La crise sanitaire a eu de lourdes répercussions immédiates pour le transport aérien. Répercussions que détaille une étude réalisée par le bureau de recherche 6-t pour l’Autorité de la qualité de service dans les transports. Mais elle ne semble pas avoir considérablement entamé la volonté de voyager loin en avion. Dur pour le futur bilan carbone…
Par Clarice Horn, Camille Krier, Nicolas Louvet – cabinet 6t
Crise sanitaire et voyages longue distance
La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 a eu de multiples conséquences sur le quotidien des individus et a tout particulièrement affecté leurs déplacements, en termes de distances parcourues, de modes utilisés ou de motifs et conditions de voyage. En fonction de l’évolution locale de la situation sanitaire, les mesures mises en place par les pouvoirs publics à partir de mars 2020 ont plus ou moins étroitement circonscrit le périmètre de déplacement des citoyens. Le ralentissement de la pandémie combiné à l’accélération de la campagne de vaccination en France et à l’international ont permis la reprise des activités et des déplacements liés aux loisirs et au tourisme.
En parallèle, les conditions de voyage en modes collectifs longue distance ont fait l’objet d’adaptations, afin de pouvoir respecter les mesures sanitaires en vigueur, affectant ainsi l’expérience des voyageurs. De plus, ces modes ont durablement souffert d’une perception négative liée à l’image de promiscuité qui leur est associée, certains voyageurs pouvant craindre d’être contaminés1 . Tous ces éléments ont bouleversé le ressenti des voyageurs interurbains et internationaux utilisant le train, l’avion, mais aussi le car, le covoiturage longue distance ou encore le bateau.
6t-bureau de recherche a donc cherché à appréhender l’effet de la crise sanitaire sur l’expérience vécue des voyageurs en modes collectifs longue distance depuis mars 2020. Pour ce faire, 6t a réalisé une étude pour le compte de l’Autorité de la Qualité de Service dans les Transports (AQST), via une méthodologie qualitative, adaptée à l’analyse des perceptions et expériences vécues. Une série de 20 entretiens semi-directifs a pour cela été réalisée, permettant de comprendre comment la crise a pu bouleverser et remanier ou non les pratiques de voyage longue distance.
La crise sanitaire comme élément de rupture des habitudes de voyage
La crise sanitaire et les mesures de confinement instaurées pour tenter d’endiguer l’épidémie ont mis un coup d’arrêt brutal aux déplacements et, plus encore, aux voyages longue distance. Des projets de voyages ont ainsi été annulés ou reportés. Ces annulations ont souvent été contraintes (suppression de trajets par les compagnies et/ou mesures gouvernementales de restriction de circulation ou de fermeture des frontières), mais ont aussi pu être volontaires, certains voyageurs renonçant d’eux-mêmes face à une situation jugée trop incertaine (risque perçu de contamination durant le déplacement, notamment à bord d’une cabine fermé, mais aussi crainte d’une annulation au dernier moment, voire d’un isolement à l’arrivée).
» LA PLUPART EXPRIMENT UNE VOLONTÉ DE RATTRAPER LE TEMPS PERDU «
L’obtention de compensations sous la forme d’avoirs ou de remboursements s’est révélée plus ou moins complexe selon les cas, une multiplicité d’acteurs impliqués (notamment des intermédiaires tels que les comparateurs) étant associée à davantage de difficultés. Les mésaventures de certains voyageurs ont pu les inciter à adopter de nouvelles pratiques de réservation, telle la souscription d’une assurance. En cas de report de voyage, des destinations moins lointaines ont parfois été choisies, jugées plus sûres, tant en ce qui concerne les restrictions que le risque sanitaire. Face à l’incertitude, la réservation en dernière minute est également apparue comme une pratique nouvelle pour certains.
Voyager en période de crise : des mesures sanitaires à l’influence ambivalente
Les voyages longue distance réalisés en modes collectifs durant la crise sanitaire ont nécessité des précautions supplémentaires, en comparaison avec les pratiques de la période pré-crise. L’étape de préparation du voyage s’est révélée complexe et chronophage, notamment concernant la recherche d’informations sur les mesures en vigueur dans les différents pays. La variabilité de ces mesures, dans l’espace mais aussi dans le temps a rendu leur lecture particulièrement délicate. Combiné à la complexité des règles et parfois à la barrière de langue pour les voyages internationaux, cela soulève de forts enjeux d’accessibilité et de lisibilité de l’information. Ont pu en résulter des quiproquos affectant négativement l’expérience des voyageurs, tels que l’impossibilité de monter à bord ou l’obligation d’observer une période d’isolement non prévue à l’arrivée. Disposer d’informations claires, à jour et, idéalement, harmonisées entre territoires apparaît comme nécessaire aux yeux des voyageurs.
» L’ÉTAPE DE PRÉPARATION DU VOYAGE S’EST RÉVÉLÉE COMPLEXE ET CHRONOPHAGE «
Une fois dans les gares et les aéroports ou à bord des véhicules, les mesures sanitaires (distanciation, port du masque, etc.) influent de manière ambivalente sur les perceptions des voyageurs. Elles peuvent d’une part représenter une gêne et affecter négativement le ressenti du confort mais, d’autre part, apparaître comme rassurantes et renforcer leur sentiment de sécurité. Leur pénibilité étant relativisée aux bénéfices apportés par le voyage, elles sont en général acceptées comme une condition nécessaire. À noter que la flexibilité nouvelle apportée par la crise en termes d’échange ou de remboursement semble désormais considérée comme un acquis, auquel les voyageurs pourraient difficilement renoncer si cette politique n’était pas pérennisée par les compagnies.
Voyager dans le monde d’après : un retour aux pratiques de mobilité longue distance du monde d’avant ?
Si la crise a bouleversé les habitudes de voyage et contraint les individus dans leurs projets, la plupart expriment une volonté de rattraper le temps perdu et de reprendre un rythme de voyage soutenu après la crise. Après une période de restrictions portant sur une pratique considérée pour certains comme un besoin (le voyage longue distance et la recherche de l’exotisme), nombreux sont ceux qui souhaitent voyager à nouveau, comme avant.
Alors que des modes comme le train ou des formes de tourisme plus locales (en France ou dans les pays limitrophes) ont pu être (re)découverts à la faveur de la crise, la pérennisation de ces pratiques se révèle bien incertaine. Bien qu’elle ait pu permettre une prise de conscience de l’impact environnemental de certains voyages, la crise ne semble pas avoir considérablement entamé la volonté de voyager loin en avion. Dans une optique de réduction des émissions associées à la mobilité, et notamment à la mobilité de loisirs longue distance, ce constat est peu rassurant pour la réalisation de scénarios bas carbone. En matière de mobilité longue distance, il s’agit donc de ne pas relâcher les efforts engagés (tels que la fin des liaisons aériennes internes à la France et d’une durée de moins de 2h30 pour lesquelles il existe une liaison ferroviaire, introduite par la loi Climat et Résilience2 ), afin d’éviter un retour au « monde d’avant », dommageable à l’environnement comme à la société.
1Voir par exemple : https://cutt.ly/5Ho8oxm ou https://cutt.ly/CHo8a3A.
2 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique er renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience.