au droit de grève. Deux cas suscitent l’exercice du droit grève et du droit de retrait : les agressions et elles augmentent, les salaires et ils n’augmentent pas », résume Nicolas Mayer-Rossignol.

Des milliards à financer

Les colis ne votent pas… L’une des propositions de Philippe Duron dans son rapport sur le financement des transports publics – un euro par colis du e-commerce, ce qui pourrait rapporter 1,3 milliard d’euros par an, selon le coprésident de TDIE – est visiblement tombé dans de sourdes oreilles. Aucun candidat n’a repris l’idée. « Sur 100 colis d’Haropa, le port fluviomaritime de l’axe Seine, 90 % passent par la route », observe pourtant le porte-parole d’Anne Hidalgo

Alors qui paiera la transition énergétique ? Comment financer les programmes d’investissements ? On généralise le principe pollueur-payeur et on rétablit l’écotaxe poids lourds ? On permet aux villes d’instaurer un péage urbain ? On ponctionne davantage la consommation de carburant plutôt que de la subventionner ? Interrogé par Arnaud Aymé, directeur associé du cabinet Sia Partners, quatre porte-paroles ont précisé comment leurs candidats comptent financer leurs mesures.

Anne Hidalgo veut créer « Routes de France » qui récupérera la gestion et les recettes des autoroutes à la fin des concessions et abondera le budget de l’Agence de financement des infrastructures (AFITF), elle défend aussi une « écotaxe progressive ».

Yannick Jadot prévoit une loi de programmation budgétaire pluriannuelle, une taxe sur le kérosène, une taxe carbone aux frontières (taxer les marchandises produites à l’étranger et exportées vers l’UE en fonction de leur empreinte carbone), un droit d’usage pour les poids lourds (Eurovignette), mais exclut les péages urbains, « forme de féodalité médiévale et facteur d’exclusion des citoyens », résume le représentant du candidat vert. Un autre porte-parole, David Belliard, annonce de son côté  « une grande convention pour retrouver de nouveaux modèles de financement avec l’ensemble des acteurs et avec la fin de la TICPE ».

 » VALÉRIE PÉCRESSE VEUT LANCER UNE LOI DE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE DANS LES 100 PREMIERS JOURS DU MANDAT  »   François Durovray

Valérie Pécresse promet aussi « une loi de programmation budgétaire dans les 100 premiers jours du mandat, la création d’une « vraie » taxe carbone aux frontières (sur toutes les marchandises y compris celles issues de l’agriculture), et la création d’un Livret Vert (fusion du Livret de développement durable et du Livret A) » indique François Durovray.

Pour financer au total 25 milliards d’euros d’investissements annuels dans les transports, Fabien Roussel veut augmenter la taxe sur les bureaux dans les villes les plus riches et où la demande est forte, en se fondant sur l’exemple francilien : « 624 euros du mètre carré contre 150 euros à Noisy-le Grand. Visiblement, ce n’est pas rédhibitoire et beaucoup moins compliqué que le péage urbain », illustre Jacques Baudrier. Son candidat défend la hausse du taux du versement mobilité (VM) dans les « zones premium », quand Anne Hidalgo prévoit  « une base fiscale pour pouvoir lever le versement mobilité partout et le moduler à la hausse ou à la baisse ». Malgré les coups de boutoir du Medef contre les impôts de production, Valérie Pécresse promet de pérenniser cette ressource précieuse pour les autorités organisatrices de mobilité.

Pour dégager des ressources dédiées aux mobilités décarbonées, Yannick Jadot veut taxer les billets d’avion en classe affaires et sur les compagnies de jets privés, instaurer un malus au poids sur les véhicules : « On est à un moment cardinal : c’est le moment de faire payer le transport routier », tranche aussi Jacques Baudrier.

Si Bruno Gazeau se « réjouit de la convergence d’esprit chez les candidats », il se dit « frappé qu’aucun n’a conscience qu’il faut changer d’échelle. » Cette persévérance passe par une loi de programmation pluriannuelle ou des appels à projets réguliers et d’un montant constant, selon l’ancien délégué général de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) « Le Plan de relance, c’est bien, mais comment on fait après ? », interroge celui qui défend aujourd’hui les intérêts des usagers.

Nathalie Arensonas


Des experts transports et des candidats

Pour Yannick Jadot (EELV) : Vincent Dubail, militant écolo, élu d’opposition à Puteaux, il coordonne le programme du candidat écologiste pour l’énergie, l’habitat et les déplacements, avec David Belliard, adjoint EELV à la mairie de Paris, chargé des transports.

Pour Anne Hidalgo (PS) : Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, président de la Métropole Rouen Normandie. Olivier Jacquin, sénateur de Meurthe-et-Moselle, fait aussi partie des conseillers.

Pour Marine Le Pen (RN) : Franck Briffaut, maire de Villers-Cotterêts, membre du FN puis du RN depuis 1977, il est « référent « aménagement du territoire et transports » dans la campagne présidentielle de la candidate RN.

Pour Emmanuel Macron (LRM) : Paulin Dementhon, fondateur de la start-up d’autopartage Drivy revendue à l’américain Getaround. L’équipe transports du président candidat réunit aussi Jean-Marc Zulesi, député LRM des Bouches du Rhône, et l’eurodéputée Fabienne Keller, ex-maire de Strasbourg.

Pour Jean-Luc Mélenchon (LFI) : Émilie Marche, conseillère régionale en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est sa deuxième campagne présidentielle, elle est coanimatrice du livret Transports du candidat des Insoumis.

Pour Valérie Pécresse (LR) : François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne, membre du Conseil d’orientation des infrastructures, il coordonne avec Vincent Chriqui, Frédéric Lemoine et Philippe Tabarot le projet transport de la candidate qui préside Ile-de-France Mobilités depuis 2015.

Pour Fabien Roussel (PCF) : Jacques Baudrier est l’un des animateurs du collectif transports et mobilité du PCF. Spécialiste de l’urbanisme, c’est un élu du 20e arrondissement de Paris, et administrateur d’Ile-de-France Mobilités depuis 2014.

L’équipe d’Éric Zemmour n’a pas répondu à l’invitation.

Ewa

Mobilité verte. Pékin mise sur le MaaS et les crédits carbone

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La plateforme #MaaS de Pékin devient un relais actif pour encourager le changement de comportements des usagers vers une mobilité durable, à travers l’intégration d’incentives basés sur un dispositif de crédits carbone. Un système d’incitations à la mobilité durable que ne pratique pas l’Europe.

Par Jingoo Choi et Josefina Gimenez

Réduire les émissions carbone du transport est un objectif partagé par la communauté internationale. Si des innovations technologiques permettent de proposer des alternatives viables à la voiture, le passage à l’acte de l’usager demeure le facteur décisif. Ainsi, la contrainte (les embouteillages), le calcul financier (le prix du carburant versus le transport collectif) ou l’accessibilité (trouver le bon vélo au bon moment) restent les éléments en considération à l’heure de choisir le bon mode, quand le choix est possible.

Sur la base des objectifs de réduction d’émissions carbone en 2030 et de neutralité carbone en 2060, le gouvernement chinois encourage la mise en place des plateformes MaaS dans le territoire. Elles sont le levier pour accélérer l’adoption des modes doux et des nouveaux services de mobilité (free-floating, modes partagés et ride-hailing) en interaction avec les modes collectifs. C’est dans ce contexte que la commission de transport de la municipalité de Beijing et le bureau d’Ecologie et Environnement introduisent le premier système d’incitations à la mobilité durable à travers le dispositif de crédits carbone, « MaaS Mobility for Green City ». Il s’agit d’un dispositif de récompense afin d’encourager les usagers à s’engager dans une mobilité verte.

mobilite douce
Estimation basée sur le simulateur des émissions des trajets de l’Ademe.

Des incentives integrées à la plateforme MaaS de Beijing

La plateforme MaaS de Beijing a été lancée fin 2019, intégrant des services classiques du MaaS tel que le calcul d’itinéraire, les informations du transport public en temps réel ainsi que des données sur les modes doux (comme la marche ou le vélo). D’autres informations comme le taux de remplissage des transports, ou des rappels pour effectuer les changements sont aussi disponibles.

Le système de récompenses vient compléter le dispositif comme levier pour favoriser le choix des modes plus économes en énergie.

Afin de bénéficier du dispositif, les usagers doivent avoir un compte carbone personnel, possible via les systèmes de Amap ou Baidu Maps. Ainsi, lorsque l’utilisateur préfère un mode à faibles émissions pour son trajet (comme la marche, le vélo ou les transports en commun) via le système de navigation Amap ou Baidu, son compte est ‘crédité’ des crédits carbone en fonction de la distance parcourue. Ces crédits correspondent aux émissions carbone évitées pour avoir préféré un mode de transport doux plutôt que les déplacements individuels motorisés, comme la conduite d’une voiture ou le VTC.

Amap et Baidu Maps collectent ces crédits et les échangent sur le marché du carbone de Pékin. Quant à l’usager, les incentives prennent la forme de dons solidaires ou de soutien à des associations (comme le don pour la plantation d’arbres), ou encore des bons d’achat ou le rechargement de cartes de transport.

pekin paris transports
Comparaison de la part modale entre Paris et Pékin.

Le transfert modal et les émissions du transport

Combinée à ces crédits carbones, la plateforme MaaS va de pair avec la stratégie de décarbonation de la Chine. Le 16 juillet, la Chine a en effet lancé son « marché du carbone » qui permet non seulement aux autorités provinciales de fixer des quotas pour les centrales thermiques mais aussi aux entreprises d’acheter des « droits de polluer » à d’autres organisations ayant une empreinte carbone plus faible1. La première transaction fixait à 6,80 dollars la tonne de carbone, et l’application initiale de ces systèmes s’adresse aux entreprises du secteur de la production d’électricité (2 162 producteurs) qui contribuent aux émissions de CO2 les plus élevées de Chine (51% du total, IEA). Ainsi, les crédits collectés par Amap et Baidu Maps seront échangés auprès des producteurs d’électricité via le marché du carbone de Pékin.

Ce mécanisme d’incitations et d’échanges de crédits carbone pour encourager le « green travel » est une nouvelle extension des plateformes MaaS. Une manière supplémentaire de promouvoir la mobilité verte, et faciliter un changement substantiel dans les comportements de déplacements.

Selon les statistiques de 2018, le secteur de transport représente environ 10 % des émissions totales de CO2 de la Chine. C’est le troisième secteur le plus important, l’électricité et l’industrie contribuant à 80% aux émissions. Quant à la France, le secteur du transport représente 41%, mais le montant d’émissions est encore nettement plus élevé en Chine qu’en France (917 Mton versus 215 Mton, IEA).

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Calcul et comparaison des émissions de carbone – Bonjour RATP d’Ile-de-France.

Dans le cas de Pékin, le recours aux différents modes de transport est globalement équitablement réparti en termes de partage modal. La part des émissions des véhicules particuliers est naturellement plus élevée due à une majeure émission de carbone par unité de distance, comparativement aux autres modes de transport (collectifs ou partagés). Par ailleurs, aussi bien à Paris qu’à Pékin, environ 20% des déplacements sont effectués en véhicule particulier. Cependant, la différence dans le volume des voitures entre les deux villes fait que les émissions de carbone des véhicules particuliers à Pékin (15 millions de tonnes), avait un poids d’environ 75% sur le total des émissions de carbone du secteur du transport en 2012.

Et ce malgré la forte proportion du recours à de modes actifs tels que la marche à pied et le vélo (53%) à Pékin comparativement à Paris. Le report modal de Pékin peut sembler positif, mais compte tenu de son empreinte carbone élevée, une réduction supplémentaire des émissions locales à travers la réduction du recours à la voiture peut être attendue grâce au transfert vers des modes à faibles émissions.

Ainsi, dès lors qu’on prend en compte le potentiel des modes doux dans la réduction des émissions liées au transport et à la voiture en particulier, la possibilité d’intégrer des systèmes incitatifs dans les plateformes MaaS peut être envisagée comme un nouveau levier pour accompagner le changement de comportement des usagers.

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Calcul et comparaison des émissions de carbone – OURA d’Auvergne-Rhône-Alpes

Quelle place pour les incentives dans les plateformes MaaS en France ?

Si la mise en place des marchés carbone en Europe permet de mesurer et contrôler les émissions des industries, la création de systèmes de crédits personnels ne semble pas à l’heure du jour. Cependant, diverses plateformes de MaaS françaises, comme « Bonjour RATP » d’Ile-de-France, « OùRA » d’Auvergne-Rhône-Alpes ou « Fluo » de Grand-Est indiquent les émissions de carbone sur les itinéraires sélectionnés.

La question demeure de savoir si l’information suffit à l’usager pour prendre la décision dans le sens de la réduction d’émissions. Dans quelle mesure ce niveau d’information est un premier pas vers la création d’un système d’incentives ?

Même si leur poids est inférieur par rapport à Pékin, en France les émissions des véhicules particuliers représentent 51 % du secteur de transport, soit 16 % des émissions totales de gaz à effet de serre du pays en 2019 (SDES 2021). Associés à des mesures d’offre de mobilité verte comme les pistes cyclables et les aménagements piétons ou le projet du Grand Paris Express, les dispositifs incitatifs peuvent créer des synergies tout en stimulant la demande des utilisateurs.

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Calcul et comparaison des émissions de carbone – FLUO de Grand Est.

Cependant, le marché des crédits carbone tel que celui de Pékin et l’application des incitations restent à étudier parmi les parties prenantes. Le marché français du carbone est conforme aux normes de l’Union européenne2 (UE) depuis 2005 et les secteurs concernés sont l’industrie (chaleur, raffineries, acier, fer, ciment et chaux, verre, céramique, pâte à papier, etc.) et la production d’électricité, qui représentent 41 % des émissions totales de carbone de l’UE. Compte tenu du niveau d’émissions du secteur du transport, une réflexion sur l’adoption du marché du carbone par les acteurs du transport pourrait être envisagée.

Actuellement, des tentatives basées sur des systèmes incitatifs voient le jour en France, comme le « Compte CO23» et la plateforme « Rob4». Ces dispositifs sont également basés sur des application smartphone et offrent des récompenses pour l’utilisation de modes de transport respectueux de l’environnement, comme des points ou de l’argent virtuel permettant des réductions d’achats ou des cadeaux éthiques.

Cependant, ces applications d’incitations sont indépendantes des plateformes MaaS existantes, ce qui peut rendre difficile l’accès aux utilisateurs, et freiner leurs utilisations. Ceci remet les acteurs du MaaS français au centre, et les interpelle sur leur capacité à mettre en place des dispositifs internes afin d’encourager et récompenser l’attitude des usagers.

1 La Chine lance officiellement son marché du carbone, 16 juillet 2021, Le Monde.
2 Marchés du carbone | Ministère de la Transition écologique (ecologie.gouv.fr).
3 Compte CO2, le service de paiement pour le climat
4 Rob | L’app qui récompense tous tes trajets responsables (rob-app.fr)

Ewa

« Je souhaite une croissance sélective pour Keolis »

Marie Ange Debon-LC

Marie-Ange Debon a pris les commandes de Keolis à l’été 2020, trois mois après le départ précipité de Patrick Jeantet, dans un contexte de crise sanitaire et de chute de la fréquentation des transports publics. Invitée du Club VRT le 13 janvier dernier, la dirigeante de la filiale transport public de la SNCF a développé les axes stratégiques de sa politique de « croissance sélective ».

Deux semaines après l’annonce du retrait de Keolis en Allemagne, et à deux mois de la présentation des résultats 2021 qui seront forcément marqués par « une année difficile », la dirigeante de la filiale transport public de la SNCF et de la Caisse des dépôts du Québec, qui exploite des réseaux de bus, métros, tramways, trains et vélos en France et à l’internantional, s’est prêtée au jeu des questions-réponses du Club VRT. Crise sanitaire oblige, une petite trentaine de membres ont assisté en présentiel au premier Club de l’année, dans les locaux du groupe La Vie du Rail, à Paris.

Nommée à la tête de Keolis mi-2020, en pleine tempête économique provoquée par la crise du Covid-19, doublée d’une crise de gouvernance de l’entreprise après le limogeage de Patrick Jeantet qui avait succédé à Jean-Pierre Farandou (parti présider aux destinées du groupe SNCF), Marie-Ange Debon a pris, en juin 2021, les rênes de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) qui vient de signer de nouveaux accords avec les syndicats pour bâtir la convention collective de la branche ferroviaire. Une année menée à un rythme soutenu, au cours de laquelle l’ancienne directrice générale adjointe de Suez a commencé à mettre en œuvre la feuille de route stratégique définie avec le conseil de surveillance qui a lui aussi changé de tête (Jérôme Tolot a succédé au long règne de Joël Lebreton).

Une équipe renouvelée et stabilisée, un refinancement bancaire basé sur des indicateurs sociaux et environnementaux, et la touche Debon pour déployer une nouvelle dynamique, à condition que la situation sanitaire cesse de mettre des bâtons dans les roues des transports collectifs.

Positionnement multimodal

Premier acte : le renforcement du positionnement international et multimodal de Keolis présent dans 15 pays où le groupe réalise la moitié de son chiffre d’affaires. « Mais pas tous azimuts », prévient Marie-Ange Debon qui vient de mettre fin à l’aventure allemande, gros foyer de pertes pour Keolis qui y exécutait, depuis les années 2000, quatre contrats ferroviaires, sur 15 lignes et 1 000 km de voies.

Avec les conséquences de la crise sanitaire sur le trafic passagers, la nouvelle dirigeante soutient une ligne claire. « Je souhaite renforcer une croissance sélective, nous n’irons pas dans des pays où les fondamentaux ne permettent pas à l’entreprise d’apporter des lignes de savoir-faire fortes, ou d’avoir un modèle économique soutenable », insiste-t-elle.

Opérateur du tramway de Melbourne en Australie (le plus long au monde avec 250 km de lignes), des métros automatiques de Dubaï (l’un des plus modernes au monde), d’Hyderabad (Inde), des trains de banlieue de Boston (USA), Keolis exploite aussi les réseaux de transport urbain de Lyon, Bordeaux dont le contrat est en appel d’offres, Lille, Rennes, Dijon, Agen, Caen, Nancy etc. Avec des métros, des tramways, des bus, trolleybus, des vélos en libre-service, des navettes autonomes et des services de covoiturage, entre autres. « C’est sur ce savoir-faire multimodal que je souhaite capitaliser, c’est l’un des marqueurs forts de Keolis, un avantage concurrentiel à l’international où nos compétiteurs sont positionnés sur un seul mode de transport », observe la patronne de Keolis.

Marie Ange Debon
Le Club VRT, avec Marie-Ange Debon, a eu lieu le 13 janvierdans nos salons, rue de Clichy dans le 9e arrondissement de Paris.

Entreprise citoyenne

Choisir les pays, mais aussi réaffirmer le positionnement RSE (responsabilité sociétale et environnementale) de Keolis. C’est le deuxième mantra de la dirigeante qui a introduit des indicateurs extra-financiers dans la rémunération des dirigeants, fondés sur des critères de parité, de diversité et environnementaux. « Nous sommes une entreprise de services, nous devons nous mettre dans les chaussures de nos passagers, avoir une approche inclusive, protéger les publics fragiles, lutter contre le harcèlement dans les transports, déployer des solutions numériques – moyens de paiement, outil de navigation, informations voyageurs – simples et attractives, dit-elle. Même si la crise sanitaire a impacté de plein fouet notre secteur, nous avons un rôle majeur à jouer pour réaffirmer que les transports publics sont le moyen le plus efficace pour une croissance économique inclusive et durable. Il faut continuer à travailler sur la confiance des passagers pour faire disparaître ce fond d’inquiétude », poursuit Marie-Ange Debon.

Pour l’ex-DGA de Suez en France, le principe d’une entreprise citoyenne passe aujourd’hui par la transition énergétique, à commencer par le renouvellement de sa flotte et l’accompagnement des collectivités locales vers un mix énergétique. « Ne rêvons pas, la flotte française d’autobus est encore à 85 % au diesel, impossible de basculer d’un coup, la sortie du diesel sera progressive, y compris avec des solutions de rétrofit (transformation d’un moteur diesel en moteur électrique ou à hydrogène, ndlr). Présent en France et à l’étranger, Keolis maîtrise toutes les énergies alternatives », estime Marie-Ange Debon, citant un partenariat avec la métropole de Dijon pour produire de l‘hydrogène vert grâce à l‘incinération des déchets ménagers et le photovoltaïque. Le projet consiste à faire rouler à l‘hydrogène 210 bus, 45 camions-bennes et plusieurs centaines de voitures.

Résilience

Interrogée sur les tendances qui devraient marquer les résultats de Keolis pour 2021 (présentation en mars prochain), année au cours de laquelle les taux de fréquentation dans les transports publics ont été en dents de scie au gré des confinements, couvre-feux et du télétravail, Marie-Ange Debon confie qu’il « a fallu beaucoup d’efforts de dialogue, de gestion des coûts et de maîtrise des investissements » pour convaincre les voyageurs de ne pas fuir les transports collectifs par peur de la contamination. Il en a fallu aussi vis-à-vis des collectivités locales qui sont sous pression financière avec la chute des recettes commerciales et des ressources du versement mobilité acquitté par les entreprises. Fin 2021, juste avant la vague Omicron, le taux de fréquentation dans les transports urbains était revenu à 85 % de leur niveau de 2019. « Les mesures de télétravail début 2022 ne sont pas néfastes, elles estompent les problèmes d’affluence aux heures de pointe, tempère Marie-Ange Debon. J’espère que l’on finira renforcés de cette crise. L’opération de refinancement du groupe en décembre dernier qui a été sursouscrit montre la confiance des banques, et notre capacité de résilience. » (lire article ci-desous).

Club VRT Debon

Concurrence en Ile-de-France

Marie-Ange Debon se félicite des premiers lots de bus gagnés par son entreprise en grande et moyenne couronne (bus Optile). Après la longue grève en Seine-et-Marne de conducteurs de Transdev qui dénonçaient des conditions de travail dégradées dans le cadre de l’ouverture à la concurrence initiée par Ile-de-France Mobilités, l’autorité organisatrice des transports a décidé de revoir ses critères sociaux dans les futurs appels d’offres. Et Transdev est parvenu à un accord avant Noël.

« La concurrence ne se résume pas à mettre plus de pression sociale sur les collaborateurs (surtout dans un contexte de pénurie de conducteurs) et plus de pression financière sur les opérateurs », commente la patronne de Keolis.

Son entreprise a également connu à la fin de l’année dernière un conflit social, via Transkéo, sa filiale de droit privé qui exploite la ligne de tram-train T11 entre Epinay-sur-Seine et Le Bourget. Les revendications portaient sur des revalorisations salariales, dans un contexte d‘inflation plus élevée que par le passé, rappelle Marie-Ange Debon. « On peut concilier ouverture à la concurrence, organisation du travail et critères sociaux, mais l’ouverture à la concurrence reste une source d’inquiétude pour les collaborateurs », résume Marie-Ange Debon.

A trois mois de l’élection présidentielle, la dirigeante de Keolis regrette que « les transports du quotidien soient si peu audibles dans la campagne électorale. Le ferroviaire et le fret ont leur place (référence aux annonces d’Emmanuel Macron en octobre pour les 40 ans du TGV, ndlr), pas le reste alors que c’est ce qui fait le quotidien de millions de citoyens », observe-t-elle.

Présidente de l’UTP, qui a adressé en novembre dernier son manifeste aux candidats à la présidentielle d’avril 2022, Marie-Ange Debon demande une aide financière pour le secteur du transport urbain, au-delà des 900 millions d’investissements consentis par le gouvernement dans le dernier appel à projets de transports collectifs et de pôles multimodaux. Et souhaite que la mobilité devienne enfin un thème fort de la campagne.

Nathalie Arensonas


Un crédit de 600 M€ indexé sur des indicateurs de développement durable

Pour refinancer des lignes de crédit existantes et allonger de cinq ans la maturité de sa dette, Keolis a signé fin 2021 avec un groupe de 14 banques partenaires, un financement « largement sursouscrit » d’un montant de 600 M€, indique Marie-Ange Debon.

L’opération intègre un mécanisme d’ajustement de la marge lié à l’atteinte d’objectifs annuels extra-financiers : environnement, mixité, santé et sécurité.

Ewa

Concilier nouveaux comportements et mass transit en Ile-de-France

Conference GPRC 2021

Dans le contexte de crise sanitaire, et malgré la reprise, c’est encore l’heure des interrogations pour les opérateurs. Dans quelle mesure les changements de comportements vont-ils perdurer ? Faudra-t-il se réinventer pour s’y adapter ? Les pertes cumulées permettront-elles de maintenir
les investissements en Ile-de-France où le mass transit est une réalité incontournable ? Beaucoup de questions, auxquelles les intervenants ont cherché à répondre lors de la table ronde intitulée « Concilier nouveaux comportements et mass transit », organisée le 7 octobre par VRT avant la cérémonie des Grands Prix de la Région Capitale.

Laurent Probst« Nous sortons d’une crise sans précédent. Les transports publics n’avaient jamais été aussi impactés que par le Covid », rappelle en préambule Laurent Probst, le directeur général d’Ile-de-France Mobilités (IDFM). Si, durant la pandémie, l’écosystème francilien a su faire preuve de réactivité pour assurer le service, la crise sanitaire a fait perdre à IDFM 2,6 milliards en 2020 (1,6 milliard de pertes sur les recettes passagers, un milliard sur le Versement Mobilité), puis 1,3 milliard d’euros en 2021 (dont 300 millions dus au recul du VM), car le trafic n’est toujours pas revenu à la normale. Il est aujourd’hui d’environ 75 % comparé à l’avant-crise.

« Nous pensons que 80 % des voyageurs seront de retour d’ici la fin de l’année, puis 90 % l’an prochain. Il faudra patienter jusqu’en 2023 pour que le trafic retrouve un niveau équivalent à celui de 2018, auquel il faudra sans doute déduire 3 % à 6 %, en raison de la pérennisation du télétravail », estime Laurent Probst. Au cours des années suivantes, IDFM espère retrouver une croissance annuelle de 5 %, qui lui permettra de retrouver son niveau de fréquentation de 2019 en… 2025.

 » IL FAUDRA PATIENTER JUSQU’EN 2023 POUR QUE LE TRAFIC RETROUVE UN NIVEAU ÉQUIVALENT À CELUI DE 2018, AUQUEL IL FAUDRA SANS DOUTE DÉDUIRE 3 À 6%, EN RAISON DE LA PÉRENNISATION DU TÉLÉTRAVAIL «  LAURENT PROBST

Le directeur général d’IDFM précise que le retour à 100 % du trafic ne sera pas forcément synonyme de retour aux trains bondés, car la Région poursuit ses investissements pour mettre en place des trains à étage et des extensions de lignes, comme le prolongement d’Eole.

De même, si le télétravail perdure, cela ne signifie pas forcément moins de mobilités, mais plutôt des mobilités différentes, à d’autres moments, notamment pour des déplacements de loisirs. Mais cela devrait permettre de réduire les pics d’affluence aux heures de pointe et d’offrir de meilleures conditions de voyage.

En Ile-de-France, les habitudes de télétravail semblent déjà installées : la fréquentation des transports publics est revenue à 78 % du mardi au jeudi, elle monte à 80 % les week-ends, tandis qu’elle se limite à 72 % les lundis et vendredis. « 6 % se volatilisent en raison du télétravail », en déduit le DG d’IDFM.

Les différentes restrictions décidées par le gouvernement ont conduit à une chute du trafic. Son soutien s’impose donc pour passer ce cap difficile, selon l’exécutif d’IDFM. « Nous avons accumulé six ans de retard sur les recettes prévues pour les transports en Ile-de-France. Raison pour laquelle nous avons demandé l’aide de l’Etat », justifie Laurent Probst qui annonce qu’IDFM va continuer à chercher à réduire les coûts.

Il compte aussi sur la mise en concurrence des liaisons ferrées, des lignes de bus et du Grand Paris Express pour améliorer la qualité de service et réaliser des économies.

A condition de prévenir le risque social, comme le montre le mouvement social alors en cours au moment de cette conférence, perturbant des dépôts de bus exploités par Transdev. Un conflit lié à l’ouverture à la concurrence des bus Optile.

Laurent Probst tente de rassurer : « Nous avons besoin de tous les conducteurs, il n’y aura pas de suppression de postes, mais il faut leur proposer des conditions de travail qui les satisfassent. » C’est pourquoi, dans le cadre de ses appels d’offres, IDFM sera attentive au fait que les opérateurs mènent un dialogue social constructif, assure-t-il. « La mise en concurrence est un défi, mais j’ai confiance dans les opérateurs franciliens, qui sont parmi les meilleurs au monde, pour que cela marche bien et que cela permette d’avoir, à l’horizon 2030-2035, le plus grand, le meilleur et le plus performant réseau de transport du monde, sur lequel nous aurons réalisé le plus grand renouvellement de matériel roulant au monde. »

Situation encore mouvante

Annelise AvrilLe Covid va-t-il durablement modifier la façon de se déplacer ? Pour le savoir, tous les opérateurs ont lancé des études visant à décrypter les nouveaux comportements. S’il est certain que le Covid a fait bouger les lignes, Annelise Avril, directrice Marketing du groupe Keolis, juge qu’il est encore difficile de savoir dans quel sens la situation va évoluer.

« Nous sommes encore dans une période transitoire et dans une situation mouvante. Il convient donc d’être très prudent, car les choses bougent vite. » L’observatoire Keoscopie, qui sonde les Français tous les trois mois, montre des variations importantes d’un mois sur l’autre. « A la question : est-ce que votre façon de vous déplacer à la sortie de la crise va se modifier, une majorité des personnes interrogées disait oui en octobre dernier, tandis qu’à l’entrée de l’été ce n’était déjà plus le cas. On avait perdu 15 points », rapporte, à titre d’exemple, Annelise Avril.

 » IL SUFFIRAIT QUE 10 % DES VOYAGEURS DÉCALENT LEUR DÉPART POUR QUE CEUX QUI VOYAGNET AUX HEURES D’HYPERPOINTE RETROUVENT DU CONFORT «  ANNELISE AVRIL

Pour ne pas se contenter de déclaratif, Keolis utilise aussi des outils pour suivre les déplacements réels des piétons, cyclistes et transports en commun. « Le retour des voyageurs, qui s’accompagne de celui de la promiscuité dans les transports, est plus ou moins bien vécu », constate Annelise Avril, qui travaille sur un outil permettant de connaître l’affluence en temps réel. 73 % des Franciliens se disent intéressés par cette information, même si seulement 39 % d’entre eux disent avoir déjà décalé leur départ pour voyager à une heure de moindre influence. « Il suffirait que 10 % des voyageurs décalent leur départ pour que ceux qui voyagent aux heures d’hyperpointe retrouvent du confort », assure Annelise Avril.

Alain Pittavino« Etant encore au milieu de la crise, il est trop tôt pour savoir comment les comportements vont évoluer », confirme Alain Pittavino, le directeur général adjoint Ile-de-France de Transdev. Depuis le début de la pandémie, Transdev participe à un collectif proposé par Inov360, qui regroupe une trentaine d’acteurs de la mobilité (dont IFPEN, Transdev, SNCF Réseau, Paris Ouest La Défense (POLD), Grand Paris Seine Ouest (GPSO), Communauto, Cityscoot, Karos). Le but est d’interroger des milliers de Franciliens pour appréhender la façon dont la crise sanitaire a influé sur leurs déplacements. Alain Pittavino a vu les opinions évoluer. « Les premières enquêtes montraient une forte démobilité et un intérêt pour changer de mode de transport. La plus récente met en avant le fait qu’il existe encore des craintes sanitaires vis-à-vis des transports publics, toujours perçus comme un lieu où l’on peut être contaminé, ce qui freine le retour de certains voyageurs. »

Le dirigeant constate une grande hétérogénéité de fréquentation selon les territoires. Les voyageurs de la deuxième couronne sont davantage revenus vers les transports publics que ceux du centre de Paris, parce qu’ils en sont plus dépendants. « Sur certaines lignes de Seine-et-Marne, les Franciliens sont revenus à 100 % », commente Alain Pittavino.

 » LES PREMIÈRES ENQUÊTES MONTRAIENT UNE FORTE DÉMOBILITÉ ET UN INTÉRÊT POUR CHANGER DE MODE DE TRANSPORT. LA PLUS RÉCENTE MET EN AVANT LE FAIT QU’IL EXISTE ENCORE DES CRAINTES SANITAIRES VIS-À-VIS DES TRANSPORTS OUBLICS, TOUJOURS PERÇUS COMME UN LIEU OÙ L’ON PEUT ÊTRE CONTAMINÉ, CE QUI FREINE LE RETOUR DE CERTAINS VOYAGEURS «  ALAIN PITTAVINO

Une enquête réalisée par Transdev a mis en évidence que 18 % des habitants de Seine-Saint-Denis télétravaillaient au moins une journée par semaine, contre 48 % dans les Hauts-de-Seine. Quant au taux de pénétration du vélo, il se réduit au fur et à mesure qu’on s’éloigne du centre de Paris. Alain Pittavino en conclut qu’il faut tenir compte de ces différences pour proposer une offre adaptée à chaque territoire.

Données en temps réel

Christophe Vacheron« En équipant les véhicules de cellules pour remonter des données de trafic en temps réel, nous avons constaté que certains réseaux étaient revenus à 100 %, tandis que d’autres ne sont qu’à 70 % », poursuit Christophe Vacheron, le directeur adjoint France de RATP Dev. Au plus fort de la crise Covid, la fréquentation de RATP Dev avait baissé en moyenne de 90 %, pour revenir rapidement à 50 %. L’entreprise, qui a retrouvé les 20 % de voyageurs captifs, rentre à présent dans une phase de reconquête pour parvenir progressivement à 95 % de fréquentation. Christophe Vacheron table sur le retour du tourisme pour y aider. Il précise : « avant le Covid, notre priorité était de veiller à la fiabilité, à la régularité et à l’information voyageurs. Nous mettons désormais en plus le paquet sur la propreté et l’affluence. »

L’appli « Bonjour RATP » permet aux voyageurs de connaître l’affluence en temps réel. Si l’information est très consultée, elle n’est pas encore un déclencheur de changement, constate Christophe Vacheron. « De plus, une part importante de Français ne peut pas télétravailler, on s’en rend compte sur les réseaux de province revenus à 100 %. »

 » UNE PART IMPORTANTE DE FRANÇAIS NE PEUT PAS TÉLÉTRAVAILLER. ON LE VOIT SUR LES RÉSEAUX DE PROVINCE DONT LE TAUX DE FRÉQUENTATION EST REVENU À 100% «  CHRISTOPHE VACHERON

En Ile-de-France, quand c’est possible, cela libère une heure, représentant le temps moyen du trajet des Franciliens. Ce temps peut être utilisé pour de nouveaux besoins de déplacements. Si l’on en croit le sociologue Jean Viard, rappelle Christophe Vacheron, 10 % des Français sont en train de changer de vie, les trentenaires souhaitent se rapprocher de la nature et désirent consommer local… RATP Dev en déduit qu’il faut travailler à la « ville du quart d’heure ».

Sylvie Charles« Le fait que des Parisiens souhaitent quitter la ville est un phénomène que nous nous attachons à mesurer », indique de son côté Sylvie Charles, directrice Transilien, tout en rappelant que la politique d’aménagement du territoire n’est pas du ressort d’un transporteur. Et de poursuivre : « L’avenir est incertain et sera ce qu’on en fera, mais rappelons que sur la région Capitale, 68 % des emplois se sont concentrés ces 20 dernières années sur 6 % du territoire, dont Paris Centre et la Défense… »

Depuis son arrivée en mars 2020 à la tête de Transilien, Sylvie Charles assiste au déplacement des Franciliens vers la petite, voire la grande couronne, en raison de la rareté et du prix du foncier. Un phénomène qui s’est amplifié ces dernières années, au point que le trafic de certaines lignes a augmenté de 3 % par an et conduit à la saturation de certaines infrastructures. D’où une hyperpointe le matin. Dans ces conditions, le télétravail représente une des solutions, puisque, en Ile-de-France, 45 % des emplois sont « télétravaillables ».

« Plus de travailleurs à distance, c’est moins de voyageurs aux heures de pointe, ce qui permet de faire baisser de 5 à 10 % le trafic en hyperpointe », précise-t-elle.

Essentielle intermodalité

La dirigeante se dit confiante sur les chances d’y parvenir. « Le patronat a intérêt à conserver du télétravail pour réduire le nombre de mètres carrés de bureaux nécessaires », souligne-t‑elle, notant un nouvel état d’esprit chez les DRH. « Ils ont compris que le bien-être au travail ne s’arrête pas à la vie au travail. Qu’il faut aussi penser à l’avant et l’après. »

Si ces télétravailleurs se déplacent moins pour se rendre au bureau, la directrice de Transilien est confiante aussi sur le fait qu’ils continueront à utiliser les transports différemment, à d’autres moments, notamment pour leurs loisirs.

Pour remplir ses trains, elle a pour ambition d’attirer plus de clients en heures creuses, le week-end, surtout des occasionnels.

Dans ce but, ses équipes travaillent notamment sur ce qu’on appelle les premiers et derniers kilomètres. « Plus de 80 % des franciliens sont à moins de 3 km d’une gare. Nous devons leur en faciliter l’accès, en rendant les déplacements vers ces gares plus faciles, notamment en bus ou à vélo. »

 » 68% DES EMPLOIS SE SONT CONCENTRÉS CES 20 DERNIÈRES ANNÉES SUR 6% DU TERRITOIRE, DONT PARIS CENTRE ET LA DÉFENSE «  SYLVIE CHARLES

Elle souhaite que soit facilité l’accès aux places de stationnement des bicyclettes aux abords des gares pour ceux ne disposant pas de passe Navigo. Et si elle ne conteste pas l’intérêt de réaliser des pistes cyclables le long du RER, elle plaide pour qu’on en construise aussi pour desservir les gares.

Pour faciliter l’usage des transports en commun en jouant sur leur complémentarité, elle a également engagé un travail auprès des agents SNCF afin de les pousser à informer les voyageurs sur les autres modes en leur indiquant les emplacements des arrêts de bus à proximité des gares, les stations de vélo… Elle reconnaît qu’il faudrait mieux harmoniser les horaires pour faciliter les correspondances entre trains et bus.

Les extensions de services à venir (la première tangentielle T13 entre Saint-Cyr et Saint‑Germain mi-2022, le T12 reliant Massy à Epinay-sur-Orge fin 2023) contribueront aussi à l’avenir à faciliter les déplacements de banlieue à banlieue.

Prise en compte du dernier kilomètre

Annelise Avril insiste, elle aussi, sur la nécessité de simplifier le parcours du dernier kilomètre et de faciliter la connexion avec les transports en commun. « Ce n’est pas toujours facile et face à cette complexité, certains voyageurs abandonnent. » Elle mise sur les outils digitaux qui pourront rendre les choses plus simples, mais prévient : « Nous devons aussi assurer une présence humaine et une signalétique adaptée pour mieux connecter les gares et les stations avec la marche, le vélo, le covoiturage ».

Pour faciliter l’accès aux gares de grande couronne, Alain Pittavino table sur le vélo électrique, à condition de pouvoir assurer et sécuriser son stationnement. « C’est un enjeu majeur, si on veut renforcer l’intermodalité et l’attractivité des transports publics », affirme‑t-il, avant d’ajouter qu’il faut aussi garantir les correspondances entre les trains et les bus, en proposant, par l’utilisation des outils digitaux, des bus qui partent, non pas à l’heure, mais au moment où le train arrive.

Pour favoriser les déplacements en transports publics, il propose également de les compléter, notamment en soirée, avec du transport à la demande. Christophe Vacheron croit lui aussi au rôle du transport à la demande pour faire venir de nouveaux voyageurs. « Il faut tester, expérimenter », encourage‑t-il. Et pour lever l’obstacle du dernier kilomètre et ramener les voyageurs vers les transports publics, il plaide pour qu’on facilite et sécurise les connexions au mass transit, en faisant preuve d’agilité et en construisant des pistes cyclables sécurisées.

Valérie Chrzavzez


Un niveau d’offre de transport encore trop bas

Marc Pelissier« Depuis septembre, les Franciliens sont de retour dans les transports et l’effet télétravail varie suivant les lignes et les jours », constate Marc Pelissier. Le président de la Fnaut Ile-de-France estime que les usagers, qui avaient pris l’habitude de voyager confortablement durant la pandémie, supportent mal le retour à la « promiscuité ». Et s’il comprend que certaines lignes ont vu leur offre allégée pendant la pandémie pour des raisons économiques, il regrette qu’elles ne soient pas encore revenues à 100 %. « Ce qui cause de la surcharge et une attente excessive sur le réseau SNCF et n’incite pas à faire revenir les usagers qui ont pris l’habitude d’utiliser leur automobile. » Il plaide donc pour qu’on remette en place une offre adaptée et que le travail visant à améliorer la ponctualité, notamment dans le RER B, se poursuive.

Interpellée, Sylvie Charles reconnaît avoir travaillé avec IDFM sur l’adaptation de l’offre à la demande, durant la crise sanitaire, tout en restant attentive aux pointes et à la fréquence, et en garantissant un train toutes les demi-heures. Mais elle assure que le trafic est revenu depuis la rentrée à un niveau proche, en km/train, de ce qu’il était en 2019 et qu’elle continue à travailler pour l’améliorer. « Alléger dessertes et services en gare durant la crise a permis de montrer à l’Etat qu’on était soucieux des finances publiques. Mais il faut à présent que l’Etat tienne compte des pertes survenues et aide IDFM à combler son déficit », plaide la directrice de Transilien.

 » LA CRISE S’AGGRAVE PAR LES SURCOÛTS ANNONCÉS, NOTAMMENT CEUX D’EOLE. TOUT CELA ARRIVE DANS UN CONTEXTE OÙ DES PRJETS AVAIENT DÉJÀ ÉTÉ MIS EN ATTENTE «  MARC PELISSIER

Les craintes de la Fnaut

Les problèmes financiers inquiètent également la Fnaut, qui a déjà alerté sur le fait qu’une dizaine de projets risquent d’être bloqués en IDF, faute d’argent. « La crise s’aggrave par les surcoûts annoncés, notamment ceux d’Eole. Tout cela arrive dans un contexte où des projets avaient déjà été mis en attente. » Ce qui fait craindre à Marc Pélissier un nouveau Contrat de Plan Etat-Région qui ne servira qu’à payer les surcoûts du précédent, sans pouvoir financer de nouveaux projets. Ce que ne dément pas Alain Probst : « La découverte d’un surcoût énorme pour Eole et ceux d’autres projets vont assécher le prochain CPER. Il existe bien un risque d’avoir un CPER pour rien. »


La mise en concurrence en question

Jacques BaudrierJacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris et administrateur d’IDFM, a fait les comptes : la crise Covid a coûté quatre milliards de pertes de recettes à IDFM, et le surcoût de certains chantiers, dont les 1,7 milliard supplémentaires annoncés pour le chantier Eole, va s’y ajouter. L’élu communiste, qui réclame aussi un soutien de l’Etat, estime que la mise en concurrence va également représenter un coût, nécessitant le rachat de dépôts et de matériels pour quatre milliards d’euros. « Soit un coût total de 12 milliards, dont quatre qu’on pourrait éviter immédiatement en renonçant à la mise en concurrence. »

 » ON POURRAIT ÉCONOMISER IMMÉDIATEMENT QUATRE MILLIARDS D’EUROS EN RENONÇANT À LA MISE EN CONCURRENCE «  JACQUES BAUDRIER

Selon lui, s’obstiner dans cette voie est une erreur qui risque de déstabiliser tout le système. Pour compenser le déficit de recettes, il se dit favorable à une augmentation de la contribution du Versement Mobilité, en créant des zones premium, dans les secteurs les plus denses. Assurant : « Les communistes ont déposé des amendements en ce sens. Si on n’a pas ces recettes, on n’y arrivera pas. »

Ewa

Les rêves déçus du TGV à l’export

tgv rame orange

Au milieu des années 1980, c’était évident : avec le succès du TGV entre Paris et Lyon, mais aussi vers toutes les autres destinations proposées dans le sud-est de la France, voire en Suisse, le TGV allait s’imposer dans le monde entier et prendre des parts de marché aux vols court à moyen-courrier, voire remplacer l’avion sur les relations dont les temps de parcours ne dépasseraient pas deux ou trois heures.

Cette catégorie de relations, qui correspondent à des distances de l’ordre de 400 à 500 km, ne manque pas à travers le monde ; de longue date, ce sont même celles qui se classent aux premiers rangs des liaisons aériennes les plus fréquentées du monde. Et ce, non seulement en Europe (Paris – Lyon, Bordeaux ou Strasbourg, Madrid – Barcelone ou Séville, Londres – Birmingham, Liverpool ou Manchester, voire Glasgow ou Edimbourg, Rome – Naples, Milan ou Turin, Hambourg – Cologne ou Berlin, Francfort – Munich, Moscou – Léningrad…), mais aussi sur les autres continents : New York – Washington ou Boston, San Francisco – Los Angeles ou Seattle, Dallas – Houston, Rio – São Paulo, Tokyo – Osaka, Séoul – Busan…

C’est ainsi que, parallèlement aux projets de LGV Atlantique et Nord, le secteur ferroviaire français a logiquement exploré les possibilités qui pouvaient s’offrir sur tous ces marchés qui, 15 ou 20 ans auparavant, auraient fait rêver les promoteurs d’aérotrains ou autres engins guidés aussi « futuristes ».

D’emblée, deux nuages sont venus obscurcir ce tableau prometteur : d’une part, le train à grande vitesse « à la française », même s’il se veut compatible avec les réseaux ferrés existants de même écartement (électrifiés de préférence, mais on peut « faire avec » une locomotive diesel pour les prolongements), ne présente vraiment d’intérêt que si les trajets comprennent une part importante de lignes nouvelles à grande vitesse, d’où un investissement conséquent en infrastructures et la tentation pour les réseaux qui souhaitent accélérer leurs trains de recourir à des solutions moins coûteuses (aménagement des lignes classiques, pendulation).

D’autre part, d’autres pays travaillent aussi sur les trains à (très) grande vitesse de longue date, en particulier le Japon (qui le maîtrise depuis 1964), l’Allemagne fédérale (avec quelques années de retard sur la France et une ligne nouvelle en construction pour ses ICE), ainsi que l’Italie, qui piano ma sano construit par étapes sa direttissima de Rome à Florence (avec une avance initiale sur la France). Et, atout supplémentaire pour les deux premiers de ces rivaux, ils étudient également des solutions à sustentation magnétique (Maglev et Transrapid), éventuellement « vendables » aux décideurs en mal de futurisme.

En dépit de ces bémols, tout semblait aller bien il y a 30 ans. Face à la concurrence internationale, le TGV français, qui battait record sur record sur sa nouvelle ligne Atlantique, allait bientôt circuler pour la Renfe sur les premières lignes nouvelles en Espagne (1992), deux ans avant d’être choisi en Corée du Sud (1994). Et c’est le TMST, adaptation du TGV au tunnel sous la Manche et au réseau britannique, qui allait également assurer les liaisons Eurostar entre Paris ou Bruxelles et Londres (1994), voire plus au nord (les rames ont été construites, mais les relations n’ont jamais été ouvertes). Ceci alors que l’extension des dessertes TGV vers l’Italie (1995) ou le Benelux (Thalys, 1996) faisait, de facto, tomber les frontières.

Hors de l’Europe de l’ouest, nombre de marchés étaient maintenant bien identifiés et déjà circulaient les images de synthèse de dérivés du TGV pour les corridors nord-américains, en particulier le corridor nord-est des Etats-Unis : la Floride (projet FOX, avec Bombardier) et le Texas. Le corridor Québec – Windsor (au Canada) ou celui d’Australie (où le projet Speedrail Sydney – Canberra, proposé en 1993 par un consortium comprenant GEC Alsthom et la SNCF, avait été déclaré vainqueur en 1998). Le corridor de la Russie : dossier Moscou – Saint-Pétersbourg remis en 1993. Face à la concurrence, le TGV se montre adaptable : son dérivé pendulaire proposé avec Bombardier est choisi par Amtrak en 1996 pour les dessertes Acela, des motorisations diesel, ou à turbines (projet RailJet de Bombardier), sont envisagées pour se connecter aux réseaux non électrifiés d’Amérique, et, pour le projet de Taïwan, les voitures de TGV Duplex se retrouvent encadrées par deux motrices du vieux rival ICE (rame Eurotrain) !

Mis en service fin 2000 sur le corridor nord-est, l’Acela américain n’a pourtant pas fait le printemps. Avec le nouveau siècle pleuvent les désillusions. Quelques années après l’abandon du premier projet texan (1994) : le même sort est réservé aux projets Speedrail et FOX, alors que le projet taïwanais est « récupéré » par le Shinkansen japonais. Plus gênant : au TGV Duplex, la Renfe préfère en 2001 un dérivé de l’ICE 3 de Siemens, bientôt choisi par les Chemins de fer russes, turcs et chinois, alors que les Chemins de fer de Corée du Sud commencent en 2006 à commander à Hyundai Rotem de nouvelles rames obtenues par transfert de technologie du TGV. Et quand Eurostar décide en 2010 de renouveler son parc avec le Velaro de Siemens, l’affaire prend une tournure très politique.

Le nouveau record de vitesse battu en 2007 par le TGV avait éveillé quelques espoirs en Californie, au Brésil ou en Argentine (Buenos Aires – Rosario – Córdoba), vite balayés par la crise financière de 2008. Une année qui était aussi celle du démarrage du spectaculaire développement de l’immense réseau chinois à grande vitesse. Un marché sur lequel Alstom a été très prudent et s’est contenté de vendre des dérivés du Pendolino, dont le constructeur a hérité lors de la reprise des activités ferroviaires de Fiat. A Bombardier, Kawasaki ou Siemens de livrer des trains à grande vitesse qui, tôt ou tard, finiront par être copiés ou améliorés par l’industrie chinoise.

Pour autant, outre les dessertes assurées par la SNCF entre la France et les pays voisins ou en open access avec Ouigo en Espagne, les matériels dérivés du TGV finissent quand même par s’exporter, qu’il s’agisse du train à grande vitesse marocain (al Boraq de l’ONCF, qui est techniquement un TGV Euroduplex, ouvert en 2018) ou de la deuxième génération de l’Acela pour Amtrak (attendu pour l’an prochain et dont les motrices sont très proches de celles du futur TGV M). Mais la concurrence des autres trains à grande vitesse reste rude, y compris de la part de Talgo, qui s’impose en Arabie Saoudite sur la ligne Haramain (ouverte en 2018).

Et à part quelques exceptions, le train à grande vitesse n’avait pas vraiment « tué » la concurrence aérienne avant la crise du Covid et les mesures proposées en France.

Avec quelques succès à l’exportation et des espoirs qui restent permis, le TGV n’est certainement pas un « Concorde du rail » pour ce qui est de ses ventes hors SNCF et exploitants ferroviaires dont cette dernière est actionnaire. Mais en étant cruel, on pourrait garder cette analogie aérienne pour l’AGV, matériel fort réussi dérivé du TGV, mais qui n’a trouvé comme client que le « privé » italien NTV, qui en a acheté 25 rames.

Patrick Laval